La dernière fois que je vis Vincent, il se réjouissait d'être oncle. Il n'a jamais connu Martin.
Grosse de huit mois, chancelante sur le bras de Pierre, ne pouvant pas regarder mes parents accablés de douleur, j'ai vu le cercueil contenant le corps de mon frère descendre dans le caveau familial, et mon ventre triomphant qui portait une nouvelle vie me parut plus lourd encore, obscène en cet endroit de deuil.
Auparavant, venue sur le lieu de l'accident avec Mathilde, j'avais contemplé les restes de la voiture, broyée par un camion fou sur la route des vacances.
C'était donc là, sur cette nationale banale, grise, bordée de stations-service et d'hypermarchés, là où l'asphalte montrait quelques traces de pneus à peine perceptibles, que Vincent mourut par un après-midi de juin.
Ce fut Pierre qui m'épaula, Pierre qui m'aida à tenir le choc, rendu encore plus pénible par le dernier mois de ma grossesse. En y repensant, je crois pouvoir t'affirmer que si j'ai aimé Pierre, ce fut lors de ces moments douloureux.
Je connais maintenant la fragilité de la vie, j'ai compris que l'on pouvait, en quelques secondes, passer du bonheur au malheur.