Une nuit de juillet, je fus réveillée vers deux heures par des contractions douloureuses. Je me levai calmement pour préparer mes affaires ; puis je tirai Pierre d'un profond sommeil. Il tournait en rond, fébrile, ne trouvait pas ses chaussettes, la ceinture qu'il voulait, et à force de vouloir faire vite, il prenait encore plus de temps.

Je commençais à souffrir. Je serrais les dents, et, à mon étonnement, je trouvais la douleur supportable. Quand une contraction me prenait, je ne luttais pas contre sa force ; au contraire, je m'abandonnais à elle, comme un surfeur se laisse glisser, porté par la puissance du rouleau.

Pierre ne comprenait pas mon calme. Il s'attendait à des larmes de douleur, à des cris. Il conduisait mal, brûlait les feux rouges, jurait. Nous arrivâmes aux urgences, lui titubant, moi sereine. Une contraction m'emporta. Je vacillai.

L'interne de garde m'examina, les traits tirés par une nuit sans sommeil. Il lança un regard à Pierre :

— Votre bébé va naître, nous avons juste le temps d'aller en salle de travail.

Pierre pâlit ; il demanda pourquoi on ne me donnait pas d'anesthésie péridurale. L'interne expliqua que le bébé allait arriver et qu'il fallait faire au plus vite. Un externe lui donna une blouse en papier verte, un bonnet et des bottes de la même matière. On me hissa sur un brancard ; Pierre suivait, blanc comme un linge, un peu ridicule dans son accoutrement.

À peine étais-je installée sur la table d'accouchement, pieds dans les étriers, la sage-femme me dit de pousser. Je le fis deux fois, de toutes mes forces, et le bébé glissa sans difficulté hors de moi. Elle le posa sur mon ventre doucement ; je découvris un petit être recouvert d'un enduit jaunâtre.

La sage-femme tendit une paire de ciseaux à Pierre et lui demanda s'il désirait couper le cordon. Je vis les yeux de mon mari se révulser. Il tomba comme une masse ; sa tête heurta le coin d'un radiateur et le sang jaillit. L'interne examina sa blessure et me rassura ; il n'avait rien de grave.

Mais j'avais déjà oublié Pierre. Plus rien ne comptait, ni Pierre, ni la musique. Je contemplais, émerveillée, trois kilos cinq cents grammes de bébé roux qui couinait sur mon sein, et qui ressemblait de façon extraordinaire à mon frère disparu.

Загрузка...