Lors de ce premier dîner en tête à tête, je t'ai posé mille questions. Tu te laissais faire, amusé. J'appris que tu étais suisse, et non allemand comme je l'avais cru, et que tu venais d'un petit village perché sur le flanc d'une montagne des Grisons. Ton père y était médecin ; ta mère s'occupait de la maison et faisait des enfants. Tu avais neuf frères et sœurs.
Sais-tu que depuis ta mort, ton petit bourg est devenu célèbre ? Il paraît que l'on peut visiter le chalet en bois foncé et aux volets rouges où tu vis le jour. Des géraniums fleurissent encore aux fenêtres. Un immense domaine skiable a été aménagé, et dès la tombée de la neige, les fous de la glisse débarquent en masse. Même des têtes couronnées viennent goûter aux joies de la poudreuse. Les ruelles que tu as dû connaître si calmes, sont chaque hiver envahies par une espèce bariolée à la démarche lourde et aux grosses bottes. Nostalgique des peaux de phoque avec lesquelles tu grimpais la montagne à la sueur de ton front, tu n'aurais guère apprécié ces innovations.
Avec en fond sonore le ruissellement des célèbres fontaines (où je m'attendais à voir folâtrer l'actrice Anita E. vêtue de sa robe noire), je dus à mon tour me soumettre à un interrogatoire serré. On parle de soi et de sa famille avec maladresse, à vingt ans.
En cherchant mes mots, je t'ai raconté mon enfance dans une petite ville de province, mon adolescence dans une banlieue, puis je t'ai dressé avec le peu de recul que l'on possède à cet âge, le portrait de mon père, enseignant, de ma mère, femme au foyer, de ma sœur aînée, qui venait de se marier, sans oublier mon petit frère, encore parmi nous. Tu m'écoutais, très attentif.
Je te laisse un instant, car le téléphone sonne.