Isabelle avait raison. Je n'attendis pas longtemps pour rencontrer Manuel et Nadège N. Le soir du concert, on ne voyait qu'eux dans la loge d'honneur de l'Opéra. Elle portait une robe en dentelle qui dévoilait presque son anatomie, et même de loin, on devinait l'éclat insolent de sa bouche écarlate. Lui, sobrement élégant dans un smoking noir, lisait le programme. Un autre couple les accompagnait qu'on ne remarquait pas tant les N. étaient éblouissants.

En rentrant chez moi après le concert, je découvris devant la porte un bouquet de fleurs, et ce mot :

Merci de votre superbe talent. Venez nous rejoindre demain soir pour un souper aux chandelles avec quelques amis musiciens…

Nadège et Manuel N.

Villa Irrintzina Promenade des Falaises


Comment résister à cette invitation ? Et comment oublier la robe qu'elle portait ce premier soir, un fourreau en satin lie-de-vin qui dévoilait des épaules dorées ?

— Quel bonheur que vous soyez venue ! chanta Nadège.

Inoubliables également, son sourire accueillant et sa façon charmante de m'offrir deux mains brunes.

La Villa Irrintzina surplombait la mer opaline, et la rumeur des vagues montait jusqu'à nous. Un magnifique clair de lune éclairait la haute bâtisse à colombages, les jardins luxuriants aux hortensias touffus, et une grande piscine. Manuel nous attendait sur la terrasse quadrillée de flambeaux, près d'une table dressée pour trois personnes. C'est alors que je me rendis compte qu'il n'y avait pas d'autres invités en vue.

— Suis-je la première ?

— La première… et la dernière, fit Nadège en souriant. Nos amis viennent de se décommander.

Manuel s'approcha et me salua. Son sourire dévoila des dents blanches et parfaitement alignées ; des dents de jeune homme dans une bouche de quinquagénaire. Tout en me donnant une coupe de champagne, il me fit part de son bonheur de m'accueillir chez lui. En captant pour la première fois son regard, je me rendis compte que Stéphane avait raison. Quelque chose se dissimulait derrière ce masque de perfection.

Nadège, durant le dîner apporté par un serviteur aux pas de velours, fît tout pour me mettre à l'aise. Elle devait sentir ma gêne face à ce luxe inhabituel. Drôle et piquante, elle m'arracha malgré moi bon nombre de rires. Manuel nous observait ; il parlait peu et fumait cigare sur cigare. Plusieurs fois, je sentis ses yeux sur moi.

Après un délicieux repas, il s'éclipsa. Nadège et moi restâmes sur la terrasse à bavarder et à boire du champagne. Installée à la Récamier sur une chaise longue, elle me raconta son enfance dans son pays d'origine. Vers minuit, je sentis la fatigue m'engourdir. Je fis mine de me lever. Désolée de me voir partir si tôt, elle suggéra un bain de minuit.

Je jetai un coup d'œil à la piscine ovale qui reflétait la nacre de la lune. Le spectacle fut tentant. Mais je n'avais pas de maillot. Elle rit :

— Ce n'est pas grave ! Moi non plus. Venez.

Je la suivis jusqu'à la piscine. D'un geste souple, elle ôta le long fourreau ; elle ne portait pas de sous-vêtements. Je découvris son corps splendide aux attaches fines.

— Ne soyez pas timide, s'amusa-t-elle. Nous sommes seules.

Hésitante, je regardai vers la maison, alors qu'elle plongeait déjà dans l'eau. Je lui demandai où était son mari ; elle m'informa qu'il était parti se coucher. Rassurée, j'enlevai à mon tour jupe et chemisier. Elle m'attendait, cheveux blonds plaqués sur un crâne joliment rond. Je me glissai dans la piscine. L'eau parut veloutée à ma peau dénudée.

Nadège aimait se baigner ainsi pour s'endormir aussitôt comme un bébé. Nous nageâmes assez longtemps, puis elle se hissa hors de l'eau, m'indiquant qu'elle allait nous chercher des serviettes. Elle disparut. Le froid m'envahissant, je sortis de la piscine en grelottant. Devant moi, la villa silencieuse me dominait de toute sa hauteur. Aucune lumière n'émanait des fenêtres.

Au premier, un grand balcon fleuri avançait vers le jardin. Alors que je le contemplais, quelque chose de métallique capta un rayon de lune. Je plissai les yeux. Il me semblait avoir aperçu une silhouette tapie dans l'ombre du balcon. Je reculai, protégeant ma nudité avec mes bras.

Nadège réapparut avec des serviettes. Elle avait remarqué mon mouvement brusque et me demanda si tout allait bien. Je ne sus que répondre. Elle suivit mon regard :

— Vous avez vu quelqu'un au balcon ?

Je dis en avoir eu l'impression, mais m'être peut-être trompée. Elle drapa la serviette autour de mes épaules, puis m'annonça que je n'avais pas rêvé ; il s'agissait de son mari. Je me suis figée.

Tout en se séchant les cheveux, elle me raconta comment Manuel aimait admirer de jolies femmes avec des jumelles, et qu'il avait eu raison de me regarder. Elle m'adressa un sourire de connivence ; une longue main dorée vint caresser le creux entre mes seins.

— Vous êtes belle, Margaux. Vous avez de jolies jambes, une taille fine…

Prise de panique, je me rhabillai. Elle eut un rire léger :

— Je ne vais pas vous manger !

Je me sentais ridicule et mal à l'aise. N'osant plus la regarder dans les yeux, je marmonnai que je devais m'en aller, et la remerciai pour le dîner. Toujours nue, la poitrine arrogante, les hanches ondulantes, elle m'accompagna jusqu'au portail où j'avais garé ma voiture.

— À bientôt, me dit-elle. Revenez quand vous voulez.

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