XVI

À cette heure-ci, se disait Balthazar, en marchant sous la pluie, les flics doivent être en chasse.

Il éprouvait à se murmurer cela une sorte de volupté. Il y a un étrange plaisir, pour certains individus, à penser qu’ils sont traqués. Ils prennent une importance qu’ils n’ont jamais réellement eue, ils trouvent dans ces sordides histoires une sorte de justification.

Qu’est-ce qu’il était, Balthazar, avant de mettre en l’air Moreno ? Rien, trois fois rien. Un pauvre type sans relief. Il s’en rendait compte maintenant. Ou, tout au moins, il essayait de s’en persuader. Il tâchait de se faire croire à lui-même qu’il avait évolué, qu’il n’était plus le même homme et que, maintenant, sous cette carcasse insignifiante, se révélait le dieu du Mal.

Pourtant, il n’arrivait pas à s’en convaincre. Il se sentait aussi mou, aussi faible et aussi influençable qu’auparavant. Mais il avait tué deux hommes et il pensait qu’il avait, à ces expériences, acquis le goût du sang.

Peut-être que cette fierté factice parviendrait, à la longue, à dissiper son cafard. C’est peut-être ça, le complexe de l’assassin : une injection de vanité.

Il passa devant la vitrine illuminée d’un chemisier. De chaque côté de la devanture, deux glaces essayaient de faire honte aux passants pour leurs pauvres frusques quotidiennes, alors que tant de merveilles étaient à la portée de leur main, sinon de leur bourse.

Et il se trouva nez à nez avec lui. Il ne vit qu’un pauvre diable vêtu d’un imperméable cachou, d’un complet gris muraille. Un cache-col voyant entourait son cou et, des bords de son feutre trempé, coulaient des ruisselets de flotte. Il avait les yeux trop brillants, cernés de fatigue, et des rides nouvelles s’inscrivaient aux commissures de ses lèvres. Sa barbe avait bleui.

Un pauvre type que la foule pressée bousculait, seul au monde, perdu au milieu de l’indifférence et de la cruauté. Il se serait effondré là, brusquement, sur ce trottoir mouillé, les gens se seraient à peine écartés. Ils auraient pensé qu’il s’agissait d’un ivrogne et se seraient demandé comment la police pouvait permettre des trucs pareils.

Tout ce à quoi il avait cru lui avait glissé dans les mains. Peut-être avait-il tenu le bonheur dans ses paumes fermées. Cela ressemblait à de la cendre tiède. C’était également chaud et doux. Mais c’était de la cendre. Il avait eu la maladresse d’ouvrir les mains, le vent était arrivé et le bonheur était parti à tous les azimuts. On croit que c’est éternel, ces trucs-là, et ça se termine en trois minutes.

Et maintenant, il était seul sous la pluie.

Peut-être, dans ce naufrage, restait-il quelque part une planche de salut ? Mais il avait beau se creuser la tête, chaque fois c’était le visage de Gisèle qui lui apparaissait. Il était tour à tour triste et gai. Il retrouvait aussi, comme par miracle, certaines expressions qui l’avaient troublé. Celle, par exemple qu’elle avait, ce dimanche de juin, lorsqu’ils étaient allés danser à Robinson.

Elle portait une petite robe d’indienne et des souliers plats. Ils s’étaient grisés de valses et de tangos, en plein air, sur la piste d’une guinguette. Puis, ils s’étaient perdus dans les bois. Ils s’étaient assis, serrés l’un contre l’autre, au dos d’un arbre. Un peu plus loin, on entendait les gémissements d’une fille à qui un garçon faisait l’amour. Ils s’étaient regardés avec un drôle de sourire et ils s’étaient relevés. Gisèle avait rougi et avait appuyé sa tête sur l’épaule de Balthazar. Ils s’étaient retrouvés étendus sur la mousse un peu plus loin. Il était couché sur elle et elle gémissait doucement, elle aussi, comme l’autre…

Ces trucs-là, quand on y pense, ça vous remet du printemps dans les veines et, par conséquent, de l’optimisme. Balthazar sentit en lui comme une vague chaude. Tout devenait simple. Tant pis pour les flics qui rôdaient sous la pluie, eux aussi, à la recherche d’un homme. Tant pis pour la police, comme dit la chanson. Tout, miraculeusement, lui semblait effacé, comme si le bon Dieu lui avait pardonné et le lui faisait savoir par des moyens détournés, en lui injectant du miel dans l’âme.

Pourquoi, bon sang, s’était-il laissé prendre, jusqu’à présent à tous ces pièges de la peur ? Pourquoi avait-il adopté à l’égard de Gisèle cette attitude équivoque ?

Il entra à nouveau dans un bar et, à nouveau, il demanda un cognac. Ça lui donnerait le temps de réfléchir. Dans la foule, ce n’était pas possible. Avec tout le peuple qui se trimballait ce soir, sur le boulevard de Clichy, le métier de piéton devenait aussi difficile que celui d’automobiliste. À chaque instant, il fallait éviter quelqu’un, doubler à gauche, sans parler des queues de poisson que certains se permettaient. Ça le rendait enragé : on n’avait le temps ni de regarder les vitrines ni de détailler les filles, encore moins celui de penser.

Naturellement, ça ne plairait pas à Gisèle ; on aurait dit qu’entre elle et les bistrots une guerre sournoise était déclarée ; comme toutes les femmes ; elle ne pouvait pas les encaisser, et chez elle, ça prenait vraiment des proportions graves. Mais ce soir, ce serait le dernier petit verre. Le dernier, c’était juré. Après, il irait la retrouver.

Il se faisait une telle joie de cette rencontre qu’il souriait tout seul, comme un idiot. Il imaginait la tête qu’elle ferait en l’entendant derrière la porte, il sentait déjà ses bras, tiédis par la chaleur du lit, autour de son cou.

Lui, il apporterait du dehors l’odeur de la rue, de la pluie et des ténèbres, des bribes de parfums rencontrés au hasard de la nuit. Il quitterait vite tout cela en abandonnant ses vêtements et bientôt il serait nu dans son lit. Là, les flics pourraient toujours le chercher. Ils pourraient cavaler pendant cent dix ans avant de l’agrafer. Son signalement n’était pas aux Sommiers et ce serait bien le diable si… Le taulier ne ferait pas d’histoire, il s’en chargerait. Il savait qu’avec un peu d’oseille, tout finit par s’arranger. S’il fallait faire une fiche, il la ferait. Il la ferait sous un faux blaze, bien entendu. C’était une boîte dans laquelle on était d’autant moins curieux qu’il n’y avait jamais eu d’histoires. Elle vivait sur sa réputation. Elle hébergeait des fonctionnaires, des employés de commerce qui perchaient là depuis des années, payaient régulièrement leur semaine, se trottaient le matin. Le soir, ils étaient tellement éreintés qu’ils n’éprouvaient pas du tout le besoin de faire la java.

C’était donc la meilleure planque qu’un homme traqué puisse rêver. Les flics n’y mettaient jamais les pieds.

Naturellement, il raconterait tout à Gisèle. C’était une fille bien, elle comprendrait tout de suite. Et puis, d’ailleurs, elle l’aimait. Il en était persuadé, comme tous les hommes lorsqu’ils pensent à leur femme ou à leur maîtresse. Une femme amoureuse pardonne tout à son mâle.

Il but son verre d’un trait, paya et sortit. Sur le trottoir, il croisa un type qui lui lança un sale regard. Peut-être remuait-il des rêves haineux ou des combinaisons insolubles ? Mais chacun fut effrayé par l’autre.

Balthazar hâta le pas. Et, au coin de la rue Coustou, il se trouva nez à nez avec un homme qu’il connaissait. Il n’aurait pas pu dire son nom, mais il le connaissait. Ils avaient longtemps fréquenté le même bar et il savait que cet homme était un mac. Il avait toujours trois souris en permanence sur le trottoir. Il arrivait ainsi à se faire vingt à trente sacs par jour.

Le type sourit, cligna imperceptiblement de l’œil et passa.

Bien sûr, il n’avait rien à voir dans cette histoire, il se lavait complètement les mains d’une affaire qui ne le concernait pas, mais il terrifia Balthazar. S’il avait rencontré cet individu, il n’y avait aucune raison pour qu’un jour ou l’autre il ne rencontrât pas et, cette fois, à l’improviste, un des croquants de la bande à Scipioni.

Or, c’est un métier dans lequel la première qualité, c’est de tirer vite, et le premier. Il suffit d’un quart de seconde de retard pour prendre un chargeur dans le ventre et aller voir dans les nuages si les flics du bon Dieu sont plus indulgents que ceux de tante Marianne.

Balthazar estimait qu’il n’avait pas l’âge pour une pareille expérience. Il se dit qu’il était temps de quitter le quartier et d’aller rejoindre Gisèle. Au fond il n’était pas fait pour ce genre d’aventures. Passe encore de mettre son nez un peu plus loin qu’il ne faudrait, mais cette série de meurtres ne lui disait rien du tout. Il était dépassé par les événements.

Il fendit la foule encore plus rapidement et arriva à la station de taxi, place Blanche. Le premier chauffeur se refusa absolument à l’embarquer, estimant la course dérisoire. Il finit par sauter carrément dans un taxi en maraude et prendre l’air méchant. Le bonhomme n’osa protester et le livra entier à la porte de Gisèle.

C’était là qu’il fallait faire gaffe. En plein jour, monter dans un hôtel, ça va encore, mais la nuit ce n’est pas pareil. Et même si le taulier l’apercevait, les explications seraient difficiles.

Un avis, qui avait force de loi, collé contre le mur, affirmait qu’il était interdit aux étrangers à l’hôtel de rester dans les chambres des locataires passé dix heures.

Tu parles ! elles étaient loin, les dix heures ! Il était au moins deux heures et demie du matin.

Naturellement, la porte était fermée. En d’autres temps, Balthazar n’aurait peut-être pas osé faire la moindre chose, il aurait tourné les talons et aurait filé en mâchonnant sa rancœur. Mais au point où il en était, il ne pouvait plus hésiter, il jouait son dernier atout. Il fallait tenter le coup. Il ne pouvait aller nulle part, même pas à l’Armée du Salut où ils sont, comme chacun sait, encore plus indicateurs de police que n’importe quel taulier, même le plus vicieux. Il ne lui restait que Gisèle et il fallait prendre rapidement une décision.

Comme tous les faibles, ça lui demandait beaucoup d’efforts, au départ, mais ensuite, lorsqu’il partait sur sa lancée, une locomotive venant en sens inverse ne l’aurait pas arrêté.

Il s’approcha carrément de la porte et sonna. Le panneau joua avec un claquement sec, tandis que la lumière s’allumait. C’était tout ce qu’il y avait de moins souhaitable, mais maintenant il lui était impossible de reculer : la porte venait de se refermer derrière lui.

Il bredouilla un nom incompréhensible et commença à grimper l’escalier, le plus rapidement possible. Au rez-de-chaussée, personne ne broncha. Le taulier ne s’était même pas réveillé. Il avait instinctivement ouvert la porte, puis il s’était rendormi sans même prendre garde au client qui entrait.

Au premier étage, Balthazar ralentit son pas et essaya de faire encore moins de bruit. Il montait lentement, la main sur la rampe, l’œil mobile. Il essayait de mettre son pied à l’endroit qui ne craquerait pas, mais, comme toujours en ces cas-là, à chaque marche, un claquement de fouet déchirait le silence. Il avait beau tâter auparavant, de la pointe de son soulier, ça ne lui donnait aucune indication valable. Le terrain qui, à première vue, semblait aussi sûr qu’un boulevard se révélait traître comme une plage bretonne.

Et ce n’était pas fini. Gisèle habitait au quatrième. Il y avait quarante-huit marches depuis le rez-de-chaussée, ce qui équivalait à quarante-huit coups de feu, sans parler des lattes du palier qui n’étaient guère plus discrètes.

Enfin Balthazar débarqua au quatrième, juste comme la minuterie, ayant jugé son travail suffisant, s’éteignait.

Balthazar tourna à gauche et suivit le couloir. Le plus grand danger, c’est-à-dire le taulier, était passé. Il n’avait plus à se gêner, en somme.

Il partit à tâtons et, tout à coup, il s’arrêta brusquement. Son cœur sautait dans sa poitrine. Une lame d’or glissait au-dessous de la porte de Gisèle. Sans doute n’était-elle pas encore couchée.

Un murmure étrange venait de la pièce, saccadé, haletant. En même temps, Balthazar entendait le grincement rythmé d’un sommier métallique.

Cela pouvait venir d’une autre chambre. Elles étaient toutes sans reflet, sur le palier ; mais ça ne prouvait rien, au contraire.

Balthazar avait l’intuition très nette que cela venait de la pièce qu’occupait Gisèle.

Il se rapprocha rapidement et écouta. Il n’y avait plus de doute, le bruit venait de là. Quelque chose de cruel lui tordit le cœur. En même temps, il lui sembla qu’une immense faiblesse s’emparait de ses jambes, comme si toute sa vie pesait sur elles, tout à coup. Puis une sorte d’incendie grimpa le long de ses mollets, en frissons courts, escalada son ventre et se perdit dans ses cheveux. On aurait dit que le sol devenait électrique.

Il mit la main sur la poignée de la porte et la tourna. La porte s’ouvrit. Dans leur fièvre, les autres n’avaient pas pensé à la fermer à clef.

Balthazar ne vit d’abord que le dos d’un homme, nu. Deux jambes fines se nouaient autour de ses cuisses. On aurait dit qu’il dansait. Des bras de femme serraient son dos et, au-dessus de l’épaule, Balthazar vit le visage crispé de Gisèle.

Ses yeux étaient fermés et sa bouche ouverte laissait échapper le gémissement que Balthazar avait d’abord entendu. La fille griffait le dos de l’homme et ses hanches se cambraient selon un rythme précis.

Balthazar était debout au milieu de la pièce, les jambes écartées, hagard, le chapeau en arrière. Dans sa main droite, son mauser tremblait. Des mèches brunes et trempées sortaient de la coiffe de son chapeau, balayaient son front trempé à la fois de sueur et de pluie.

— Salauds ! hurla-t-il.

La fille arrêta net son mouvement voluptueux et ouvrit les yeux. Elle ne cria pas. On aurait dit que quelque crabe géant lui serrait la gorge.

Son partenaire glissa sur le côté et, lui aussi, ouvrit des yeux ronds. Il ne connaissait pas Balthazar et ignorait même son existence. Il ne comprenait pas cette intrusion.

Et ce qu’il comprenait encore moins c’était la présence de cet énorme revolver, dans la main de l’homme. Il était encore sous l’influence du désir et tout ce qui n’était pas ce désir lui était étranger.

Mais peu à peu, il réalisait qu’il s’était fourré dans un sale pétrin. Ce type-là, sans aucun doute, avait des droits sur cette fille. Lui, évidemment, il n’y pouvait rien. S’il fallait demander à chaque femme qui vous reçoit dans son lit où elle en est avec son dernier amant, ce serait fastidieux et fort décevant.

— Ne tirez pas ! cria-t-il.

— Lève-toi, Gisèle, dit Balthazar.

Elle ne reconnaissait pas la voix. Celle-ci avait un timbre métallique qu’elle ne lui avait jamais connu, même aux pires moments. En outre, il parlait doucement, à voix presque basse et c’est précisément ce qui l’inquiétait. Instinctivement, elle savait que les gens qui hurlent sont rarement les plus dangereux. Avec eux, ça finit toujours par s’arranger. Ce sont les autres qui sont mauvais. Ils portent en eux une détermination que rien ne peut ébranler. Et, en effet, peu à peu la main de Balthazar s’affermissait. Le revolver ne tremblait plus.

Ses lèvres se plissèrent en un rictus amer.

— Je t’aimais, Gisèle. Tu étais le seul être au monde qui me restât.

— Balthazar ! cria-t-elle.

Elle sauta du lit et essaya de s’approcher du jeune homme. Mais il la repoussa et elle alla heurter le mur. Elle n’osa plus avancer et se tint toute droite, une main essayant de cacher son ventre souillé.

— Ne tirez pas ! répéta le type, affolé.

— Toi, ta gueule ! répondit Balthazar.

Il leva son automatique et fit feu. La première balle déchiqueta l’épaule gauche du mec. La main de Balthazar n’était pas encore tout à fait sûre. Le deuxième pruneau traversa la poitrine ; mais, avant que le type se soit écroulé, le jeune homme eut encore le temps de lui placer une balle juste dans le bas-ventre, à un endroit précis.

L’autre ne pouvait même plus hurler. Le sang coulait de sa poitrine et de sa bouche. Ses deux mains se pressaient sur son ventre et le sang giclait, entre ses doigts, à chaque foulée du cœur.

Il n’était pas beau à voir, la bouche ouverte, sanglante, les yeux exorbités par l’épouvante. Et, nu, il s’avançait vers Balthazar comme un fantôme torturé. Une quatrième balle lui fit sauter la boîte crânienne et l’homme s’écroula.

Gisèle n’avait même plus la force de hurler. Elle s’était réfugiée dans un angle de la pièce et essayait, aurait-on dit, d’entrer dans le mur. Ses mains avaient abandonné son sexe et elle mordait tellement ses doigts que le sang coulait le long des phalanges.

— Non ! souffla-t-elle… non, Balthazar, je ne veux pas… je t’en supplie, je ne veux pas.

Balthazar leva lentement son feu. Il n’avait plus de pitié et peut-être plus de haine. Est-ce qu’on avait eu de tels sentiments à son égard ? Est-ce qu’il avait seulement droit, maintenant, à des sentiments pareils ? Il était un type foutu, il le savait bien et il n’y avait aucune raison pour que les autres ne soient pas foutus en même temps. Ce ne serait que justice. Ils lui en avaient assez fait baver, les autres, alors qu’il était sans défense. Maintenant c’était à lui de rigoler. Et il avait l’intention de rigoler, précisément.

Il avait même commencé à se marrer il y avait quelques jours de ça, lorsqu’il avait liquidé Moreno.

Ça, c’était le premier pas. Les autres avaient suivi, comme les anneaux d’une chaîne.

Et maintenant, il était lancé. Rien ne pourrait plus l’arrêter. Il allait épurer ce quartier de putains et de salopards, on allait voir comment. Chacun pourrait, désormais, faire gaffe à sa barbaque.

— Non ! supplia Gisèle.

— Tais-toi ! murmura Balthazar, d’une voix rauque.

À nouveau, il leva son feu et le pointa sur la poitrine de la fille. Il visait la pointe du sein gauche, le premier sein qu’il avait vu, lorsqu’elle était devenue sa maîtresse, le premier soir où il l’avait déshabillée. C’était un souvenir trop doux et trop précis.

Le Don Juan étendu sur la descente de lit achevait de rendre l’âme et le raisiné.

Les coups de feu éclatèrent comme des pétards. La première balle pénétra, en effet, dans le sein gauche, l’autre dans le nombril.

Les yeux de Gisèle s’agrandirent encore. Tout cela lui paraissait invraisemblable. Elle ne parvenait pas à admettre qu’il puisse, lui arriver à elle un de ces trucs qu’on voit dans les journaux et dans les romans.

D’autant plus qu’elle n’avait pas mal. Les blessures lui avaient fait à peu près le même effet qu’un coup de bâton. C’est après que ce serait douloureux. Ça l’aurait même presque laissée sans inquiétude, si elle n’avait pas senti l’air pénétrer en sifflant dans sa poitrine trouée. Et le sang ruisselait de son sein crevé.

— Balthazar ! souffla-t-elle, d’une voix déjà éteinte, je t’aimais, Balthazar !

Et elle se mit à pleurer, silencieusement.

Une détresse immense envahit Balthazar. Il ne pouvait plus voir ce corps sanglant, qu’il avait tant aimé, ni ces yeux suppliants.

Une nouvelle fois, il leva son mauser et tira. Cette fois, comme pour l’homme, la balle pénétra en plein front.

Le visage de Gisèle devint immédiatement écarlate et elle plongea en avant, foudroyée.

Balthazar ne jeta même pas un regard derrière lui. Il referma la porte et descendit, le calibre en batterie. Mais personne ne l’inquiéta. Il ne devait y avoir aucun locataire au quatrième étage et, au-dessous, personne n’avait entendu les détonations. Quant au patron, il dormait toujours du sommeil de l’innocence.

Et Balthazar reprit sa route sous la pluie.

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