J'imagine que tu aimerais, si tu le pouvais, me poser une foule de questions. Tu m'as quittée jeune fille, tu me retrouves mère de famille… Ta kleine Margotine a mûri. Elle a vécu. J'entends d'ici ta voix si distincte, presque cassante, et ses intonations qui trahissent tes origines. Impatient, gourmand, tu voudrais tout savoir de moi. Suis-je en mesure de te répondre ?

T'évoquer mon passé ne me répugne guère. C'est te dévoiler mon présent qui me navre ; le naufrage de mon mariage, la solitude inédite qui me ronge, et l'amorce de cette quarantaine qui me taraude. Ce soir, te livrer ce flottement inconfortable m'est pénible.

Je pourrais te raconter, en attendant le retour d'une témérité envolée, que j'ai réussi à m'imposer dans un milieu misogyne que tu as dominé tel un souverain. Mais tout cela, tu le sais, n'est-ce pas ? Tu me surveilles de près, musicalement. Il m'est déjà arrivé, lors d'un concert, de te sentir au bout de ma baguette, m'insufflant force et vitalité.

À présent, c'est ma vie privée qui t'intéresse, ma vie de femme. C'est pour cela que tu t'es assis là ce soir, et que je sens ton regard sur moi. Non, je n'ai pas peur. Je t'ai trop aimé pour avoir peur de toi. Cette lettre commencée pour te raconter une idée cocasse, se transforme peu à peu en confession amoureuse. Tu dois en être grisé. Je te propose la primeur de ces souvenirs intimes, à une condition.

Avant de te livrer l'histoire de Manuel, puis celle de Pierre, il me faut commencer par la tienne. Tu as été mon premier amour, ainsi que mon mentor, mon inspirateur, mon guide.

Si je suis arrivée là où je suis, c'est en partie grâce à toi.

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