Max, j'ai fait une chose ridicule, et j'en ai honte, mais il faut bien que je me confesse à présent. Sois indulgent, après ce petit déjeuner décevant avec Hadrien, je n'ai plus supporté d'être seule. Tu soupires, Max. Laisse-moi poursuivre. Tu devines, n'est-ce pas, la nature de mon aveu ? Oui, j'ai fait cette chose ridicule que les hommes font, prendre leur calepin, et se mettre à l'affût de ce qu'on appelle « le coup d'un soir » afin de tromper leur solitude.

L'idée de séduire un étranger me paraissant impossible, je décidai de me rabattre sur les hommes du passé, ces autres ex, ceux de la liste plus longue et plus futile. J'ai dû longtemps fouiller afin de mettre la main sur un ancien répertoire à la couverture rouge, enfoui au fond d'un tiroir, vestige d'une époque plus libertine de ma vie, et que j'exhumai avec fébrilité.

En lisant ces noms d'hommes écrits de ma main, classés par ordre alphabétique, ma solitude semblait peser plus lourd encore. Tel Leporello effeuillant le catalogue de son maître, je partis à la recherche de l'amant d'une nuit, quelqu'un qui ne me poserait aucune question, qui ne chercherait pas à s'insinuer dans ma vie, et qui s'en irait dès le lever du jour.

R.B. ? Pianiste virtuose, mais peu doué pour la musique de chambre… R.D. ? Une ancienne histoire… Pourquoi pas ? Je composai son numéro. Une voix de femme me répondit, je raccrochai. E.D. ? Il était parti vivre aux États-Unis. E.L. ? J'écoutai sa voix endormie sur un répondeur, peu inspirée par ses intonations molles. S.R. ? Impossible de m'en débarrasser le matin venu, je m'en doutais déjà. B.W. ? Celui-là me laissait de bons et chauds souvenirs… Mais son numéro n'était plus attribué. L.Z. ?

Luc. Mon petit Luc. J'avais une certaine tendresse pour ce jeune homme qui avait sept ans de moins que moi. Luc devait être marié, à présent ; je me souviens qu'il était fiancé, lors de notre liaison. Le numéro de sa garçonnière rue T. sonna longtemps dans le vide. Puis une très jeune fille répondit. Elle me dit que M. et Mme Z. n'étaient pas là, et qu'elle gardait leur bébé. Luc marié, père de famille ! Je m'esclaffai.

— Dites à Monsieur que Margaux a téléphoné.

— Margot comment ?

— Margaux avec un X. Cela suffira.

Il rappela dans l'heure. Serait-il libre un soir de la semaine, sans Madame, bien entendu ? Il voulut savoir s'il s'agissait là d'une proposition indécente. C'en était une. La suite, cher Max, est un peu triste. Il ne faut jamais réchauffer les vieux restes. J'aurais dû m'en douter.

Yeux ouverts dans la pénombre, j'ai tenté d'effacer le désastre qu'avait été notre étreinte. Où donc étaient passées les étincelles dégagées par nos corps effrénés, les sommets d'un plaisir aigu ? Il s'était acharné, déployant un mâle savoir-faire, en vain. Je n'ai senti monter en moi que le dégoût.

Vers une heure du matin, je l'entendis se lever ; il s'habilla et fila comme un voleur. En me réveillant, fourbue, je me suis demandé si je n'avais pas fait un mauvais rêve.

Puis, en allant dans la cuisine boire un café, je trouvai ce mot : « Ce n'est pas grave. Oublions. » Il avait signé son prénom, suivi d'un grand cœur. J'ai retenu la leçon, preuve qu'à mon âge, on a encore des choses à apprendre.

Il fut un temps où je ne pouvais pas me passer de cet homme-là ; je ne vivais que pour nos rendez-vous adultérins. Il m'avait donné les clefs de sa garçonnière. Comme je répétais le soir, mon mari ne se doutait de rien. J'étais de retour vers minuit, l'œil brillant, le corps encore engourdi d'amour.

Pour aller chez Luc, je prenais le métro aérien. Je ne voulais pas que l'on pût remarquer ma voiture garée devant chez lui. À la tombée de la nuit, j'aimais voir défiler ces façades où des lumières s'allumaient petit à petit, dévoilant le quotidien d'inconnus aperçus fugitivement de mon train : images encadrées de fenêtres, multitude de carrés posés les uns au-dessus des autres, m'offrant l'intimité d'immeubles entiers ; une femme repassant dans une cuisine, une famille attablée devant l'écran bleuté d'une télévision, un couple enlacé sur un lit, un homme au téléphone, une maîtresse de maison s'affairant à un gâteau couronné de bougies. Ces tranches de vie hâtives attisaient ma curiosité, et j'aurais aimé que le train se mît à rouler moins vite afin que mon regard indiscret eût tout le loisir de s'attarder le long des vitres illuminées.

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