CHAPITRE XVIII

Eh oui, force m’est d’en convenir.

Force m’est de me rendre tu sais où ? A l’évidence.

Forces motrices et autres…

Ma sublime Chinoise est un Chinois !

Que faire ? Que dire ?

Je reste bras ballants, brimbalants, devant cette bricole d’à peine douze centimètres de long sur deux et demi de diamètre.

Et sans voix.

Pas le moment de piper mot. A moins d’appartenir à la gentille confrérie des limouilles à pan court.

Colère ?

Plutôt déception.

Revanche ?

Qu’à quoi good ?

La lui couper ?

Il faudrait pour cela la toucher et, même avec des pincettes, je m’y refuse.

Rire ?

Jaune, ça oui.

Bref, devant cette petite bite, le con, c’est moi. Qu’il serve tôt en sol mineur n’infléchit pas ma totale déconvenue. J’ai la viandasse en grande peine. Le zob au désespoir.

Voilà que je lève un travelo chinetoque ! J’ai refilé cent dollars à un mataf pour qu’il me ménage cette intimité avec une superbe créature qui possède toutes les qualités physiques qu’on peut trouver réunies dans un même corps, mais hélas un seul défaut : être bon gré mal gré de sexe masculin.

Alors, hmmm ? Quoi ? Devenir pédoque dans la foulée ? Me convertir ? L’homosexualité existe : je l’ai rencontrée ? Impossible. On est comme on naît.

Et Césarin attend mon bon vouloir. Que dis-je ! Mon bon plaisir.

Je me redresse… Tâche de te montrer à l’hauteur, Tantonio San-Antoignon ! Petit canaillou. Toujours digne des circonstances, qu’elles soient saugrenues ou saulisses.

— Je vous prie de m’excuser, mon colonel, dis-je, j’ai oublié mes lunettes.

Je pique un nouveau bifton dans ma vague. Dessus, malgré le mot dollar, on peut y voir le portrait de Votre Majesté Elisabeth II, Couine, dont on se demande ce qu’elle vient glander sur de la monnaie chinoise ; qu’elle va avoir l’air fin, la mère, en bout de bail (en 1999 je crois ?) lorsqu’elle devra reprendre son sceptre de camping pour rentrer à la maison.

Je dépose la money sur la bibite de mon partenaire démarqué, ce qui suffit amplement à la dissimuler aux possibles convoitises.

Les quelques marches de cet escalier, que je croyais être celui de la félicité, ressemblent maintenant aux degrés d’une potence. J’ai le cœur et la braguette lourds. Une confuse envie de chialer.

Rien ne boume dans cette affaire. Sauf l’essentiel : nous avons échappé au colis piégé. J’aurais dû réveiller le Gros, terrassé par les fuseaux horaires. Si nous avions été deux, ça ne se serait pas passé comme ça. Le couple ne m’aurait pas bité de première et je ne me serais pas laissé aller à séduire cette étonnante fiote.

Assis tout au fond de l’autobus hydroglissant, je contemple la mer de Chine, des îles vertes au loin, quelques bateaux pittoresques comme sur des gravures de jadis. Qu’on imagine des corsaires à l’abordage, et des princesses capturées, réduites en esclavage doré, à tailler des pipes et des plumes aux mandarins KU RA ÇO.

Le barlu bolide. Vaincu par la fatigue, les émotions, le branli-branla de la machine, je finis par m’assoupir. Et probablement à m’endormir tout à fait parmi ces Jaunes qui continuent de bouffer d’étranges pâtisseries et d’écluser des boissons aussi américaines que gazeuses.


Macao, l’Enfer du jeu…

Au patronage, on nous passait ce vieux film, les jeudis pluvieux. Me rappelle plus la distribe. Pourtant, des visages de troisième couteau me frétillent dans les souvenances. Casino, tapis noir (y avait pas la couleur), vamp équivoque, bayard en smoking blanc. Macao, l’Enfer du jeu. Une époque. Ça date de Victor Hugo à présent. Tout s’engouffre dans le concasseur, s’y malaxe. Léopoldine, Macao, Mme Curie, Marthe Richard. De Gaulle, bientôt. Presque, même. On s’achemine, quoi. Faut du temps pour piger ça, un peu plus pour l’admettre. Mais bon, vivement qu’on crève. En finir avec les illuses, et surtout les désilluses qui en consécutent. On a cru à trop de trucs impossibles. On s’est laissé haler par trop de rêves. On marchait dans le néant sans le savoir. Va falloir rentrer, mes frères. Regagner l’Infini. On n’était venus que pour chercher la sortie. Regarde : c’est la petite porte noire que tu aperçois là-bas, dans le fond du décor, près de la lance d’incendie. Y a écrit « Accès interdit », mais tu peux la pousser quand même, et aussi la laisser ouverte, le Blount s’en chargera.

Macao !

Nous y v’là ! C’est pauvret d’abord. J’aperçois un pont interminable qui s’en va dans la mer, comme pour faire chier les bateaux, et qui disparaît, tout loin, tout loin dans la brume de chaleur posée sur les flots.

Macao, c’est une colline, avec une façade d’église rococo, juste une façade ajourée, dressée contre le ciel. Tu franchis le porche, le bon Dieu est tout de suite derrière. Et puis Macao c’est ce quai grisâtre, cradingue, encombré. Quai de n’importe quel port maussade. Des bâtiments branlants, des véhicules mal portants, quelques rafiots éclopés, des rails sûrement inutiles, des grues rouillées, une odeur de misère et d’épices ; des gens sans joie, mal fagotés.

Un bord de mer qui n’arrive pas à être gai, malgré les arbres, le soleil, les couleurs.

Ici les services de police et de douane ne sont pas aimables du tout… Moi je me disais : portugais, tu parles ! Portugais comme un pinson (elle n’est pas de moi, ce qui fait que je l’emploie volontiers) mes fesses. Revêche, oui, bouille hermétique. Chinois, tendance Populaire, faut dire. No rigolade !

Pressé dans le flot des débarquants, je cherche « ma Chinoise » du regard. Ne l’aperçois pas, tant mieux, je n’ai pas la moindre envie de la revoir jamais. Qu’elle aille se faire foutre par des amateurs plus éclairés du popof que moi ! Bon vent dans ses chères voiles !

Je m’annonce le Saint-Siège vers le pas marrant qui épluche les passeports. Et voilà que j’ai beau explorer mes vagues, je ne parviens pas à mettre la main sur le mien. Je l’avais au départ, cependant, puisque je l’ai produit aux autorités de Hong Kong. Merde en branche ! Cela veut dire quoi ?

— Navré, fais-je au préposé. J’ai égaré mon passeport ; vous permettez ?

Je veux rebrousser la file pour aller fouinasser autour de la banquette que je viens de quitter, mais il s’interpose :

Just a minute, please !

Il me fait signe d’attendre.

Attendre qu’il en ait terminé avec les autres passagers qui dépassagent. C’est longuet. Par les vitres, je vois des cars ferraillegineux dans lesquels les gens s’engouffrent. Touristes, touristes ! La grande confrérie des Nikons’ brothers. La prise de Beûrgh Hop Zoom !

Lorsque le dernier pèlerin a quitté le bord, l’irascible poulaga se raperçoit que j’existe.

— Alors, passeport ? m’interpelle (à gâteau)-t-il rudement.

— Il a dû glisser de ma poche, si vous permettez que je fasse des recherches près du siège que j’occupais…

Il me défrime vilainement, l’air d’un à qui tu as vendu une bagnole dont le carter a explosé au tournant de ta rue.

— Je l’avais, puisque je suis monté à bord, crois-je bon de commenter.

Je rebrousse en direction de la cabine inférieure. Il me suit, mécaniquement. Sa casquette plate posée bien à l’équerre sur sa tête de nœud volant. Tu croirais qu’il tient un plat à hors-d’œuvre en équilibre sur la tronche. Il est fluet, mais plein de muscles et un gros pétard à crosse noire lui bat les miches.

Je procède à des recherches rapides et inefficaces.

En même temps que mon passeport, mon argent et quelques papiers de moindre importance ont disparu. Je commence à penser qu’on me les a volés !

Et, bien entendu, t’as pas besoin de me bricoler un encéphalogramme pour lire dans ma pensée, n’est-ce pas, mignonnette ? Toi aussi, tu te dis que la Chinoise à biroute m’a opéré en extrême douceur. Elle m’a aguiché, mine de rien, mine de tout, m’a « levé » (et fait lever) et puis, hop ! Par ici la good soup ! Bye-bye le larfouillet du pigeon. Car je suis pigeon du début à la fin, mézigue, dans ce bateau-lavoir. A Rome, déjà, quand j’ai joué l’empressé pour aider la belle Antonella à faucher la chignole de Corvonero…

— Suivez-moi ! enjoint mon petit flic auquel son revolver pourrait servir de canne.

Quelle équipée merdatoire, Seigneur ! Des complications ! Des tracasseries ! Je devine que je ne suis pas encore sorti de l’auberge. Et pendant ce temps-là, Béru roupille et le couple de petits malins se consacre à ses activités mystérieuses.

Mon poulet hèle des potes à lui. Il cause dans une langue qui ressemble à un solo de xylophone.

Deux gonziers en uniforme, du même gabarit que le premier et tellement semblables à lui, qu’il conviendrait de les numéroter pour les reconnaître, me prennent en charge.

Moi, l’univers asiate m’inquiète, à cause de ce qui constitue pour nous un infernal mimétisme. Ils sont à peu près tous pareils, les aminches. Ça te file le tournis cette multitude d’êtres qui semblent tirés au duplicateur.

On quitte l’hydromachin pour se diriger vers une voiture japonouille qu’a écrit Police dessus en caractères plus conséquents que ceux du « Port-Salut ». En Asie, tout est japonais, sauf parfois les habitants. Mais les denrées, les chignoles, les machines viennent du pays des geishas ; valeureuse nation dont le drapeau ressemble à un viol dans le Grand Nord Canadien. Expansion économique ! Peuple de travailleurs acharnés ! Et mon cul, tout bien. Le péril jaune est tarifé ! C’était lui. On attendait Mao, ce fut le Mikado ! Merde, achetez européen, les gars, je vous conjure ! Soyez pas toujours suicidaires. Déjà qu’ils infiltrent nos grandes boîtes, les samouraïs ! Rachat d’actions ! Apport de capitaux ! Nani nanère ! L’enculade pommadée Fleur de Lotus !

On va se réveiller avec la jaunisse, un de ces quatre. Déjà qu’on a les Nikon, les Yamamoto. Le Bol d’or est devenu bol de riz, tas de cons ! A dada sur mon dragon ! Fume, c’est de l’opium ! Son Excellence Kami Kazé à l’Hé Li Zé ! Comment qu’ils vous l’introduisent, messieurs les photographes. Nippon, ni carré, ni pointu !

In the babe ! Achetez européen, les gars, ou africain, ou océanien, sinon je te vas vous rédiger mes polars en commençant par la dernière page et les signer SA NA TO NIO.


Et, or, donc, me voici emballé propret. Au volant, un troisième glandu mâche du chewing-gum. Il décarre en trombe, sirène au vent. Je suis frais, mécolle, avec ces trois têtes de pinceaux usagés sous leur kebour-galette !

Le bord de mer défile. On passe devant quelques immeubles neufs. La chaussée est encombrée de pousse-pousse tirés par des pédaleurs agiles. Chine d’autrefois ! Traction humaine ! Bol de riz ! Coup de pompe dans les noix !

Des vieillardes coiffées de chapeaux de paille coniques vendent des machins bizarres à des conskodak. Il fait un soleil à se marcher sur l’ombre. On parvient dans le centre de Macao, là que se dresse le casino number ouane, circulaire, plein de dorures et chamarrances, plâtres, marches, colonnes. La foule, à nette dominante jaune, investit ce palais des mirages. En face, la mer, de côté des jardins où sont rangés d’autres pousse-pousse peints en vert et rouge. On remonte une avenue. On oblique dans une voie populeuse. La misère te bondit dessus, éternelle, partout — ou presque — la même parce qu’elle n’a qu’un visage.

La tuture policière fend la populace de sa sirène suraiguë. Elle se pointe dans un bâtiment de style ibérique, avec des grilles ouvragées aux fenêtres, des frontons moulurés, des portes à caissons.

Une cour pleine d’autres chignoles à poulets. Comme la misère, la flicaille est identique à travers l’univers. Un porche, un hall très beau, dallé, qui sent la poule et le caveau de famille. Mais la façade et le hall sont les ultimes vestiges de la noble construction initiale. Le reste a été bouffé par une administration sans, tu sais quoi ? Vergogne.

Tout y est laid, sale, et très con. Portes vitrées aux carreaux fendus. Avis en portugais et en chinois, placardés un peu partout. Comptoir de formica lépreux. Poulets glapisseurs. Ecume d’humanité amenée là sans ménagement, sournoise ou hagarde, insolente ou résignée.

On me happe, me pousse aux reins. Je renonce à regimber, soucieux de ne pas aggraver mon cas. Me voilà drivé dans un burlingue dégueulatoire, peint jadis couleur merde et qui s’est mis à la sentir. Une table de fer, des téléphones, de la paperasserie inconsultable. Et, assis, un énorme poulardin sang-mêlé. Pas tout à fait jaune, plus tout à fait blanc, grisâtre, plutôt, style cirrhose, trois mentons copieux, un regard de grenouille aux paupières pare-balles, le front, dégarni avec des cheveux qui frisottent sur les rives d’une calvitie blafarde. Entre ses grosses lèvres en rebord de chapeau melon, un bout de cigare à la sauce brune, éteint, qui lui chie dans la bouche. Un chef, quoi ! Un flic lui raconte. Le gros écoute en rotant nostalgiquement des trucs qui ne devaient pas être comestibles au départ.

Puis laisse tomber une pincée de syllabes. Qu’aussitôt, l’un de ses sbires se met à me fouiller minutieusement.

Je continue de me contenir bien qu’une caravane de fourmis défile sur mes phalanges. Ce gus, si je lui votais la châtaigne qui me vient au bout du bras, il décollerait de terre et traverserait la pièce sans escale, promis !

Tout à coup, ses mains fiévreuses se rassemblent dans mon dos, me triturent. Il m’aboie de poser ma veste. Ce dont. Qu’illico, il l’étale sur le plancher, s’agenouille et décroche un sachet de soie proprement épinglé à la doublure du vêtement. Moi, un éclair, j’ai pigé. Me voici misé à mort. Plus viandé profond que je ne l’imaginais. Le ravissant pédoque chinois, c’était pas seulement un pickpocket, il s’agit en fait d’un complice de mes polissons italiens. Un crack de la manipulation chargé de me faire tomber. Boulot d’artiste : il m’a secoué mes fafs, ce qui entraînerait mon interpellation par la police de Macao, et en supplément, m’a cloqué de la came de manière à ce que ce soit le méchant embastillage. Alors là, mes pauvres choutes, c’est plus que mal barré pour ma pomme ! J’ai beau être poulet de France, surdoué, noté extra, protégé par ses chefs vénérés, ça ne m’empêchera pas de tirer mille ans de taule pour trafic de stups ! On ne badine pas avec ce genre de babiolerie à Macao. L’influence de la Chine Populaire y est très forte et la vie y devient un peu guindée, si j’ose cette périphrase.

Ça gazouille à toute vibure dans le burlingue. Le mec a posé le sachet sur le bureau du gros chef qui se hâte de l’ouvrir avec son ya et de plonger son doigt dedans. Il renifle. Goûte. Un rire large comme une césarienne permet une vue impec sur sa denture pourrie.

Il me considère avec une espèce de barbarie bienveillante. Il me sait gré du cas intéressant que je lui fournis. Toujours ses petits malfrats, voleurs de touristes, il en a quine. Enfin une affaire authentique.

— Cocaïne ? il me fait gentiment.

— Ou levure alsacienne, j’y rétroque.

Il soupèse le sachet.

— Deux cents grammes ?

— Ça me paraît beaucoup.

— En tout cas plus de cent ! il affirme.

Tu croirais une converse chez le commerçant à propos d’une truite ou de n’importe quoi de banal.

Il exhale un rot qui n’a rien de commun avec ceux qu’exprime Bérurier. Un rot en fuite de gaz, interminable, chargé de relents qui croissent en infamure au fur et à mesure que ce souffle d’enfer se développe.

— Qui êtes-vous ?

— Un officier de police français.

J’ajoute :

— Victime d’une petite machination. J’étais sur la trace de gangsters internationaux qui ont trouvé cet astucieux moyen de se débarrasser momentanément de moi.

Le gros mec a une mimique compatissante.

— Le moment risque d’être long, fait-il.

— Il ne sera pas difficile d’établir mon identité. Un coup de télex à Paris et vous saurez que je dis vrai.

Mon interlocuteur réfléchit. Je crois que c’est pour déclarer un truc intéressant, mais il était seulement en gésine d’un nouveau rot, beaucoup plus nuancé que le précédent.

Je reprends.

— Je suis le commissaire San-Antonio, des Services Spéciaux.

Le roteur opine.

— Attendez un instant, quelqu’un procédera à votre interrogatoire d’identité. Ce que j’aimerais savoir c’est à qui était destinée cette came.

— Je vous répète que j’ignorais tout de la présence de cette drogue…

— A l’intérieur de votre veste ?

Et il éclate d’un rire bref : sa partie européenne. La partie chinetoque reprend le dessus et mon terlocuteur retrouve son masque de gros magot bouffi.

— Écoutez, fais-je en essayant de ne pas trop laisser transpirer mon angoisse dans ma voix, comme l’écrit Léon Zitrone dans son remarquable ouvrage titulé Hip Hippisme Ruade ! Écoutez, je vous répète que je suis officier de police, jouissant d’une réputation au-dessus de tout soupçon et qu’il est impensable d’envisager que j’aie pu tremper dons un minable trafic de drogue !

Seulement, lui, ça ne l’époustoufle pas la moindre, une telle perspective.

— A votre tour de m’écouter, dit-il. Que vous soyez français, je m’en fous. Que vous soyez officier de police, je m’en fous encore. Et que votre réputation, là-bas, fasse la pige à celle de la Vierge Marie, je m’en fous toujours. Je veux le nom de votre correspondant à Macao. Et je le veux tout de suite. Mais alors, tout ce qu’il y a d’immédiatement. Pour moi, vous êtes un émigrant sans papiers trouvé porteur de cocaïne, et je n’ai pas à chercher plus loin que le nom du type à qui vous deviez la remettre, c’est clair ?

Un dramatique sentiment d’impuissance me ravage la pensarde.

Je sens qu’il va se mettre à vaser des calamités, ma belle. Tu peux préparer ton pot d’onguent. Pas le gris : l’autre !

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