A Jean Dutourd,
Cette littérature assez peu académique,
mais que j’espère marrante tout de même
« Nul ne fut jamais grand sans un souffle de l’inspiration divine »
La bagnole possédait une carrosserie italienne. La fille aussi, probablement.
L’une, comme l’autre, mobilisait les regards, mais les deux réunies t’énucléaient littéralement.
La seconde avait quelque peine à ouvrir la première.
Je me précipitai, en regrettant que ce ne fût pas la deuxième qui fût à ouvrir.
Mais qui savait…
La fille s’obstinait à vouloir faire pénétrer dans un trou de serrure une clé qui n’avait jamais été conçue à cette intention.
Elle rageait entre ses dents, et dans la langue du Dante, ce qui équivaut à rager doublement.
Le moment étant venu pour moi d’intervenir, j’intervenis.
— Des problèmes, mademoiselle ? demandai-je en italien de fortune (de bonne fortune, espérais-je).
Elle se retourna, me vit, ne parut pas contrariée d’avoir à me regarder, me sourit même, et murmura :
— Les problèmes qu’une idiote peut avoir quand elle confond les clés de son bureau avec celles de sa voiture.
Je lui fis alors discrètement remarquer qu’elle n’avait qu’à remonter à son domicile pour rectifier l’erreur. Elle rit de plus rechef, à belles dents éclatantes, à belles lèvres rouges et charnues, à mutines fossettes et m’expliqua qu’elle demeurait au diable vauvert, ce qui n’est pas la porte d’à côté, et qu’elle avait frété un taxi pour venir récupérer sa bagnole, laissée en ce quartier résidentiel de Rome à l’issue d’une soirée que je devinais tumultueuse (des amis l’avaient déposée chez elle au petit jour, me dit-elle).
Je lui proposai alors de la ramener à son home. Elle parut hésiter, mais, ayant consulté sa montre, murmura :
— Je suis tellement pressée… Il n’existe donc aucun moyen de mettre une voiture en marche quand on n’en possède pas les clés ? Comment font les voleurs, alors ?
Moi, gros bras tout plein, matamore, haleine fraîche, de lui virguler le sourire Email Diamant des magistrales occases.
— Ils font comme ceci, jolie demoiselle.
J’extirpe mon sésame. Cric-croc-crac… La portière est délourdée. Ensuite je m’attaque au plus duraille : le contact. La chignole, pourvue d’un antivol, récalcitre. J’obstine. Ah ! ma vache, tu ne vas pas faire perdre la frite au beau Sana quand il en installe devant l’une des plus ravissantes personnes d’Italie, merde ! Où ça va, ça !
A force de trifouiller, de bricoler, d’actionner ceci, cela, le reste, vron vron vraoum ! le moulin cède et tourne.
La gonzesse me déclare que je suis le gars superman en chair et noces, atterri opportunément dans son univers. Elle m’écarte pour s’installer au volant. Ce faisant, elle pose ses escarpins et retrousse sa jupe ! Vingt gu ! De quoi guérir de la cataracte tout l’hosto des Quinze-Vingts !
J’en goinfre mes rétines avides.
— Quand t’est-ce qu’on se revoit, signorina ? bredouille une voix conne qui doit être la mienne, tant elle est parfaitement imitée.
— Bientôt, répond négligemment la trop belle en démarrant.
Je regarde foncer la bagnole : une Daimler 12 cylindres blanche.
Qu’à ce moment des gonziers surviennent en hurlant au voleur, me ceinturent, me grêlent de coups, m’emportent chez des messieurs carabiniers beaux comme des bites peintes avec leurs cartouchières en toile cirée, leurs futals à bandes rouges bien repassés et leurs moustaches gominées impec.
Le lendemain, dans tous les baveux romains, c’est écrit à la une, la deux, voire la trois à l’extrême rigueur, qu’un commissaire français en tourisme s’est rendu coupable de complicité de vol. Les journalistes italoches gorgechaudent à s’en fouler le poignet (ce qui n’est pas un luxe, mais une luxation).
Me reste plus qu’à plier bagage.
D’autant qu’on a foutu une photo de ma pomme plein écran, l’air anthropométrique en diable, avec un regard fixe et angoissé de chat en train de déféquer.