CHAPITRE IV

L’hôtel Naples et Venise se situe parmi les palaces fatigués, promis à brève déchéance aux pics des marchands de clapiers. Chaque étage pourrait en contenir deux. Les fastes anciens partent en couille (ou en quenouille, pour les fileuses) et l’on y découvre, dans les bergères Luigi-le-Quindicesimo des vieillards momifiés par le temps, à peau jaune, à fausses dents fausses, fringués comme dans les planches en couleur du Larousse réservées au costume à travers les âges.

Nous y occupons une suite princière : deux chambres, un salon, deux salles de bains (dont les appareillages ont été retenus par différents musées d’Europe et des États-Unis) et une entrée ornée d’un lustre de Murano dans lequel j’aimerais vider un chargeur pour m’assurer que mon flingue ne s’enraye pas. Au mur des gravures aimables, style « Mam’selle se branle avec un seul doigt » : balancelle, robe à panier pour y mettre la main de l’homme, chien-chien frisotté, very grazioso. Béru en loufe d’émotion admirative.

— Les féculents, s’excuse-t-il, très mondain, contrairement à son habitude, parce que contaminé par l’ambiance.

Puis il confirme d’un rot mémorable qui décoiffe le gars de la réception chargé de nous faire les honneurs.

— V’z-auriez pas du bicarbonate de soude ? lui demande abruptement l’Hénorme.

L’autre qui n’a pas compris répond que non.

— Ça ne fait rien, rassure Alexandre-Benito, faites-moi monter du champagne, ça r’vient au même. Un magnum, hein ?

Là-dessus il se dépose dans un fauteuil qui n’attendait que ça pour baisser les bras.

Dans le milieu de l’aprème, Giorgio me téléphone, selon nos conventions. Mission remplie. Quand pourra-t-il enfouiller l’autre moitié de la liasse ? Dès que j’aurai la preuve qu’il a fait ce qu’il dit. Il n’aura qu’à me rappeler domani.

Le Mastard qui s’est fait grimper un second magnum de roteux convie le serveur à le goûter. Sa Majesté explique en trinquant que c’est ça le communisme selon Jésus : partager son Dom Pérignon. C’est beau, non ? Le loufiat en pleure d’émotion. Le Gros lui demande alors s’il ne serait pas possible de s’assurer la compagnie de deux jeunes filles très comme il faut et sachant sucer, manière de passer le temps. L’employé déclare qu’il va en parler au concierge et nous les voulons comment ? Brunes ou blondes ? Béru est partisan de toujours savourer les produits du terroir : qu’il s’agisse de vins, de fromages ou de gonzesses, alors il en veut une brune ; très italienne. Pour ma part je décline, alléguant que j’ai le dernier bouquin de Jean Dutourd à lire.

Bon, je gaze, pas te faire tarter avec de la barbe à papa, comme j’en sais des certains qui n’écrivent que pour causer ; quand je pense qu’on abat des arbres pour recueillir leurs incohérences, merde ! On ferait mieux de les y suspendre par le cou.

Je t’indique toutefois pour mémoire l’arrivée d’une fort belle créature, à fourrer vivante et toute crue. Je laisse discrètement Bérurier à ses ébats après avoir seulement participé aux tractations, car je dois inclure leur résultat dans notre note de frais à la rubrique « divers ». Le cher homme, ravi de cette existence de pacha, se prend pour un prince pétrolifère.

Un incident technique l’oppose à sa partenaire, concernant des ablutions qu’elle exige de lui préalablement, à quoi le Furax rétorque que l’amour pasteurisé, lui, merci bien : il raffole des venaisons. Et est-ce qu’il lui demande de se détartrer la babasse à Mlle la signorina ? Non, mon petit : il est prêt à lui groumer la case départ sans vérification aucune, parce que selon lui, l’amour c’est un grand élan bestial et généreux. Alors, si elle chipote et fait la fine bouche, qu’elle lui redonne le carbure et aille baiser chez les Suisses qui eux se lavent pis que les Yougos, ajoute-t-il pour ne pas rater un calembour. En voilà-t-il pas des façons ! Non, mais pour qui ça se prend ? C’est né dans des faubourgs cradingues et ça joue les Miss Savonnettes.

Au plus fort de ses protestances, son biniou grelotte. Calmé par la sonnerie, le Mastard dégoupille l’écouteur :

— Mouais, j’esgourde ? C’est d’la part de qui est-ce ?

On le lui révèle, il murmure :

— Le professeur Corvonero ? Jockey ! Passez-m’le.

Pour lors j’interviens et pénètre en trombe (d’Eustache) dans sa turne où la gonzesse boudeuse, en manteau de fausse panthère synthétique, très réussi, allume la cigarette de l’écœurement.

Je colle ma tempe contre la sienne, juste comme une voix de contrebasse à cordes désaccordées demande en italien s’il est bien le signor Bérourièré.

— Y a d’ça, convient le Gros, mais si vous caus’rez pas français, on risque d’s’en dire moins long qu’à l’Onu, mon pauv’ signor.

Pas contrariant, le professeur Corvonero entame la converse dans notre misérable dialecte qui a tant fait pour propulser le cerveau voilé de notre culture.

— Jé souhaiterais avoir ouna conversazione avec vous, signor Bérourièré, déclare le téléphoneur.

Le Mastard, à qui j’ai fait répéter son rôle dans l’hypothèse de cet appel, chique au tortueux.

— Une converse à propos de ce serait quoi donc, signor Machinechouetto ? il demande.

— A propos de ce qu’une jeune femme a oublié de laisser en place dans mon automobile, euphémise délicieusement le prof.

— J’ne voye pas ce que vous disez, Mister Ringardo. Si c’est pour du charabia, vous vous gourez de lourde, ici on n’cause qu’le françouzen mais on l’cause impec, et quand on appelle un matou un greffier, c’est qu’c’est bien un chat ; faut-il que je vais mettre un point final ou seul’ment une virgule à c’t’entretien ?

Un temps.

Puis la voix, avec de la lassitude et de l’irritation sous-jacentes :

— Je pense qu’il serait bon que nous nous rencontrions, signor Bérourièré ; vous n’êtes pas ennemi de vos intérêts ?

— J’ai pas d’ennemis, se retranche prudemment l’Artiste.

— En ce cas je viens vous voir ; d’accord ?

Le Mammouth toussote :

— Souate, puisqu’vous y t’nez, mais laissez-moi une p’tite plombe pour qu’j’termine un lot à réclamer dont avec qui j’ai des problèmes d’urbanisse. Allez, tchao, milord.

Là-dessus il raccroche.

— Dis donc, mec, les rivières d’eau troub’ sont poissonneuses dans c’patelin, jubile Son Eminence, à peine que tu trempes ta ligne, ça mord !

* * *

Moi, impudent comme tu me sais, je ne me gêne pas pour percer un trou dans la cloison pendant que Bérurier lime sa conquête tarifée après avoir consenti à une savonneuse express, à l’eau tiède, donc propitiatoire. Mon orifice débouche, d’après mon estimation, au milieu d’un motif représentant une corbeille de flowers, en plein dans un coquelicot, ce qui ne se remarque point. Ayant interjeté la bite malpropre, la signorina renâcle ensuite quant à ses dimensions, mais, vaseline pas morte, hein ? Elle, c’est pas le genre de Chaperon rouge à s’embarquer sans galette et petit pot de beurre. Je te communique ces détails domestiques par pure probité professionnelle, soucieux qu’I am de ne rien celer (sinon à la cire) à une lectrice comme te voilà, mignonnette, avec tes yeux de velours et ta chattoune à poils longs[1]. L’écrivain courageux se doit de tout dire. Je ne suis pas tellement écrivain, mais je suis courageux. Alors je dis tout ! Et s’il y a des pisseuses froides à l’horizon, qu’elles changent de slip et de trottoir !

Ses ébats amoureux accomplis, au grand dam d’une lampe de chevet, d’un pied de lit et d’une gravure au cadre vermoulé, le Gros congédie sa conquête fourbue, l’embrasse entre deux rots consécutifs au champagne, remonte son pantalon, boucle sa ceinture achetée chez un bourrelier de village, ramasse les débris de la lampe, cale le plumard avec l’annuaire des téléphones, pète en grand, s’évente le dargif avec un Parisien que je n’ose qualifier de Libéré et attend le professeur Corvonero dont la politesse est l’exactitude des rois et qui, de ce fait, ramène sa fraise.

Je l’ai déjà vu, et tu sais en quelle circonstance, alors qu’il trépignait de courroux. Au repos, détendu, je dois admettre qu’il a meilleure allure. C’est un petit homme plutôt épais, plutôt chauve, avec un teint d’hépatique, une moustache fine de danseur de tango professionnel, et une paupière plus lourde que l’autre, détail dont je raffole dans mes descriptions, car j’ai connu des gens dont un store pendouillait, et ils m’ont beaucoup marqué.

Il porte un beau costume gris, une belle chemise bleue, une belle cravetouse marine dans laquelle est piquée une perle grosse comme un œuf de pigeonne pas feignante du petit guichet.

Mon pote l’accueille avec une grande dignité en comparaison de laquelle Louis le Quatorzième aurait l’air d’un des participants aux Jeux de Vingt Heures.

— Treize Honoré de Balzac, clapote l’Enfoiré, en pressant dans ses deux tas de viande la main intellectuelle du professeur.

Puis, désignant un fauteuil :

— Si vous voudrez bien l’poser là, qu’on pusse causer d’vive voix…

L’œil rivé à mon judas de fortune, je n’en perds pas une miette. Certes, je préférerais jouer la scène moi-même, mais la chose est impossible puisque le prof me connaît. Ne me reste plus qu’à prier silencieusement pour que le Dodu se tire tout seul d’affaire.

Il décarre sans jambages, comme je dis volontiers :

— M’sieur l’professeur, permettassiez-moi d’vous dire que j’entrave que pouic à vos giries, y aurait-il maldonne ou quoi-ce dans c’bidule ?

Cette longue mais lumineuse interrogation laisse le professeur Corvonero perplexe. Il est dérouté par la personnalité de Béru.

Et puis sa nature chaudement latine prend le dessus et ne le lâche plus. Son cou se met à enfler, à l’instar (d’Hollywood) de la grenouille qui suivait le bœuf.

— Écoutez, signor Bérourièré, écoutez-moi bien. Je sais que vous êtes l’instigateur du coup ; l’homme que vous aviez initialement contacté pour le réaliser m’a parlé : pour pas cher. Il préfère toucher peu en dénonçant que beaucoup en accomplissant ; il existe une foule de gens comme lui. Moi, je veux récupérer mon bien. Je suis disposé à y mettre le prix. Alors dites une somme plutôt que de finasser en jouant les abrutis, admirablement d’ailleurs.

Sa Majesté laisse passer l’orage sans se donner la peine d’essuyer les postillons consécutifs. Les hommes en colère ne l’ont jamais impressionné ; au contraire, ils l’excitent. Je lis sa jubilation intérieure dans ses prunelles d’éléphant en gésine.

— Hé ! mollo ! Où ça va, ça, mister signor ? dit-il sévèrement. On n’a pas élevé les cochons z-ensemble que je suce, si ? Faudrait voir à voir qu’on voye. Au lieu d’monter sur vos grands écheveaux, vaudrait mieux m’dire ce dont vous cherchez.

— Comme si vous n’l’saviez pas !

Tournant du match. Je frémis d’impatience. Mon massacreur risque de passer à côté de la gagne, avec ses manières tempétueuses.

Et puis voilà que son vingt-cinquième sens l’avertit de mon angoisse. Alors il traîne un second fauteuil face à celui qu’occupe Corvonero, s’installe devant le bonhomme, leurs genoux se touchant, et se met à chuchoter :

— C’est quoi, vot’prénom, déjà ?

Saisi, l’autre bredouille :

— Guglielmo.

— Trop dif’pour moi, j’vas vous dire Momo tout court, avertit le Plantureux. Alors, ouvrez grand vos vasistas à conneries, Momo. Si vous v’lez avoir une chance qu’on va s’entendre, faut pas jouer les poulains sauvages. Je demande, vous répondez, et ensute on cause, corréque ?

De plus en plus subjugué, le terlocuteur du Gros acquiesce (d’allocations familiales).

— Momo, une gonzesse a piqué votre chignole pour prendre c’que vous savez, exaguete ?

Signe affirmatif.

— C’tait quoi t’est-ce, le « ce qu’vous savez », Momo ? Disez-le-moi bien franchement sans vous prendre la menteuse dans l’pédalier, mon grand.

— Mais, vous…

— On dit qu’on joue franco, Momo ! Attention d’pas déraper su’l’parquet ciré des finasseries, j’vous prille, qu’autr’ment sinon, nous deux, not’ belle histoire d’amour risque de mal finir.

Le professeur lève le pouce.

— Quoi ? aboie Alexandre-Benoît.

— Enfin, signor Bérourièré, soyez logique, vous me demandez ce qu’est la chose que vous m’avez fait voler !

Instant tangent et farineux à souhait. L’Exemplaire ne se laisse pas démonter, c’est pas un légo que cet homme-là.

— Supposez, Momo, qu’on m’ait chargé d’organiser ce petit coup d’arnaque, mais que, le coup fait, j’m’ai laissé viander comme un cavedu ? Hmmm ? Hein, je vous pose la question : hmm ?

— Je n’ose pas comprendre…

— Soyez pas timide, j’sus pas une rosière.

— Vous voulez dire…

— Moi, j’dis rien, mais j’veux qu’vous disez, vous, l’abbé ! Vous avez tout perdu, donc il vous reste tout à gagner, logicisme mon Indéfectible. J’sus vot’ dernière chance. Si vous la saisiriez pas par la tignasse, y n’vous reste plus qu’à sortir vot’ mouchoir pour aller chialer sous la porcherie d’une église.

Mais l’autre ne se laisse pas réduire aisément. Intelligent comme la plupart des Latins, il subodore des choses derrière les choses. Duraille de lui brader de la chicorée pas fraîche au professor Corvonero.

— Votre comportement me laisse perplexe, finit-il par déclarer.

— Eh ben, mon père Plexe, allez vous faire mettre very profoundly par les Grecs, conclut Bérurier. L’audience est râpée, Momo. Vous pouvez aller vacher à vos occupances, tandis que moi j’irai z-aux miennes.

Il se lève, propose sa grappe de saucisses au visiteur.

— Sans rancune. Si ça vous chante d’vous baguenauder av’c la bite sous le bras, libre à vous.

Il ajoute, après avoir déposé sa phénoménale paluche sur l’épaule de Corvonero :

— Vous voudrez qu’j’vous dise, ce qui carbonise les hommes ? Y crèvent d’leur méfiance, prof. S’enfument dans leurs cachotteries comm’des renards dans leur terrier. Y s’font ouvrir l’bide par n’importe quel margoulin qui s’dit chirugien, aboulent leur auber à n’importe quel prometteur immeublier, épousent la première radasse qui leur joue conv’nab’ment d’la flûte baveuse, seul’ment quand y s’agit d’ouvrir leur cœur, c’est malgache bonnot. Bouclarès pour cause de pétoche. Bouche cousue : motus vivaldi. Verdun : on n’passe pas ! Alors, moi, j’réponds : courez vous faire fourrer en l’vrette, les gars ! Plein l’ognasse, jusque z-à la polyglotte, c’est tout c’que vous méritez.

Là-dessus, il pète sonore. Trompette d’Aida. Exécute un doublé avec appui sur une seule jambe pour faciliter les choses, que ça tonne et détonne extrêmement fort. Son cocorico à lui, le Gros. Les voix du silence. Vroum ! Plaoff ! Il est net, puissant, affirmatif au-delà du possible.

Le délicat Rital devrait s’offusquer, au lieu de, il se lève, glisse ses paluches potelées dans les poches de son veston et déclare :

— Je sais !

— Vous savez quoi-ce ?

— Ce qui déconcerte, chez vous, signor Bérourièré.

— Disez, ça m’intéresse.

— Vous m’avez l’air d’un brave homme. Pas du tout le genre de type à fomenter une opération douteuse. Vous prétendez être ce que vous n’êtes pas. Ce visage débonnaire, cette voix chaleureuse, ces pets plantureux, non, non, jamais vous ne fûtes chef de bande. Jamais vous ne le serez. Mais alors, mais alors, qui donc êtes-vous en vérité ?

Ainsi agressé, car ces compliments constituent une espèce d’agression, moi je trouve, mon Éperdu marque le pas.

Il hoche la hure, essuie son nez emperlé. Je brûle d’intervenir et dois prendre sur moi, comme on dit (on ne prend jamais sur les autres, et c’est rudement dommage) pour m’en abstenir. Mais je dois laisser Bérurier poursuivre sa route, quand bien même elle déboucherait sur un cul-de-sac.

Le Gros, faut lui reconnaître, y a pas que le ventre en lui. Il existe également un cœur, et un cœur à son échelle, comme disent les pompiers.

Il croise ses bras, plante son regard couleur de rubis dans celui de Corvonero et, un rien hugolien, déclame :

— Qui est-ce je suis, Momo ? Tu veux savoir qui est-ce je suis ? Alors, je te le vas dire. J’sus un homme qu’tu peux lu faire confiance, pointe à la ligne. T’as du pif, Momo, pisque tu viens d’me causer comme tu m’as. Alors si t’en as, aye-z-en jusque-z-au bout et affale-toi, mon mec. Je t’donne ma parole de fl… d’homme qu’j’te nuirerai pas.

Et il lance à la cantonade, à mon intention exclusive :

— T’entends : j’donne ma parole ! J’veux pas qu’on lu carbonise la cabane, c’est pas l’mauvais bourrin, ce gus.

Emu, le professeur Corvonero laisse aller des larmes bienfaisantes et s’abat contre le burlingue de l’Irremplaçable en hoquetant.

— J’ai gâché ma vie pour une femme, Bérourièré. Mais je l’ai dans la peau et je ne peux plus me passer d’elle. Une Française, figure-toi. Elle m’a par les sens. La fellation contrôlée ! Ses caresses, comme les cigares de Davidoff, sont cataloguées par Châteaux. Du Château Lapipe, au Château de l’Œil de Bronze, elle sait et pratique toute la gamme. Une déesse de l’amour. J’en suis fou ! Elle fait de moi ce qu’elle veut. A cause d’elle je me suis lancé dans les entreprises les plus folles, les plus imprudentes ; oui, pour gagner les fortunes qu’elle dépense. Elle passe son temps dans les ventes de Christy’s afin d’y acheter les bijoux les plus fabuleux. Petit à petit, je suis devenu une crapule, Bérourièré. J’ai aménagé une partie de mes laboratoires pour le traitement de la drogue, tu m’entends, amico mio ? Moi, dont un frère est évêque, moi, qui suis le fils d’un ancien ministre du Duce !

Il sanglote, sans glotte. Ah ! comme est douce la confession ! Comme elle libère l’individu. Le professeur pleure à chaude Pise. La toute belle crise. Béru lui masse les endosses, fraternellement. Et, tout policier qu’il soit, prodigue des paroles apaisantes :

— Allons, allons, Momo, t’caille pas la laitance, mon p’tit bonhomme. Bon, d’la came, t’es pas l’seul. C’est dans les nurses d’aujord’hui. T’as pas tué père et mère. Et pis c’est pas ta pomme qui va la fourguer dans les groupes escolaires. Tu laborates juste. Comme tu fabriquerais d’l’aspirine, somme toute, non ? Essuye-moi ces grosses larmes, mon vieux macar. Ainsi, c’est d’la blanche que la souris t’a s’couée dans la guinde ?

Momo dénégate, il goupillonne avec ses larmes en agitant sa boule ronde. Non, non, pas d’la blanche : autre chose. Bien pire. De la came, fauchée, c’eût été uniquement une perte de fric. Là, c’est sa vie qui est en jeu. Tout peut s’écrouler. Car sa bagnole lui servait de coffre-fort. Se méfiant de tous et de chacun, comme dit Jean-François Revel dans son traité de tous les noms, il considérait sa Daimler comme son boudoir privé. Son coin vraiment à lui. Dès lors, il avait fait aménager une cache sous le siège arrière, planque fort astucieuse, en laquelle il serrait les documents relatifs à ses activités illicites. Et puis voilà qu’on les lui a pris. Les pires calamités vont surgir. Il est foutu.

Si ses associés sont démasqués, à cause de ce vol, ils sauront d’où vient le pébroque et leur vengeance sera terrible. On ne plaisante pas dans ce milieu-là. Il a peur. Il regrette. Il déplore, implore ! Saint Guillaume, son patron, Dieu en divinité (on ne saurait écrire Dieu en personne). Il est prêt à réparer. A se suicider si besoin est, à condition de se rater un peu pour voir la suite. Il pousse des cris d’or frais, d’orfèvre, d’orvet, de tout ce que tu voudras, j’en ai rien à branler. Tant et si fort que bon, maintenant, je peux paraître. Me montre. Lui révèle ma combine avec le gars Giorgio qu’on a financé pour l’amener à nous. Oui, on est flics, mais flics français ; et puisqu’il joue franco, on va essayer de lui garder le nez hors de la marmite d’eau bouillante. Nous lui sauverons la mise, voire la peau. A condition qu’il continue de marcher droit et qu’il promette, si nous aboutissons, de ne plus jamais recommencer. Il jure, il se laisse aller.

Bravo, mister Béru, ça, c’est du beau boulot !

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