J'avais rendez-vous avec lui pour dîner, au restaurant de mon hôtel – où il s'était réservé une chambre. Lors de notre repas, j'entrepris de lui raconter mon dîner des ex, et comment l'idée m'en était venue. Une crainte fugace me traversa. Allait-il avoir la même réaction violente que mon père ? Me trouverait-il prétentieuse ou puérile ? Serait-il déçu par cet aveu incongru ? Je me sentais incapable d'affronter la désapprobation d'Hadrien.

Mais lorsqu'il voulut m'entendre parler de Manuel, de Pierre et de toi, je sus qu'il me comprenait et qu'il ne me jugeait pas. Ne m'étant confiée dans le passé qu'à des femmes, je n'avais jamais parlé ainsi d'hommes à un autre homme, ni dévoilé mon itinéraire amoureux. Il posa peu de questions et voulut savoir si ces trois hommes se connaissaient entre eux, si certains étaient amis. Je lui dis que non.

À la fin de l'histoire de Pierre, il me prit la main. Les siennes étaient un peu froides, à la peau lisse. Je ne m'attendais pas à ce geste, qui me surprit. Il le vit et lâcha aussitôt son étreinte. Je saisis alors la main qui venait de se dégager ; à son tour il eut l'air étonné.

Nous restâmes ainsi, mains nouées, silencieux. À quoi pensions-nous ? À ce premier geste amoureux ? À ce qui se tissait entre nous ?

Je t'avais parlé d'un sentiment blasé. Ce soir, il s'était envolé. Aucun homme ne m'avait bouleversée ainsi depuis une éternité ; à vrai dire, depuis toi.

Il fut le premier à rompre le silence, trouvant mon idée culottée et amusante, disant qu'il fallait avoir du cran pour assumer son passé ainsi. Puis il ajouta :

— Je voudrais que tu m'invites à ton dîner des ex. Cela me plairait de rencontrer les hommes qui t'ont aimée, et que tu as aimés.

Le « tu » inattendu me réjouit autant que sa proposition. Avec une expression de gamin farceur, il me proposa de faire croire aux deux autres qu'il était lui aussi un ex. Alors, entre deux fous rires, nous nous sommes inventé une passion mouvementée, une rupture effroyable, un froid passager, puis une amitié profonde et durable.

Il s'agissait de pouvoir parer aux éventuelles questions qu'un Pierre mal embouché ou un Manuel perfide pourraient nous poser. Ainsi débuta un questionnaire digne d'un interrogatoire de police, où nous devions livrer la vérité sur notre passé et notre présent ; il fallut ensuite retenir dates et lieux de naissance, signes astrologiques, (il me faut rajouter une assiette « Poissons » à mon dîner des ex), noms de nos parents, frères, sœurs et enfants.

Je voulus à mon tour l'écouter parler des femmes de sa vie, de celles qui avaient compté. Il était beau à voir, en parlant de ses anciennes amours. J'aime les gens qui ont un passé. C'est peut-être pour cette raison que j'ai souvent préféré les hommes plus âgés. S'il arrive que la jeunesse me charme, c'est la richesse d'une belle plénitude qui me séduit ; si d'aventure l'innocence d'un visage juvénile peut m'émouvoir, c'est encore l'intelligence d'un regard mature qui sait me captiver.

Devant la porte de ma suite, Hadrien m'embrassa sur les lèvres, avant de s'effacer dans l'obscurité du couloir. Son baiser fut court, et tendre. J'eusse aimé qu'il se prolongeât.

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