Le deuil sied à Kupi Dong mieux encore qu’à Electre. C’est une veloutée. Une qui aime aimer et le fait avec conviction. Je vois des gerces, souvent, qui se laissent limer juste pour dire, parce qu’on est mammifère et qu’il faut bien s’accoupler. Elles trouvent que ça fait bien, comme une reproduction de Jean-Gabriel Domergue dans leur salle à manger. Y a également les tâcheronnes du turlutu, celles qui montent à la pointe, comme montaient en ligne les vaillants de Verdun, et puis les viceloques, dont les prunelles ressemblent à des frifris, ultra-polissonnes, salingues intégrales, qui te vous dé-bitent le kangourou en un temps record, sont prêtes à tout et déplorent qu’on ne leur réclame pas davantage. Il existe également les intellectuelles du fion ; les pensives de la chagatte, celles qui décomposent leur sexualité à trop lui chercher de signifiance secrète. Des espèces de littéraires qui se racontent ce qu’elles font au lieu de bien le faire. T’as aussi les franches gourmandes, baiseuses consciencieuses, qui capitalisent la lonche et pour qui un coup c’est un coup. Et d’autres, bien beaucoup d’autres, frivoles, austères, mater, salopes, pompeuses en tout genre, hautes videuses de burnes. On peut pas croire, la multiplicité dans ce domaine. Cette foison de culs à emporter, ou à consommer sur place. Et sous emballage cadeau, parfois. Précieux ou bradés, proprets ou désinvoltes… J’en sais, j’en vois, en consomme tant que dure dur… Mais la jeune Chinoise appartient à une catégorie qui m’est encore inconnue : elle fait l’amour à ramage, kif les mignards zoziaux de paradis s’ébattant dans leur cage. Elle lisse ses plumes, quoi. Y compris celles de sa chattoune, duveteuses et floues. Une pure merveille ! Elle ne se donne pas, elle te reçoit ! Hôtesse d’accueil, voilà ! Tu piges ? Aimable à fourrer, gaie dans la troussée. Agile à en flanquer le tournis à mistress Zézette. Utilisant toutes ses ressources à la fois. Fille-orchestre du radada, super-grand prix du conservatoire ! Elle bondit, change de posture, de rythme, de main, de fourreau. Là que t’as son délicat berlingue, une volte et tu trouves sa bouche. Ou bien autre chose d’elle à quoi tu ne songeais pas. Qui te paraissait pas apte à participer. Des endroits non privilégiés de son corps qui semblaient réservés à son usage exclusif ; tiens, je te prends un exemple : les hanches. T’as déjà fait l’amour avec tes hanches, toi, jolie gueuse ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien, Kupi Dong, si. Tu la verrais me choper le module lunaire, se l’enquiller sous le bras, le rouler doucettement contre sa peau soyeuse, t’entrerais dans le coma, ma poule ! C’est féerique (qui vient de crier féerique d’art ? Je l’avais faite avant toi, bonne pomme !), des maniganceries pareilles. Bien plus beau que la Chapelle Sixteen, la baie d’Hong Kong ou que le concerto pour Sonotones de Beethoven ! Merde ! Et dire qu’il y a moins d’une plombe je commençais mon pourrissement dans la taupinière de ces vilains ! Et puis me voilà, gavé de riz, à me goinfrer une exquise femelle asiate, ingénue et ingénieuse, virtuose et discrète, omniprésente du fignedé, de la bazouze, et de la menteuse ! Le jour du décès postmaturé[14] de sa quadri-aïeule ! Faut le faire, non ? Et tout cela avec une gentillesse ! Un entrain étourdissant ! Ah ! la chère, chère petite. C’est jaune et ça sait tout ! Que pourrais-je lui enseigner, moi, grand fat, tringleur émérite, certes, mais si piètrement occidental ? Lui montrer quoi, en dehors du calibre ? La technique, c’est elle. Et elle l’a naturelle, comme d’autres l’orthographe ou la foi. Je fournis la marchandise, c’est elle qui accommode le repas. Une môme de dix-huit printemps, presque encore une enfant ! Si délicate. La chatte en fleurs. Un miracle, non de l’amour, mais d’amour, avec un D apostrophe majuscule.
Je m’en mets jusque-là. Belote, rebelote ! Et le petit lapin ! Le chat, l’ablette et le petit tapin. Insoucieux d’après, l’ignorant même. Rien ne presse. J’ai le temps puisque je suis mortel. On serait immortels, là, pour sûr il ne faudrait pas perdre une seconde. Mais condamnés à disparaître, tu parles si on a le temps devant soi !
L’amour ne la fatigue pas. Les cannes en cerceau, connaît pas. Elle laisse ça aux Japs, Kupi Dong. Les yeux cernés ? Bon pour ceux qui préparent le bac. Fraîche après, mieux qu’avant. A croire qu’elle s’est purifiée dans la tringlette, je te jure !
Quand on a fini nos mignons exploits, je lui demande de quoi me débarrasser de ma boue, et elle me drive à un robinet extérieur qui se dresse au bout de son tube, comme un cobra auquel on interprète un solo de flûte. Je me lave minutieusement. Ensuite, elle me dégauchit des fringues masculines. Oh ! pas de quoi se rendre à la réception de la gentille baronne de Rothschild ! Figure-toi un costume de coutil noir, qui me serre un peu aux entournures (il appartient au papa de Kupi Dong, lequel est docker au port). Une paire de sandales, une large casquette mao, et me voilà qui rutile extrêmement. Un flacon de teinture d’iode me transforme, non pas en Chinois, mais en une espèce de métis consécutif à la rencontre d’une marchande de gaufres chinoise avec un adjudant de la Coloniale. Et tu sais que je ne suis pas vilain garçon, ainsi accoutré ? J’ai la beauté tenace, n’empêche. Je n’ose outrecuider jusqu’à lui demander un peu de fraîche, mais c’est elle qui me propose quelques pièces, comme quoi elle n’est pas mécontente de son partenaire, hein ?
Je lui file une prosternation, très Empire du Soleil Levantin, en guise de galoche, mode d’expression trop profane pour sa civilisation, et je m’esbigne.
Il fait un soleil magnifique. Cette paisible rumeur-là vient de la ville.
La situation va mieux, mais il me reste pas mal de problos à résoudre : sans papiers, sans argent, comment vais-je m’arracher à cette enclave portugaise perdue dans l’immense univers chinois ?
Si tu veux le savoir, fillette : suis-moi. Cette putain d’aventure est loin d’être terminée.
Le plus grand casino de Macao a la forme d’une tiare gigantesque, blanche et dorée, plantée près de la mer. Il attient (étant attenant) à l’hôtel Lisboa et Macao, flambant neuf également, et peut rivaliser pour le bon goût avec les meilleures réalisations de Disneyland.
Tu trouveras mon culot phénoménal, peut-être, quand je te dirai que c’est dans ce temple clinquant et quincaillesque que je porte mes pas, le plus délibérément possible, ayant au cœur, mon cher amour, un espoir à la mords-moi le nœud digne des abonnés à Nostradamus. En effet, je fais tinter la pincée de monnaie remise par Kupi, en prévoyant de la mettre à fructifier dans les appareils à sous. Puis, nanti d’un maigre pactole, d’aller risquer celui-ci sur le tapis vert, comptant bien y amasser suffisamment de blé pour me tirer d’affaire. N’étant pas recherché, il me suffit de ne pas être reconnu. Et qui donc pourrait me reconnaître en dehors des quelques poulardins entre les mains desquels je suis passé ? Mon nouvel accoutrement est suffisant pour me protéger. Ces messieurs m’ont oublié copieusement depuis hier matin. La vie coule vite. Lorsque j’aurai engourdi assez d’osier, je trouverai bien le moyen d’affréter un canot automobile susceptible de me ramener à Hong Kong.
Je pénètre dans l’immense casino en espérant que ma mise plus que modeste ne me fera pas refouler. Mais tout de suite je suis rassuré. C’est si vaste et si peuplé que tout le monde se fout de tout le monde, et moi j’aime ça.
Un vrai caravansérail bondé, où se bousculent les êtres les plus cosmopolites, de toutes races, toutes conditions. Des escaliers, des galeries marchandes, des comptoirs d’acajou où se pavanent des employés en uniforme, des colonnades de faux marbre, des divans criards, des lustres pareils à des archipels de lumière, des balustrades en stuc, des Anglaises en stock, des trucs en troc, des gonzesses bioutifoules de partout, des petits fripons louvoyeurs, des Indiens huppés, des rombiasses non ravalées, un bourdonnement qui évoque le grondement d’un cours d’eau souterrain. Je te livre pêle-mêle pour te faire sentir un peu l’ambiance. Sur la gauche, les salles de jeu en enculade (ou en enfilade pour les bêcheurs à la ligne). Je m’y pointe. Ici est le délire, la surcohue ! La grouillance ! Une ambiance hagarde, des lumières de films rétros, des visages crispés, des bruits mécaniques de roulette, des voix impassibles de croupiers, un intense froissement chiottique de papier-mornifle. Les joueurs au coude à coude, hypnotisés par les tables où caprice le hasard. Pognon ! Gagné ! Perdu ! Ratelé ! Va et vient ! Faites vos œufs ! Vos passes ! Vos manques à gagner ! Rien ne va plus, tout va bien ! Le rouge, le noir ! Si Stendhal m’était compté… Zéro ! Pourri : dans le culte de la balayette ! Tas de branques, connards en errance miséreuse ! Viande à loterie ! Vite, qu’ils paument tout, ces caves : leur artiche, leur culotte, leur vie de cons ! Y a gourance, maldonne ! Erreur sur la personne humaine. Souffler n’est pas jouer ! Ils cherchent quoi-ce, les pauvres frileux ? La fortune ou la faillite ? Poursuivent-ils un rêve, la chance ou la guigne ? Ils titubent de quel espoir, ces veaux internationaux ? Usent quelle durée excédentaire ? Sclérosés en plaques ! Pitié ! Pitié pour eux, Seigneur ! Que le zéro leur pète à la gueule, bordel ! Que ce casino de merde leur écroule sur le dos ! Les ensevelisse avec les tables, les brèmes, les roulettes, las talbins, jetons, toute la panoplie honteuse ! Fais-en un tas, Seigneur ! Je Te le supplille ! Un gros paquet de décombres, ça ne mérite pas mieux.
Un escadrin marmoréen descend aux appareils à sous. Tudieu, tu verrais ce turbin ! Encore des salles, et des salles, avec, alignés le long des murs, tels des robots à la parade, ces foutus engins gorgés de pièces. Un fracas de manettes nerveusement actionnées. Ronron dentelé des cylindres. Prunes, citrons, oranges, raisins, cric ! cric ! crac ! Mon cul ! Fume, c’est du belgium ! Une poule ça bouffe sans arrêt mais ça ne pond qu’un œuf par jour, et encore ! Ici : kif. Les robots chromés, lumineux, pimpants, bectent de la mornifle comme un gallinacé des grains, mais pour ce qui est de produire, zob ! Si pourtant, temps à autre, le bruit tant espéré se produit, la divine cascade qui fait bander et mouiller à la ronde. Qui acharne les autres crêpes. Leur donne à croire au miracle. Ça arrive ! Donc, ça va leur arriver ! L’homme qui croit perpétuellement que la mouscaille est pour autrui, ne doute pas un instant de sa chance. Elle a été créée pour sa pomme, compris ! Si un copain gagne, c’est accidentel, une gourance du sort. Pour lui, ça ne va pas traîner. Il est là, planté devant l’appareil, à le barrer comme un voilier, la main moite sur la manette déclencheuse. L’actionnant d’un coup sec, péremptoire, ou bien l’usinant avec délicatesse, façon clitoris, suave, sois gentille avec moi. Prenons notre joli panard ensemble. Tu y es. Vzzout ! Mais tiens : dans l’oigne, gamin ! Les citrons ne se groupent pas, les raisins non plus. Il reste à l’état de corbeille assortie, le tableau d’affichage.
Je soupire en continuant de soupeser mes quatre piécettes dans ma fouille. Ce qu’il y a de plus désagréable, lorsqu’on met les fringues d’un autre, ce sont les poches. Là subsiste son intimité. Même vides, elles continuent de porter témoignage de l’absent.
Quatre pièces. D’elles va dépendre mon futur. Je dois gagner ! Facile à dire. Tout le monde, ici, ces centaines de glandus, caressent la même certitude. Gagner ! Seulement, en ce qui me concerne, il ne s’agit pas d’une partie de plaisir. Nez cécité fêle oie, comme dit Maurice Druon dans sa préface aux Pieds Nickelés. Moi, je viens demander au sort de me sortir de la pestouille. Juste un dépannage. Ce que je vais arracher de ce casino, je le donnerai aux pauvres plus tard, j’en fais le serment, in petto, et quand on sermente en latin, ma vieille, tu peux y compter !
Me va falloir une tactique, non ? Je vais pas m’amener comme un nœud volant sur le premier appareil venu pour lui introduire ma pauvre camelote et qu’il m’en remercie d’un pied de nose.
Je joue des méninges. Branche celles-ci sur mon compteur bleu. La seule manière de mettre un maxi de veine de mon côté, c’est de surveiller un joueur obstiné qui se sera servi longtemps et sans résultat du même appareil, pour, dès qu’il en a quine, prendre sa place. Calcul des probabilités, tu sais ? Le zigue qui aura mis vingt-cinq pièces sans tirer un fif aura en somme assumé une grosse partie de ma malchance potentielle. C.Q.F.D. !
Mais faut-il encore dégauchir l’oiseau rare. Je retapisse une grosse Asiate rondouillarde, aux cannes en cerceau et à la bouille découpée au compas. Frisottée, la mère, des gouzi-gouzettes dans les tifs, très very joli : chatons aux yeux de strasse, banane d’émail, plume en étain poli. Elle garde une de ses mains potelées en sébile. Y puise des nickels qu’elle introduit de l’autre dans la fente goulue. Une traction rapide. Le bastringue tournique. Rien ! Elle procède aussi vite qu’elle le peut, comme si elle était pressée d’en finir. A croire que son fric lui brûle la paluchette. Sa main réceptrice se vide rapidos. Quand elle est libérée, la gravosse ramène sur son ventre son sac qu’elle porte en bandoulière et y puise une nouvelle provise.
A son côté, il y a une espèce de ouistiti soucieux qui s’active de même. Lui aussi joue en pure perte depuis un bon moment. Je décide que je prendrai la suite du premier des deux qui lâchera. Ils continuent de semer à tout-va leur grisbi. Toujours rien. Ils doivent avoir mal au bras à force de tirer sur la commande. La gravosse achève sa seconde réserve.
Elle hésite et soupire. Le ouistiti d’à côté fouille ses vagues. Il est à sec de pièces. Les deux se regardent et échangent en chinois quelques considérations désabusées, genre : « Ong La Dan L’Ku. » Et puis, d’un accord commun, ils abandonnent. J’hésite. Quel appareil choisis-je ? Celui de la bonne dame, ou celui du ouistiti ? Bast, j’avais retapissé la grosse en premier, c’est donc que mon instinct me guidait. Un grand jeune glandu blond et rose, made in Holland, ça je t’en fous mon billet, radine à l’appareil du petit Jaunet. Ma pomme, je me recueille avant que de confier ma première pièce à la bouche pincée de mon appareil. Je la charge de toute ma détresse :
« Vas-y, ma mignonne gagneuse ! Et ramène du blé à ton julot ! »
Je vois valser prunes, raisins, oranges, citrons et cerises.
Deux raisins s’ajustent et puis le reste foire.
In the babe !
Seconde pièce !.. Gling ! gling ! gling ! gling !
Nothing !
Un fracas s’opère à mon côté. C’est l’emmanché de grand Batave qui vient de décrocher la timbale. La toute vraie manne (d’osier). Il lui en dégueule plein les mains, sur les pieds. Ça n’arrête pas de flouzer.
Je m’arracherais la peau des burnes pour m’en faire un imperméable ! Une chance sur deux ! J’ai choisi la mauvaise place, car je sais que mon appareil sera impitoyable. Pauvre connard, va ! Sans joie, j’introduis mes deux dernières pièces. Les rouages ont un ton lugubre pour m’annoncer que je peux me l’arrondir vilain. Et, effectivement, j’inscris pas de bol à mon palmarès.
Vaincu par la malchance, j’essaie de me remonter le moral en me disant que quelques heures plus tôt, je moisissais au fond de la fosse. Tout de même, je suis fauché, mais libre ! Je vais trouver un autre moyen de m’en sortir. J’ai commencé par le mauvais, il faut continuer par le bon. Ça aussi appartient aux lois des probabilités, non ?
Alors je regrimpe dans la zone des jeux « sérieux ».
Des fois que, parmi la populace, une belle âme aurait les poches débordantes, va-t’en savoir.
Au bout de quelques pas incertains, une forte émotion me saute à la gorge. Je reste abasourdi de surprise, si tu me permets l’expression, ma belle sans-culotte.
A la table qui se trouve face à moi, parmi les frénétiques de la plaque, une fille ensorcelante est assise. Sublime dans une robe vert émeraude, avec un col bordé d’argent.
Cette fille c’est « ma » Chinoise de l’hydroglisseur.
C’est-à-dire « mon » voleur. Ou mon violeur, si tu préfères.