L'ambiance de la maternité où je devais avoir mon enfant me fascinait. Des infirmières, dossiers à la main, couraient à droite et à gauche en scandant des noms. Parfois, on entendait au loin un bébé pleurer ou une parturiente crier. Aux urgences, des femmes sur le point d'accoucher gémissaient en se tenant le ventre ; on leur posait les mêmes questions :
— Avez-vous des contractions ? Sont-elles rapprochées ? Avez-vous perdu les eaux ? Saignez-vous ?
Dans la salle d'attente, j'observais à la dérobée des femmes à des stades plus ou moins avancés de leur grossesse. Certaines me paraissaient énormes, tenant à peine dans des fauteuils pourtant larges. Je voyais leur abdomen tressauter, comme si le petit être à l'intérieur se trouvait lui aussi à l'étroit. D'autres, comme moi, avaient encore la taille fine, et rien ne laissait deviner leur état, à part les mots PRIMIPARE OU MULTIPARE inscrits sur leur dossier.
Je commis l'erreur d'inviter à dîner trois amies musiciennes et mères de famille qui s'empressèrent de nous raconter leurs accouchements respectifs dans les plus âpres détails ; insolite trio où il ne fut question que de puériculture et de ses dérivés. Il m'était difficile de croire que ces femmes, quelques années auparavant, attablées à la terrasse d'un café lors d'une tournée en province, me livraient à voix basse leurs aventures galantes.
Pierre refusa de m'accompagner aux consultations comme aux cours d'accouchement sans douleur. Il trouvait grotesques futurs pères comme futures mères ahanant pour faire le « petit chien ». Vers le sixième mois, il me dit avec une mine dégoûtée qu'il n'assisterait pas à l'accouchement, pour ne pas me voir dans cette position effroyable avec quelque chose de sanguinolent entre les cuisses. Je le suppliai de faire un effort, de venir pour moi, car j'avais besoin de sa présence. Il pourrait toujours sortir de la pièce au moment de la naissance comme le faisaient certains pères impressionnables.
Lorsqu'il me pria de ne plus lui en parler, je me suis demandé comment j'avais pu épouser un homme si différent de moi. Mais s'il n'y avait pas eu Pierre, cher Max, il n'y aurait pas eu Martin…
Le décès de mon frère nous rapprocha. Nous connûmes une courte complicité dont je garde un tendre souvenir. C'était un samedi brûlant de juin. Arrivée aux ultimes semaines de ma grossesse, je souffrais beaucoup de la chaleur. Le téléphone sonna à l'autre bout de l'appartement ; je n'eus pas le courage de bouger. Pierre répondit. Après un long moment, j'entendis ses pas remonter le couloir vers moi.
L'expression hagarde de son visage fit éclore un pressentiment horrible.
— Petite…, murmura-t-il. Il m'appelait rarement ainsi. C'est ton frère. Ton frère est mort.
Puis il se mit à verser des larmes silencieuses. Ce fut la première fois de ma vie que je vis un homme pleurer.