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VENDREDI 29 JUIN 1934


Godesberg. Hôtel Dreesen. Vers 22 heures.


Goebbels regarde le Chancelier qui lit ce nouveau message. « De Berlin et Munich arrivaient des nouvelles graves », commentera plus tard Goebbels. Les messages de Goering, ceux de Himmler font état de la nervosité des S.A., de préparatifs guerriers. « Le Führer est profondément blessé dans son âme, ajoute Goebbels. Mais aussi comme il est ferme dans sa résolution d’agir impitoyablement, de jeter à terre ces rebelles réactionnaires qui, sous le slogan de Deuxième Révolution, voulaient briser la loi, la fidélité qui les unissaient au Führer et au Parti et plonger le pays dans une confusion dont ils ne pouvaient prévoir la fin. » Goebbels croit-il réellement à cette menace alors que sur la terrasse de l’hôtel Dreesen il approuve et confirme les messages que Goering fait parvenir depuis Berlin à Hitler ?

Goebbels est en tout cas suffisamment perspicace pour comprendre qu’en cette nuit du 29 juin, il doit y croire, s’il veut rester le chef nazi et le ministre qu’il est devenu. Il doit sans doute se féliciter d’être là, dans l’ombre du Führer, à l’abri de cette ombre, protégé de Goering, de Himmler, de Heydrich ayant choisi le même camp qu’eux. À temps.


LES SIGNES ANNONCIATEURS...

Il est vrai que les signes n’ont pas manqué depuis quelques mois et Goebbels a toujours su les interpréter. Lui qui jongle avec la vérité il connaît la valeur des mots. Et il y a presque un an déjà, le 6 juillet 1933, les premiers avertissements ont retenti.

Hitler lui-même reçoit ce jour-là, à la Chancellerie du Reich, les Reichstatthalter. Quand le Führer pénètre dans la grande salle aux murs recouverts de marbre, les responsables nazis sont debout, le bras tendu. C’est bien l’une de ces réunions militarisées qu’aime par-dessus tout Adolf Hitler. Sa voix est forte, brutale, comme si au-delà de la salle il s’adressait aux millions de Chemises brunes du Reich que la prise du pouvoir n’a pas apaisés.

« La révolution, commence le Führer, n’est pas un état de choses permanent et nous ne pouvons lui permettre d’en arriver là. Le fleuve de la révolution déchaînée doit être conduit dans le canal sûr de l’évolution ». Autant dire que la révolution est finie et qu’il n’y aura jamais de seconde révolution.

Et, le 16 juillet, à Leipzig, dans un nouveau discours, Hitler est encore plus clair : « Les révolutions ayant réussi au départ, proclame-t-il, sont beaucoup plus nombreuses que les révolutions, qui, une fois réussies, ont pu être contenues et stoppées au moment opportun ».

Sans doute est-ce depuis ces jours de l’été 1933 que Goebbels a compris qu’il lui fallait désormais être prudent dans ses relations avec Ernst Roehm et les Sections d’Assaut.

Pourtant fallait-il déjà choisir ? Roehm était toujours une force : Hitler lui-même n’agissait-il pas avec prudence ? Lettre personnelle, tutoiement et à l’occasion de la promulgation le 1er décembre 1933, de la loi d’union du Parti et de l’État, entrée de Roehm dans le gouvernement du Reich avec son titre de chef d’État-major des S.A. La partie n’était donc pas jouée. Pourtant, pourtant, en même temps que Roehm, Hess, ce personnage curieux au visage asymétrique qui avait servi de secrétaire à Hitler au temps où celui-ci incarcéré dans la forteresse de Landsberg écrivait Mein Kampf, Hess, au regard d’illuminé et de fanatique, est lui aussi entré au ministère comme chef de cabinet du Führer, son représentant personnel. Rudolf Hess, qui a donc la confiance totale du Chancelier, est devenu le deuxième personnage du Parti après Hitler.

Or, Rudolf Hess prend lui aussi position contre les méthodes chères aux S.A. : « Chaque national-socialiste doit savoir, martèle-t-il, que le fait de brutaliser les adversaires prouve une mentalité judéo-bolchevique et représente une attitude indigne du national-socialisme ». Que pouvait penser un Karl Ernst d’une pareille phrase ? Lui, l’Obergruppenführer qui riait devant les visages martyrisés des prisonniers ?

Naturellement la « correction » que Rudolf Hess demande, il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Joseph Goebbels comprend parfaitement qu’elle n’est qu’une façon, la plus payante, de se séparer des S.A., de les obliger à se plier à la discipline du gouvernement nazi, d’exiger, même dans la brutalité, l’ordre et l’organisation méthodique comme savent déjà le faire la Gestapo et les S.S.


Dès lors les avertissements aux S.A. se multiplient, de plus en plus clairs. Joseph Goebbels, lui, ne donne pas de la voix dans le choeur des partisans de l’ordre. Il attend, il note les prises de position : il comprend. Goering licencie les policiers auxiliaires S.A. et proclame : « A partir du moment où selon les paroles du Führer et chancelier de l’État national-socialiste, la révolution est terminée et que la reconstruction nationale-socialiste, a commencé, tous les actes non conformes à la législation pénale, quels qu’en soient les auteurs, seront réprimés sans la moindre indulgence ».

Frick, ministre de l’Intérieur du Reich, est encore plus précis : « La tâche la plus importante du gouvernement du Reich, écrit-il, est maintenant de consolider idéologiquement et économiquement le pouvoir absolu concentré entre ses mains. Or, cette tâche est sérieusement compromise si l’on continue de parler d’une suite à donner à la révolution ou d’une deuxième révolution ». Les S.A. sont une fois de plus directement visés et Frick conclut, menaçant : « Celui qui parle encore en ces termes doit bien se mettre dans la tête que de cette manière il s’insurge contre le Führer lui-même et qu’il sera traité en conséquence ». C’était le 11 juillet 1933.


Les mois passent et les plaintes se précisent Goebbels suit la progression des assauts insidieux ou directs que la vieille bureaucratie allemande ralliée au national-socialisme ou le Parti et ses puissants dirigeants (Goering, Hess) mènent au nom de l’ordre contre les Sections d’Assaut et donc contre leur chef.


Frick, le 6 octobre, relève que des délits de droit commun, perpétrés par des S.A. ont bénéficié d’un non-lieu. Et le ministre de l’Intérieur du Reich poursuit : « Le service de l’administration d’État nationale-socialiste et de la police ne doit plus être gêné d’aucune façon par les interventions inadmissibles des S.A. Les actes répréhensibles commis par des membres des S.A. devront faire l’objet de poursuites énergiques. » Goebbels sait lire un communiqué : celui-ci signifie que les S.A. doivent rentrer dans le rang. Quelques mois plus tard, le 22 février 1934, alors que Roehm est devenu ministre, Hess, dans le Völkischer Beobachter, lance un nouvel avertissement : « Tout S.A. de même que tout dirigeant politique ou dirigeant des Jeunesses hitlériennes n’est qu’un combattant au sein du parti... Il n’y a, ni à l’heure actuelle ni dans l’avenir, aucune raison de mener une existence propre. »

Roehm et les Sections d’Assaut doivent plier. Ils peuvent répéter : « Écoutez bien, hommes du passé, Vous n’insulterez plus longtemps les Alte Kämpfer. » leur marge de manoeuvre se rétrécit. Et Goebbels les voit se débattre. Il se tait encore, mais il est bien placé, à Berlin, dans le Parti et dans le gouvernement pour savoir ce qui se trame. Il est d’ailleurs en contact avec Ernst Roehm, il l’écoute, attentif à guetter dans les paroles du chef d’État-major ce qui peut dévoiler ses intentions. Roehm est là, en face de lui. « Il faut, dit-il, faire de l’Allemagne, ein totaler S.A.-Staat. » Il s’obstine donc.


Goebbels suit aussi les progrès de Himmler en marche vers la puissance secrète. Il sait que Roehm est confiant : Himmler est son vieux compagnon des temps héroïques de Munich en 1922-1923. Himmler alors faisait partie de la Reichskriegsflagge. Lors du putsch, il était derrière les barbelés, tenant le drapeau du Parti. Roehm aime son vieux camarade Himmler ; il ne s’inquiète pas de la croissance des S.S. Il trouve normal que quelques S.A. deviennent S.S. et d’autant plus que les effectifs des S.S. ne doivent pas dépasser 10 % de ceux des S.A. Goebbels, au printemps 1934, apprend d’ailleurs par ses informateurs que Roehm et Himmler se sont rencontrés.


ROEHM ET HIMMLER

Vers le début mars, on a vu arriver à Rathenow, venant de Berlin qui n’est qu’à 78 kilomètres, de nombreuses voitures officielles. Elles traversent rapidement la petite ville au moment où les ouvriers des usines d’instruments optiques quittent sur leurs bicyclettes les bâtiments gris pour la pause de midi. Les voitures s’arrêtent devant l’entrée du Gut Gross-Wudicke qui appartient à M. von Gontard.

De la voiture d’Ernst Roehm descendent aussi le S.A. Standartenführer Graf Spreti, cet aide de camp à visage de fille dont on sait qu’il est la dernière passion de Roehm, puis le S.S. Gruppenführer Bergmann qui est aide de camp de Roehm avec le titre de Chef Adjudant et enfin Konsul Rolf Reiner, chef du cabinet de Roehm. Lui aussi est S.S. Gruppenführer et avec Bergmann ils sont auprès de Boehm les agents de liaison de Himmler et ses informateurs. D’une autre voiture descendent Himmler et son aide de camp, l’Obersturmbannführer de la S.S. Karl Wolff. À pas lents, le groupe où se mêlent les uniformes noirs et bruns se dirige vers les bâtiments du domaine. Un repas doit y avoir lieu. La conversation est amicale.

Roehm a même familièrement pris Himmler par le bras. À table, le ton des conversations monte. Roehm qui a bu et mangé d’abondance, s’enflamme, interpelle Himmler : « Les S.S. ont une attitude conservatrice » dit-il, ils protègent la « Reaktion » et les petits-bourgeois, « leur soumission à la bureaucratie traditionnelle, à l’armée est trop grande ». Himmler se tait : il n’a pas l’habitude d’être ainsi frappé par des reproches publics. C’est son aide de camp Karl Wolff qui prendra – il s’en souvient encore des années plus tard – la défense de son chef, qui était un timide, dira-t-il, et des S.S.

Goebbels et les autres dirigeants du parti – Goering d’abord – avaient eu connaissance de la rencontre et de son objet. Himmler est apparemment toujours le second fidèle de Roehm : mais ses réseaux policiers s’étendent Goering lui envoie des intermédiaires : Pili Körner surtout qui fait la liaison entre « l’aviateur dément », comme l’appellent certains militaires, et le chef des miliciens noirs. Goering cherche à obtenir des garanties pour lui-même et à pousser Himmler et Heydrich contre Roehm.

Joseph Goebbels observe ces préparatifs. Il sait que Himmler et Heydrich rassemblent à Berlin des collaborateurs sûrs, qu’ils font venir de Munich : Müller, Heisinger, Huber, Flesch. Autour de Roehm ils resserrent le cercle.


La Gestapo et aussi des agents de renseignements de l’armée découvrent à Berlin une ancienne ordonnance du mess des officiers de Himmelstadt. Roehm avait été en garnison dans cette petite ville. L’ordonnance est maintenant restaurateur dans la capitale. Des messieurs auxquels il n’est pas question de refuser de parler lui posent des questions précises sur la lointaine vie privée du capitaine Roehm. A Himmelstadt, Roehm avait une liaison avec une jeune fille, commence par dire le restaurateur. L’interrogatoire continue. Bien sûr, ajoute-t-il, les ordonnances savaient que Roehm avaient aussi des moeurs particulières : « Vous comprenez, dit-il, il tentait toujours de se livrer, sur nous, les ordonnances, à des choses pas morales. »

Les messieurs enregistrent la déposition. Quand la police s’intéresse ainsi à la vie privée d’un ministre cela signifie, à tout le moins, que sa situation n’est plus indiscutable et que certains cherchent à constituer les dossiers de la future accusation.


C’est le mois d’avril 1934 : Roehm proclame à tous qu’il faut poursuivre la Révolution, l’achever. « Ne débouclez pas vos ceinturons », lance-t-il aux Sections d’Assaut. Et les S.A. parlent de « nettoyer la porcherie ».

Vers la fin de ce mois d’avril, Himmler demande à Bergmann et à Rolf Reiner de lui organiser une nouvelle rencontre avec Ernst Roehm. Démarche de la dernière chance ? L’entrevue est entourée de mystère. Goebbels ne la connaîtra que plus tard. Il semble que Himmler ait mis Roehm en garde : « L’homosexualité, dit-il au chef d’État-major des S.A., constitue un danger pour le mouvement ». Il n’implique pas Roehm lui-même, mais dénonce les Obergruppenführer S.A. qui comme Heines, Koch, Ernst et beaucoup d’autres sont ouvertement, publiquement, des invertis. « N’est-ce pas un grave danger pour le mouvement nazi, continue Himmler, que l’on puisse dire que ses chefs sont choisis sur des critères sexuels ? »

Roehm ne répond pas : il hoche la tête, il boit. Himmler évoque les bruits qui courent à Berlin : des chefs S.A. auraient organisé un véritable réseau de recrutement qui, dans toute l’Allemagne, draine les jeunes et beaux S.A. vers Berlin et les orgies auxquelles Roehm et ses aides de camp participent Himmler se contente de rappeler l’intérêt supérieur de l’État, qui est au-dessus de tout. Roehm brusquement éclate en sanglots, il remercie bruyamment Himmler de ses conseils, lui prend les épaules. Il semble que l’alcool aidant, Roehm reconnaisse ses torts, promette de s’amender, de suivre les avis de son vieux camarade Himmler.

Les chefs S.A. quittent l’auberge retirée où a eu lieu l’entrevue. Mais le lendemain matin les agents de Himmler auprès de Roehm lui apprennent que durant toute la nuit une des plus fantastiques orgies qu’ils aient vues s’est déroulée au Stabsquartier, le quartier général de Roehm. Des bouteilles se sont brisées sur les trottoirs, lancées depuis les fenêtres ; les rires retentissaient jusque dans la rue. Roehm a, toute la nuit, participé à l’orgie avec ses Lustknaben, ses garçons de joie. Himmler s’emporte. Plus tard, on l’avertit aussi que Roehm a entrepris un voyage en Allemagne, visitant les unités S.A. Himmler comprend que l’affrontement ne peut plus tarder longtemps et quelques jours après Roehm, il va à son tour de ville en ville donner ses ordres aux S.S.


Joseph Goebbels qui a ses informateurs dans tous les clans sent lui aussi venir l’explication finale. Il apprend que Heydrich commence à établir des listes d’ennemis. Himmler et Goering donnent aussi les noms de ceux qu’il faut inscrire. Himmler parle déjà du successeur de Roehm, un chef S.A. Viktor Lutze.

Goebbels n’est évidemment pas le seul à être informé des dissensions qui se creusent entre Roehm et les autres chefs nazis. Dès la fin mars, un correspondant à Berlin de l’Associated Press en fait état, mais le service de presse de la Chancellerie du Reich dément avec indignation de pareilles rumeurs. Démenti vaut preuve, dit-on parfois dans les milieux politiques. Hitler sent si bien qu’il n’a pas convaincu qu’il reçoit personnellement, quelques jours plus tard, le journaliste américain Louis P. Lochner. Avec la brutalité et l’audace des reporters des Etats-Unis, Lochner pose d’entrée la question décisive :

« Monsieur le Chancelier, on prétend que parmi vos proches collaborateurs, il y a des hommes qui cherchent à vous évincer. On dit ainsi que l’un d’entre eux parmi les plus éminents essaie de contrarier les mesures que vous prenez ».

Hitler ne s’emporte pas, au contraire, il sourit : « Il semblait passer en revue, note Lochner, les figures des hommes qui lui étaient les plus proches dans sa lutte et se réjouir de ce qu’il voyait en eux ». Puis, le Chancelier nie qu’il y ait dans son entourage la moindre rivalité à son encontre. « Certes, continue-t-il, je ne me suis pas entouré de nullités, mais de vrais hommes. Les zéros sont ronds : ils s’éloignent en roulant quand ça va mal. Les hommes autour de moi sont des hommes droits et carrés. Chacun d’eux est une personnalité, chacun est rempli d’ambition. S’ils n’étaient pas ambitieux, ils ne seraient pas là où ils sont. J’aime l’ambition ». Le Chancelier marque une pose. « Quand il se forme un tel groupe de personnalités, continue-t-il, des heurts sont inévitables. Mais jamais encore aucun des hommes qui m’entourent n’a tenté de m’imposer sa volonté. Bien au contraire, ils se sont parfaitement pliés à mes désirs ».

Duplicité du Führer ou espoir que tout peut encore, entre les clans qui l’entourent, se résoudre par un compromis ? Goebbels en tout cas tient compte de ces hésitations du Chancelier. Il garde le contact avec Roehm, sert d’intermédiaire entre le chef d’État-major et Hitler, mais en même temps, il est prêt à l’abandonner si un signe décisif montre que Hitler a choisi la liquidation de Roehm. Aussi Goebbels est-il prudent dans ses contacts avec Roehm : les deux hommes se rencontrent dans des auberges discrètes, sans témoin. Goebbels sait bien que les listes de Heydrich s’allongent vite : chaque personnalité inscrite a un numéro d’ordre. Il sait aussi que Hess, Martin Bormann et le major Walter Buch, président de la Uschla (tribunal suprême du Parti), continuent de rassembler les témoignages sur la corruption et la débauche des chefs S.A. Sur Heines, qui avait participé à l’assassinat du ministre Rathenau, les fiches s’accumulent.

Car cet Obergruppenführer S.A. est lui aussi malgré son allure de fonctionnaire tranquille au visage rond, digne et soigné, un homosexuel notoire. Il est pourtant l’un des plus proches collaborateurs de Roehm et l’un de ses compagnons d’orgie. En 1926, Hitler l’a fait rayer de la Sturmabteilung mais sur l’insistance de Roehm il est rentré en grâce et occupe un poste de commandement.

Depuis 1934 il est Polizeipräsident (préfet de police) de Breslau. Son État-major ressemble à celui de Roehm : on y rencontre les « passions » du maître. L’homosexuel Engels est Obersturmbannführer et le jeune Schmidt est aide de camp. C’est ce jeune homme de 21 ans qui est la dernière « folie » de Heines. Quoi que fasse ce joli garçon blond, il est couvert par son amant. Quand, un jour d’ivresse, il tue d’un coup de poignard en public, un compagnon de beuverie, le Polizeipräsident interdit au parquet d’intervenir. En fait Schmidt est plus un jeune ambitieux avide qu’un inverti : il cède à Heines par goût de l’argent et sans doute est-ce pour cela que cet adhérent des jeunesses hitlériennes a accepté à 17 ans de se prêter à Heines. Aux côtés de ce couple, l’Obersturmbannführer Engels, dépravé, inverti joue le rôle du mauvais génie de Heines, de l’intrigant aux aguets. Il est de ceux qui utilisent l’organisation S.A. et la Jeunesse hitlérienne pour recruter des compagnons pour les jeux érotiques. D’ailleurs auprès des chefs S.A., Peter Granninger, en qui ils ont pleine confiance est chargé, moyennant un salaire de deux cents marks par mois, de trouver des « amis » et de mettre sur pied les fêtes de la débauche que se donnent Roehm et ses proches.

Goebbels sait cela, et il sait aussi que les haines se sont accumulées sur la tête de Roehm et des siens : le major Walter Buch, juge du Parti, son gendre Martin Bormann ont depuis longtemps, des années, un compte à régler avec Roehm. Dès que Roehm, rentré de Bolivie, a repris en main les S.A. ils ont essayé d’abattre ce rival. Au nom de la morale. Roehm ne cache guère ses penchants : « Je ne me compte pas parmi les gens honnêtes, a-t-il dit, et je n’ai pas la prétention d’être des leurs. » En 1932, Buch a monté une opération pour liquider Roehm et son État-major : les Standartenführer comte von Spreti, comte du Moulin Eckart et l’agent de renseignements des S.A. Georg Bell sont désignés aux membres d’un groupe de tueurs à la tête duquel le major Buch place l’ancien Standartenführer Emil Traugott Danzeisen et un certain Karl Horn.

Mais Horn a peur : il dévoile l’affaire aux S.A. Un matin des tueurs essaient en vain de le supprimer. Roehm, les comtes Spreti et du Moulin Eckart se rendent compte que Horn n’a pas menti. Effrayés, ils saisissent la police de l’affaire et, en octobre 1932, Emil Danzeisen est jugé et condamné à six mois de prison pour tentative d’assassinat. Roehm pour se protéger a même pris contact avec des adversaires du Parti nazi, des démocrates. Dans le clan des Buch, Bormann, c’est l’indignation. Ils ne lâcheront plus Roehm : au printemps 1934, ils sont à la tâche, constituant leurs dossiers, dressant leurs listes. Éléments nouveaux et décisifs par rapport à 1932, le Parti nazi est au pouvoir et Himmler, Reichsführer S.S., Heydrich, chef du Gestapa et du Sicherheitsdienst, Goering, Reichsminister, sont les inspirateurs de la nouvelle opération. En 1932, au contraire, Himmler n’avait pas ouvertement pris parti contre Roehm. Il avait servi de médiateur entre le major Buch et Roehm, en vain. Peut-être se souvenait-il de ce jour de mai 1922 où à l’Arzberger Keller à Munich, il avait rencontré Roehm pour la première fois, Roehm qui l’avait fait adhérer à l’organisation nationaliste Reichskriegsflagge. Depuis ce jour, douze ans ont passé, la situation à changé. Himmler est désormais l’adversaire de Roehm.

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