Vite ! Vite ! Mais où ?
Vite ! Vite ! Mais comment ?
Ah ! l’atrocité du désir inassouvissable. Tellement fort, tellement tout, qu’il faut bien l’assouvir cependant.
J’en décline. J’en titube. Elle est là, contre moi, telle que je le rêvais. Je la tiens, son corps épouse le mien. Son souffle se confond avec mon souffle. Et son désir naît, croît. Quel drôle de mot : « désir ». Comme il dit bien, et si peu.
Je regarde alentour. Le barlu vole sur les flots tranquilles. Des marins marinent. A l’intérieur, les deux niveaux sont pleins de passagers. Non, vrai, il n’existe pas un endroit où s’isoler.
Un petit mataf grand comme ça — tu vois où je mets la main ? — vient bricoler auprès de nous. N’y tenant plus, je vais à lui, roulant un bif de cent dollars autour de mon index, comme si je me proposais de lui pratiquer un toucher rectal.
— S’il existe à bord de ce bateau un endroit où je puisse passer une demi-heure seul avec cette dame, ce billet est à vous, dis-je. Vous savez comment est la vie et les fameuses choses qui en consécutent ?
Il sait.
Pas le moindre sourire. Il comprend que notre problème est grave et le respecte. Il opine (le veinard).
— Venez !
On descend au second niveau. Mais au lieu de pénétrer dans la vaste cabine collective où les voyageurs discutent, bouffent, boivent, regardent, rotent et vieillissent de concert, le matelot nous fait dévaler un bout d’escadrin supplémentaire logé derrière les toilettes et qui permet d’accéder à ce qu’il faudrait appeler la cambuse de l’équipage, sorte de réduit infâme, sans hublot, aux cloisons garnies de casiers dont les portes disloquées pendouillent sur leurs gonds, et frugalement (j’écris frugalement) meublé d’une tablette rabattante et de trois tabourets bancroches.
— Vous pouvez rester ici, dit le petitou, personne n’y vient pendant la traversée.
Je lui octroie le billet qu’il décapsule sans sourciller et il se hâte de regrimper.
Bon, me voici étourdi d’allégresse. Seuls ! Le rêve impossible s’est réalisé. Récompense absolue d’un désir impétueux. Elle est là avec moi, loin de tous les regards jaloux et jamais deux amants n’avaient connu de soir plus doux…
Ici, le bruit des turbines qui turbinent est assourdissant. On se croirait plongé dans une énorme machine à laver. Mais qu’importe, puisqu’on a l’ivresse !
Ce qu’il y a de fascinant chez cette altière, c’est la distinction. Elle semble accepter de me céder, comme on disait dans la haute bourgeoisie à scapulaires, mais sans se départir d’une dignité qui l’éloigne moralement du vif de mon sujet, lequel, pour être vif est même long commak et que va chercher un pied à coulisse si son diamètre t’intéresse, tu comprendras ensuite que ton bonhomme est monté comme un merle !
Je nourris quelques appréhensions, lesquelles t’heureusement, n’affectent pas l’optimisme tapageur de mon métronome à moustache. Me dis : Chinoise, est-ce que ça aime qu’on lui pratique le banc de belons ? Cela accepterait-elle qu’on lui joue « Au bonheur des dames » avec le pouce et l’index ? Est-on enclin à agréer la tyrolienne à dynamo ? Raffole-t-on du praliné cosaque ? Et de la pendule à vilebrequin ? Et du chausse-pied de Belleville ? Et de l’inculqué de frais ? De tout ce qui assure, enfin, la pérennité de l’amant français depuis Vercingétorix jusqu’à Michel Debré ?
Go, entreprendre Miss Fleur-de-Mes-Deux dans le style uniquement reproducteur : « — C’est à quel sujet ? — Un placement de paire de famille. — Entrez, mais faites vite, faut que j’aille chercher le petit à l’école ! » Conviens que c’est inintéressant. L’infini mis à la portée des caniches, comme dit Céline. J’ai d’autres chattes à battre en neige, dès lors. Je me dis que, dans la mesure (agraire) où cette personne se laisse manutentionner par le gars « Mes soins », c’est qu’elle est consciente de tenter une expérience sensorio-émotionno-bandante.
Ses traditions ancestrales, qu’est-ce que j’en sais ? Les Chinois ont inventé la poudre à canon et la lanterne japonaise, mais j’ignore un peu plus que tout de leur comportement amoureux. Qu’ils bouffent leurs polkas avec des baguettes ou qu’ils la calcent avec l’auriculaire, c’est pas ma tasse de thé à moi…
Fort de mon raisonnement, je commence par allonger la chérie on the table[12] après avoir placé son manteau convenablement pour lui servir d’oreiller : galanterie pas clamsée. Côté doublure, s’il vous plaît, car je suis un méticuleux congénital et si je soigne mes effets, je soigne également ceux des autres.
Toujours obligeant, je dispose les trois tabourets bancals (contrairement à chacal qui devient shakos au pluriel) de manière à ce que ses deux chers petits pieds ne pendent pas dans le vide. Elle peut donc prendre appui sur chaque panard pour partir à la conquête du troisième. Personnellement, je me réserve le tabouret du milieu. A quoi bon dépenser son énergie en fausses positions souvent harassantes, engendreuses de torticolis ? Elle a les jambes nues et la culotte qu’elle porte pourrait être de Mozart. La lui ôter est un jeu d’enfant, mais d’enfant un peu précoce du soubassement. Ce qui m’apparaît alors, ce qui m’apparaît flanquerait le vertige à un nain ! O épanouissement de notre sexualité ! Jardin tant secret où l’on entre comme dans un sanctuaire réservé à de rarissimes initiés ! Faut que je raconte ça à mon ami Paul Guth (de l’Académie française par contumace). Paul, toi qui es un naïf professionnel, donc malin comme cent singes, imagine cette époustouflante Chinoise, belle à te brancher le sifflet, éclatante, et que je te dirais même majestueuse si je ne craignais que tu prisses ce qualificatif dans son sens révérable ; vois cette créature de rêve extrêmement extrême-orientale, allongée sur la méchante table si peu conçue pour l’accueillir (ou la cueillir, comme tu voudras, c’est tout bon). T’ai-je dit que ses pommettes étaient un tantisoit ocrées ? Pardon, j’allais oublier. J’écris en pilotant ma Maserati de l’autre main, que veux-tu. T’ai-je mentionné le dessin de ses lèvres ? Leur modelé ? Non ? Quel con ! Enfin, il n’est pas trop tard. Bouche d’ironie, bouche de sensualité, bouche gourmande, bouche que veux-tu. Bouche… Qui vient de dire « du Rhône » ? C’est malin ! Bouche à emboucher, quoi. Bouche bien embouchée. Et le cou ? Tige de fleur, si tu permets, Paul ? Tu connais le métier, on a du mal à pas tomber dans la composition française de troisième. On garde des relents d’écolier, c’est ce qui fait le charme discret de notre bourgeoisie. Mais je te ramène à ma Chinoise. Là, abandonnée sur cette table de cambuse aux remugles d’alcool de riz. Jambes ouvertes, Paul. Et moi dans ce delta faraminesque, aiguisant ma volupté sur la pierre de mon désir, comme tu l’as si bien écrit dans « Les Frères Karamazov », ton chef-d’œuvre, selon Saint-Matthieu (Galey). Moi, là entre ! Affolé de toutes les avidités sexuelles possibles et imaginables. Moi, la déslipant à gestes extatiques, comme l’amant décachette la lettre de la femme adorée. Tout juste, Paul, je te le dis à toi, mais que ça reste entre nous, cher vieux bavard, tu me donnes la parole d’honneur de ta concierge, au moins ? Merci. Tout juste, reprends-je, si je ne la déculotte pas à la vapeur, de crainte d’abîmer, de meurtrir ses troublants dessous. Oui, elle consent à cette offrande intégrale. Cette acceptation si totale a quelque chose de bouleversant, n’est-il pas ? Souviens-toi, Paul, lorsque tu as vécu cela avec la princesse Margaret, à l’époque où on aurait dit une femme.
Alors, mon cher, mon fiévreux ami, songe à ce que je peux éprouver, parvenu à ce survoltage indicible, quand au lieu de l’exquise petite chattoune envisagée, je me trouve nez à nez, si je puis dire, avec un aimable petit zob guilleret.
Quelle journée, hein ?