Je suis comme le roi d'un pays pluvieux.

Charles Baudelaire, « Spleen ».


J'avais eu besoin des services d'un avocat, à la suite d'un litige avec une maison de disques. On me conseilla Pierre M., réputé pour être brillant, aussi demandai-je à le rencontrer. Je me suis trouvée devant un homme de mon âge, à la calvitie précoce, aux yeux noirs, et aux longues et belles mains. Maître M. avait un esprit étincelant, une éloquence remarquable et le sourire rare. Il me parut froid, professionnel et intelligent. En quelques semaines, il régla mon affaire, et me demanda une somme exorbitante.

Après m'être renseignée sur les honoraires exigés envers ce type de dossier – pour constater qu'il les avait doublés –, je me rendis à son cabinet. Il m'écouta sans ciller, index et majeur droits posés sur sa lèvre inférieure.

— Je coûte ce prix-là parce que je suis un des meilleurs, dit-il enfin, d'une voix posée que je jugeai prétentieuse.

Je sors mon chéquier de mon sac et le posai sur la table, afin de rédiger deux chèques à son ordre.

— Cela ne vous dérange pas que je vous règle en deux fois ?

Il répondit par la négative. Une fois remplis, je lui tendis les chèques ; il les prit, les regarda, tandis que ses yeux semblaient s'adoucir. Il dit alors être convaincu que les chefs d'orchestre gagnaient bien leur vie. Je me levai, le saluai sèchement et lançai, au moment de franchir le seuil de son bureau :

— Détrompez-vous, maître. Un chef de mon calibre, cela gagne encore beaucoup moins qu'un avocat du vôtre. Espérons qu'un jour, cela s'inversera.

Je claquai la porte si fort que sa secrétaire sursauta.

Le lendemain matin, il me renvoya par courrier un des chèques, avec ce mot :


Maitre M. serait heureux que Madame le Chef lui pardonne sa présomption en acceptant de dîner avec lui, à sa convenance.

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