Il a noté l’adresse sur un bout de papelard qui a probablement servi à empaqueter des beignets. Ça se trouve en dehors de la ville, pas loin justement de la Rivière des Perlouzes, dans une propriété délabrée, de style colonial écroulé. Le genre de baraque vétuste que les promoteurs convoitent et qui les empêche de baiser leurs gerces d’une queue sereine (ou de serin), car ils imaginent du méchant buildinge vitre et béton à la place, et du bail commercial à faire pipi partout, les pauvres merlineurs du monde en mouvance.
Un idiot congénital d’une cinquantaine d’années, avec une tête hydrocéphale et des membres de pingouin prend l’ombre sous la véranda, dans une petite poussette d’enfant que t’achèterais un bon prix aux Puces pour en faire une jardinière dans ton garden. On lui dit bonsoir, mais il ne parle que crétin et se contente de nous flanquer un rire inhumain qui donne le cruel frisson d’espèce.
On pénètre dans la casa où ça renifle la morue frite et le lavement consommé. Un capharnaüm (et Pompéi) indescriptible, sache-le, si bien que je n’ai pas à te le décrire : à l’impossible nul détenu, comme on dit à la Santé.
Une dadame plus vioque que la maison se pointe en clopinant. Elle a les cheveux blancs, le dos à quarante-cinq degrés, et une cascade de gros boutons dégueulasses sur le pif.
— On vient pour les pigeons, de la part de M. Chi Pâ Olichi Hopô (c’est le blaze du directeur de la coop pharmaceutique).
Je tire de ma fouille une enveloppe de papier kraft contenant les mystérieuses gélules. Je brandis le contenu sous le nez à impériale de la dame.
Sans méfiance, elle nous désigne un escalier de bois qui fut ciré à l’époque où la maison exprimait un certain standing mais qui est devenu assez infâme, chacun des degrés étant surchargé des choses les plus insolites, insolentes et déphasées : bouquins dépenaillés, bouteilles vides, objets mutilés, hardes, etc.
Nous le gravissons en faisant du slalom.
Au premier étage il se rétrécit. On continue, guidés par le chahut en provenance des combles. Une porte baisse et c’est le vacarme que peuvent faire une cinquantaine de pigeons en cage. Certains poètes qualifieraient la chose de ramage, ces cons ; moi, terre à terre, j’appelle cela du boucan ; et je fais bien.
Open the door Richard ! J’attrape sans difficulté un roucouleur à gorge de cantatrice allemande pour mater ses pattounes. La droite est équipée d’un mignon petit appareil, de la taille d’un dé à coudre, mais drôlement sophistiqué. Le truc en question comporte un alvéole dans lequel on insère l’une des gélules. Dans sa partie supérieure figure un minuscule mécanisme à remontoir chargé d’actionner une pointe d’acier pas plus grosse qu’une épine de rose socialiste. Je détache l’engin et le glisse dans ma fouille. Après quoi j’enjoins au Gros de libérer tous les pigeons et de les évacuer par la lucarne du toit.
Bientôt, un grand froufrou ailé retentit. Tous les oiseaux, sans exception, prennent la direction du nord.
Cela étant accompli, je choisis deux gélules parmi celles que nous avons piquées au couple rital, je les enveloppe dans du papier et les loge délicatement dans la poche supérieure de mon veston. Après l’ensuite de quoi, le Gros et ma pomme allons enterrer ce qui reste au fond du jardin de la vieillarde, très profondément, ce au pied d’un gougnafier sextuple caramélisé, dont le feuillage offre la particularité de ressembler à des fleurs, et les fleurs à des feuilles.
— C’est le meilleur moyen de les mettre en sécurité, dis-je. Si besoin est, ce sera possible de les récupérer. Et maintenant, Mister Gradube, on va essayer de regagner Hong Kong.
Je retourne saluer la vieille dame, fort occupée à cuire sa morue. Je lui dis que merci-bien-à-bientôt et comme quoi son grand garçon a bonne mine. Ce dernier nous congédie du même rire inhumain.
L’existence n’est pas toujours avenante, faut reconnaître. On est tellement de cons, de salauds et de malfoutus sut cette planète que, par instants, elle paraît tentée d’arrêter sa rotation et de se laisser choir dans le cosmos.
Tu veux parier qu’elle nous dira merde un jour !