CHAT CLOWN 9

Laladou but son Coca cul sec.

— T’as jamais essayé d’y mettre du whisky dedans ? questionna Charlotte.

— Je suis musulman, répondit le Noir.

Elle travaillait au Prisunic voisin, ainsi que le Sénégalais. Elle, en qualité de vendeuse, lui comme manutentionnaire. Cela faisait quinze jours qu’il la regardait avec sa bite, et la môme, un poil raciste au départ, avait fini par accuser réception du message. La veille, elle avait accepté de le suivre dans un petit hôtel de passes de la rue Broutemiche, en plein quartier Saint-Martin. Au début, elle s’était montrée réticente, non par vertu, mais par crainte des « chasseurs de Noirs » qui sévissaient dans Paris. Laladou avait ri. Pliant son bras à l’équerre, il l’avait priée de toucher son biceps.

« — Je fais de la boxe, Lolotte. Ceux qui me voudraient du mal auraient la gueule de travers en dix secondes. »

Rassurée par cette démonstration de force, elle l’avait suivi au Mistigri Elite et n’avait pas regretté le détour. Vingt-quatre heures plus tard, elle en était encore endolorie.

— On y va ? demanda Laladou.

— D’accord, mais tu feras doucement, pleurnicha-t-elle. Tu ne te rends pas compte : un morceau pareil !

Il promit ce qu’elle voulut, le mâle acceptant tous les renoncements « avant » l’acte, mais oubliant ses promesses pendant.

Ils sortirent du bar en se tenant par la taille.

Un homme qui les surveillait depuis sa voiture stationnée en face du café actionna son avertisseur.

— Tu vas nous faire remarquer, grogna la femme assise à son côté.

Il ne répondit pas et mit le moteur en marche. Lorsque le couple eut quelques mètres d’avance, il déboîta et le suivit. Le conducteur paraissait soucieux. Il mâchonnait un morceau de réglisse de bois (une habitude qui le traquait depuis la communale).

— Tu as les foies ? demanda sa compagne.

— Le travail va être fait par un nouveau, fit le chauffeur.

— Faut un début à tout.

— C’est un flic !

— Ben alors il est du métier !

— Il a l’air con, fit le chauffeur ; c’est un gros con dégueulasse.

— Ça ne l’empêche pas de viser juste, je suppose ?


Le Mistigri Elite était un établissement minable situé au fond d’une impasse borgne, le genre boîte à morpions où devaient se transmettre nombre de maladies honteuses. Il y avait comme un porche donnant sur la rue, le rez-de-chaussée d’un immeuble ouvert sur l’impasse dans laquelle avait échoué un bric-à-brac sans nom que personne ne viendrait récupérer avant la démolition du quartier. Tout au fond, un perron de trois marches, et un globe électrique fêlé annonçait l’hôtel.

Le conducteur vit le couple s’engager sous le porche. Il fut happé par une pénombre grise.

Un gros type ceint d’un immense tablier de boucher maculé de sang, se dégagea d’une sorte de niche constituée par une porte de cave condamnée. Il se laissa dépasser par le Noir et sa conquête et sortit de sa large poche ventrale un pistolet de fort calibre équipé d’un silencieux. Il l’éleva posément à hauteur de sa hanche et tira sans hâte quatre balles dans le dos de Laladou. La rumeur de la circulation couvrit le faible crachotement de l’arme.

Le Noir parut trébucher. Il lâcha la taille de Charlotte et eut l’air de se mettre à courir ; mais il ne fit que deux enjambées, ses jambes ployèrent et il tomba la face contre les méchants pavés dits « tête de chat ». Son amie n’avait encore rien compris à ce qui se passait.

Le boucher sortit de l’immeuble, les mains aux poches. Il s’approcha de la voiture arrêtée et prit place à l’arrière :

— Chauffeur ! Au Bois et lentement ! lança-t-il joyeusement.

L’interpellé démarra.

— Beau carton, apprécia-t-il. Mais pourquoi avoir épargné la petite pute ?

— Parce qu’elle est blanche, mon pote. Moi j’sus entré dans vot’ régiment d’élite pour effacer des niacouais, uniqu’ment. J’ai rien promis d’aut’.

Et il laissa filer en loucedé un long pet qui ne tarda pas, cependant, à révéler sa présence.

* * *

La vie est un éternel recommencement. C’est pour cela que mourir ne doit servir de rien, je pressens. Une fois franchi le fameux tunnel dont parle les « revenus » et avoir débouché dans l’ineffable lumière, après les retrouvailles avec pépé, mémé, le général de Gaulle, Richelieu, Sully tout court et Sully Prudhomme, Mme Bérenge la concierge de Céline, Gainsbourg, papa, l’oncle Jean et des milliards d’autres, oui, après ce bigntz, tu penses bien que tout se réorganise en douceur, tout repart dans des habitudes frelateuses. Recommence, quoi !

C’est pile à cela que je pense pendant que l’hélico prêté par la gendarmerie se pose sur le terrain de Chalon-sur-Saône.

La Pine qui m’escorte se déléthargise et rallume son mégot. Une petite pluie fine fait des hachures sur le paysage, ce qui nous fait deux raisons de rentrer la tête dans les épaules lorsque nous déboulons du zinc.

— Je dois vous attendre, monsieur le commissaire ? demande le pilote en uniforme.

— S’il vous plaît, amigo. Mais il m’est impossible de prévoir la durée de notre escale. De toute façon, vous disposez d’un petit club-house où vous trouverez de la chaleur et de quoi vous sustenter.

Nous courons, César et moi, jusqu’au dit.

Il est géré par le même vieux nœud que l’autre nuit, sauf que le mec a troqué son pyjama contre un pantalon de velours et un pull en laine qui pue la bergerie négligée.

Il me reconnaît, je vois ça à son sourcil droit qui se soulève de trois millimètres.

— C’est encore moi ! je ricane.

— Vous avez quelqu’un à voir dans le coin ?

— Oui : vous ! Cela dit, servez-nous deux mâcon blancs.

— Pas d’alcool ! ronchonne le vieux glauque.

Son pif, pourtant, nous inciterait à douter de sa parole.

— Alors deux Perrier citron.

Pendant qu’il procède, je déballe ma carte tricolorisée et la dépose sur son rade, tournée dans sa direction, c’est-à-dire plein nord. Il louche dessus en posant les deux verres pleins de pétillance et a un acquiescement pour indiquer qu’il est nullement surpris.

— C’est à propos de l’autre nuit, attaqué-je-t-il.

— Allez-y.

— Vous vous rappelez la femme qui m’accompagnait ?

— Elle était assez belle pour qu’on ne l’oublie pas tout de suite.

— J’aimerais savoir comment elle s’est comportée après mon départ.

— C’est-à-dire ?

— A-t-elle marqué de l’impatience ? Eu l’air surpris ? Comment est-elle partie d’ici, tout ça, vous pigez ? Bien en détail, monsieur Rombier.

Il resourcille.

— Vous savez mon nom ?

Au lieu de lui dire que je me suis rencardé avant de venir, je lui fais l’aumône d’un chouette mensonge :

— Ben, je vous ai reconnu, qu’est-ce que vous croyez ! Régis Rombier, un as de l’acrobatie aérienne dans les années sixties. Vous grimpiez sur les ailes de votre coucou en vol ! Comme Roland Toutain, le comédien.

Là, je l’inonde de félicité, le vioque. Quand tu fais respirer sa gloire à un oublié, il s’embaume recta. Voilà qu’il se réanime, Rombier, se met à m’aimer.

— C’est vrai que vous m’avez reconnu, commissaire ?

Je remouille la compresse :

— Vous étiez mon idole quand j’étais mouflet !

Là, c’est la larmouille sur sa peau parcheminée.

Il se penche et sort de sous son rade une boutanche de vin blanc, vide nos verres d’eau gazeuse dans son bac à plonge et nous exécute deux ras bord d’une main qui ne tremble toujours pas.

— Je croyais que vous n’aviez pas le droit de vendre d’alcool, monsieur Rombier ? plaisanté-je.

— Pas le droit d’en vendre, mais le droit d’en offrir.

Il emplit à son intention un troisième godet.

— A la bonne vôtre, mes amis !

Après avoir ras-bordé, il culsèque, soucieux de ne pas laisser traîner des pièces à conviction.

— Pour en revenir à ce que vous me demandiez, monsieur le commissaire…

— Appelez-moi Antoine, ça me flattera.

Il opine et remplit nos verres de nouveau.

— Vous avez raison, fils : je pourrais être votre père. Donc, l’autre nuit, le pilote vient vous chercher et votre copine reste seule, les jambes croisées ! Pas triste ! J’ai soixante-huit ans, mais je lui aurais bien dit deux mots. Elle regardait l’heure à tout bout de champ. Et puis voilà un type qui se pointe. Jeune : trente-cinq balais à tout casser. Un imper noir à épaulettes ; d’un blond tirant sur le roux, l’air vaguement militaire, mais ça venait sans doute de la coupe de son imperméable.

« Il s’avance à la table de la femme. Elle lui sourit, lui tend la main. Il murmure un nom que j’entends pas, preuve qu’ils ne se connaissaient pas. Le gars dit avec un accent étranger :

« — Pardonnez-moi mon retard, mais j’ai préféré attendre qu’il décolle. »

« Il se tourne vers moi, désigne les consommations.

« — C’est payé ? » il me demande.

« Je fais signe que non. Alors il sorte une liasse de billets de son imper, jette un talbin de cent balles et écarte la table pour que la femme se dégage. Et puis ils s’en vont sans attendre la monnaie. Moi je cours à la porte pour prévenir le type. Je l’entends dire à la femme :

« — C’est à une cinquantaine de kilomètres d’ici, un ravissant petit château bourguignon, à la corne d’une forêt. Vous y serez très bien. »

« Je le hèle :

« — Vous oubliez votre monnaie ! »

« Il a un geste je-m’enfoutiste et s’empare du bras de la femme. Ils vont jusqu’au parking où une voiture avec chauffeur les attend. Une grosse bagnole, genre Mercedes ou américaine couleur foncée. Et ils disparaissent. Terminé ! »

— Eh bien, je n’en espérais pas tant, monsieur Rombier. Vous êtes également un acrobate de la mémoire.

Il me rit à plein dentier. Ses chailles, avec sa vie de cascadeur, il a pas attendu le troisième âge pour les effeuiller. Il en a marqué son chemin de bohème, comme le petit Poucet marquait le sentier du bois avec des cailloux. Soit dit en passant, j’insurge qu’on bonnisse aux bambins l’histoire d’un père allant perdre ses chiares dans la forêt. Drôle de façon de les sécuriser, les pauvrets ! Moi, tu ne m’ôteras pas de l’idée que ce Perrault de mes deux était un grand dégueulasse sadique, à terroriser nos bambins avec ses corneculteries de loup habillé en grand-mère pour bouffer la petite fille, de Barbe-Bleue zigouillant ses rombiasses et autres sanglantes sornettes ! Que moi je préfère lire aux petits enfants quelques pages de Robbe-Grillet pour être bien certain de les endormir mieux qu’avec une péridurale !

— Franchement, je n’en espérais pas tant, répété-je, sincère.

Pinaud qui est en manque de jacte, déclare :

— A quoi tient le hasard. Si cet homme avait réglé normalement vos consommations, sans abandonner un pourboire extravagant, M. Rombier ne serait pas sorti et n’aurait donc pas entendu les paroles du type à l’imperméable relatives à ce château sis à cinquante kilomètres d’ici.

— Maintenant, respire ! enjoins-je à l’élégant.

Puis, à l’ancien cascadeur :

— Monsieur Régis, l’autre nuit vous avez ouvert ce club alors qu’il ne fonctionne que dans la journée, je suppose ? D’ailleurs vous étiez en pyjama sous votre manteau.

— En effet.

— Qui donc vous a demandé de le faire ?

— M. Bonvalet-Depied, le président du club.

— En quels termes et à quelle heure ?

— Il était dix heures du soir. Il m’a dit que la police parisienne demandait l’usage du terrain pour un hélico entre minuit et une heure et que je devais ouvrir ma boutique exceptionnellement pendant ce laps de temps.

— Sans autre ?

— Non. Il n’avait pas l’air de savoir grand-chose de plus.

— Donnez-moi le bigophone de ce M. Bonvalet-Depied.

Le dabuche farfouille dans un tiroir et pêche un bristol sous pochette plastifiée sur lequel sont inscrits quelques noms accompagnés de numéros téléphoniques. Je prends note de celui du président.

— Il y a longtemps que vous habitez le pays, m’sieur Régis ?

— Une dizaine d’années. La même semaine j’ai perdu ma femme et ma mère. Ma vieille était native d’ici. J’ai hérité la maison de famille où elle avait passé sa vie. J’en avais quine de Paname. Alors, après ces deux deuils, je me suis dit que le moment de la verdure était venu. J’ai du terrain : je fais mon vin et mes légumes, quelques moutons… Ça pousse tout seul, le mouton, sans faire chier personne. Une petite pension de merde, un petit turbin de merde au club, ma voisine qui est veuve lave mon linge et me suce la queue ; je m’en sors et j’ai de quoi me finir !

— Vous les connaissez, vous, les castels bourguignons du coin ?

Il hausse les épaules.

— Moi, les châteaux, c’est pas mon blaud, sauf lorsqu’ils sont en photo sur une étiquette de pinard.

Le mot le fait réagir et il nous sert une troisième fois. La pluie tombe plus dru que naguère et cingle les vitres du club-house.

— Vous ne voyez pas qui pourrait me guider à propos de ces foutus châteaux ?

— J’ai ce qu’il vous faut : l’ancien proviseur du lycée. Il a deux passions dans la vie : les vieilles bâtisses bourguignonnes et le vol en planeur.


Il est à table lorsque nous sonnons chez ledit.

Un type sympa, corpulent, gris de poil, qui a conservé un accent du Sud-Ouest des plus rocailleux. Ses élèves ont dû beaucoup se marrer, quoiqu’il n’ait pas une frime à se laisser chahuter, M. Rebuffade.

Par une enculade de portes ouvertes, je vois la table servie, sa mémé pas joyce, une grande fille languissante qui doit être la bonne, et une gibelotte de lapin dont l’arôme parvient jusqu’à nos naseaux.

Ma carte ! Mille excuses pour notre intempestivité. Mais cas d’urgence. Vous qui avez été fonctionnaire, cher monsieur…

Il prend la vie du bon côté, Prosper. Nous fait entrer dans son petit bureau qui a des relents d’école.

— Il paraît que vous êtes un spécialiste des vieilles demeures du pays ?

En guise de réponse, il va dans un placard bourré des exemplaires d’une même brochure (éditée à compte d’auteur, j’en mettrais ta bite à couper). En saisit une qu’il tapote contre sa jambe afin de la dépoussiérer et qu’il me tend.

L’ouvrage s’intitule sobrement Cent belles demeures de Saône-et-Loire. Il y a deux photos en noir et blanc par page, à gauche. Le texte concernant chacune est à droite, en italiques, encadré d’un filet noir.

— Voilà, fait-il, je vous l’offre, commissaire, et je crois pouvoir vous dire que ce choix est exhaustif.

Je feuillette avec ravissement l’album.

— Pourriez-vous, à partir de la table des matières, me cocher les « castels » qui se trouvent à une cinquantaine de kilomètres de Chalon ?

A cet instant, Mme Rebuffade surgit.

— Edmond, dois-je faire remettre le lapin au four ? s’enquiert la dame avec sévérité.

Elle nous gratifie d’un imperceptible signe de tête.

Je me présente :

— Commissaire San-Antonio, de la police parisienne. Madame, veuillez excuser cette visite inopportune que des motifs graves et pressants justifient. Nous allons libérer votre époux dans moins de cinq minutes et je ne crois pas que l’excellente gibelotte dont le fumet ensorcelle nos papilles gagne à être transférée au four pour si peu de temps.

La voilà sous le charme.

La renversée ! Je pense que mon regard de velours lui essore le slip.

— Aimeriez-vous la partager avec nous, commissaire ? Je cuis toujours beaucoup de lapin à la fois, car…

— Plus il est réchauffé, meilleur il est, complété-je ; c’est également la devise de maman qui, comme vous, est un incomparable cordon-bleu.

Et c’est ainsi que, quatre minutes plus tard, nous sommes installés à la table de l’ancien proviseur, pour parler châteaux. Moment de qualité, la chère étant bonne, sa conversation pleine d’intérêt et la pluie d’une rare violence à l’extérieur (évidemment).

Je lui relate la réplique de l’homme qui vint chercher July Larsen à l’aéro-club : « C’est à une cinquantaine de kilomètres d’ici, un ravissant petit château bourguignon, à la corne d’une forêt… »

Le proviseur agite la tête avec frénésie, ressort de sa bouche la cuisse de lapin déjà proposée à ses molaires et hurle :

— Je sais ! Je sais ! A la corne d’une forêt ! Poupée bleue (là c’est à sa femme qu’il s’adresse), le commissaire veut parler de l’Hostellerie du Chevalier noir !

— Sans doute, approuve la digne personne.

Là-dessus, Hermance, la bonne, une grande bringue aux joues creuses et aux cheveux gras vient apporter une seconde bouteille d’un vin rouge dépourvu d’étiquette, mais tout à fait excellent. Elle sert avec maladresse. Son genou se frotte au mien pendant qu’elle emplit mon verre. Je lui souris-zob et elle rougit.

Je ressens toujours un léger pincement de regret sous les testicules quand je suis en présence d’un coup perdu. Note que ça doit pas être l’affaire du siècle, Hermance : l’inexpérience… Et si ça se trouve, elle dégage du fouinozoff. Les ancillaires de province n’ont pas le Cadum spontané. Souvent, elles ne se briquent les dépendances que les veilles de fête ou les jours de bal.

Il m’explique ce qu’est l’Hostellerie du Chevalier Noir, mon hôte. Un délicieux château Louis XIII aux exquises proportions qui, trois fois hélas, partait en digue-digue à cause de sa situation isolée. Un jour, un riche Britannique s’est pointé, a eu le coup de foudre et l’a acheté. Il s’est engagé à le remettre en état à condition qu’on lui accorde le droit de le transformer en hostellerie de luxe, sans en altérer l’architecture ni le style. Ça s’est parfaitement bien goupillé avec les Beaux-Arts et l’Urbanisme, et le Rosbif a tenu parole. Maintenant, le Chevalier Noir est un établissement de classe, le propriétaire ayant eu la sagesse de prendre un chef français, ancien élève de Girardet.

En l’écoutant, je fais tilt. Un pan de mystère tombe, c’est comme le gus qui gratte pour se montrer à la téloche. Cet établissement à l’écart des villes et des grandes routes me semble parfaitement susceptible d’héberger une personne soucieuse de disparaître pendant quelque temps. Je gamberge loin, à perte de vue, par-delà les horizons. Supposons qu’une femme July Larsen no 1, soit pourchassée, menacée par des gens « X » et qu’on veuille coûte que coûte la sauver, tout en laissant croire à ses meurtriers qu’ils ont atteint leur cible ? Ostensiblement, je l’emmène faire la grande virée gastronomique chez Bocuse ; au retour, je la laisse à Chalon. Une autre femme en tout point semblable à elle prend sa place et notre petit scénario galant continue. Dans la soirée, un coup de turlu de Pinuche l’interrompt. Je vole à ce que je crois être mon devoir et, quand je reviens, July 2 est morte !

Ça y est ! Je tiens le bon bout, s’agit de ne plus lâcher le fil ! Maintenant, ça vase en cataracte (dehors). Je me dis que mon coucou ne doit pas pouvoir décoller sous ces trombes.

Il fait doux chez les Rebuffade. Faudra que je téléphone demain à Interflora pour faire livrer des roses à notre hôtesse, femme charmante au demeurant. Un peu trop d’heures de planeur, mais elle devait valoir qu’on se débraguette pour elle, il y a cinq ans encore ! Profitez ! Profitez ! mes chéries. C’est pas quand votre frime sera plissée soleil que les mâles exécuteront la danse du trognon de chou autour de votre vieux cul en gousse d’ail !

Hermance apporte de succulents fromages ainsi qu’une troisième boutanche de mâçon rouge.

— Voilà ce que nous allons faire, décidé-je. César, tu vas conserver la voiture de location. Tu me déposeras à l’aéro-club et ensuite tu descendras à l’Hostellerie du Chevalier Noir. Nous allons téléphoner immédiatement afin de te retenir une chambre, si nos hôtes exquis nous y autorisent. J’espère qu’ils auront une valise à te prêter, pour la vérité de la chose.

— Mais comment donc ! glousse la dame Rebuffade, ravie d’intervenir dans une affaire policière de haut niveau.

Histoire de la remercier, je lui fais un brin de genou et la voilà qui ne se sent plus, s’identifie à Adjani, Deneuve, refait sa vie par la pensée. Plus exactement, la termine autrement, avec un bel et intrépide amant chaleureusement monté dans son alcôve, d’où il jaillit sitôt que son singe va faire du vol à voile, pour lui, l’amant, faire du viol à poil, si tu me permets cette boutade un peu juste.

— La femme me connaît, expliqué-je à Pinuche, dès lors je ne puis me montrer au Chevalier Noir. Repère-la, si elle s’y trouve, et surveille ses agissements.

La main de la dame Rebuffade m’investit le bénoche. Oh ! la salope ! Avec elle, c’est droit au but ! Comme j’ai la main gauche sous la jupe d’Hermance (qui me propose les frometons), je trique, fatal ! Du coup, la vioque, tout comme Cyrano, a l’odeur du calandos et l’ombre de l’amour ! Elle prend ça pour elle.

— Avec une tempête pareille, vous n’allez pas pouvoir repartir en hélicoptère ! s’inquiète-t-elle. Je vais appeler le club pour qu’on prévienne votre pilote. Vous allez passer la nuit ici et vous vous en irez demain de bonne heure si le temps le permet.

Je n’hésite que par politesse, d’autant que l’Hermance me fait du morse avec sa cuisse contre la mienne.

— Madame, ma confusion se caramélise, bafouillé-je-t-il. Votre hospitalité…

Elle me fourbit la membrane à s’en disjoncter le poignet ; côté arthrite, elle semble épargnée, la Baronne. Dis, elle va pas me déterger la bouche d’incendie avant la fin du repas !


Dans la douce chambre-à-donner des Rebuffade, j’examine sur l’album le castel du Chevalier Noir. Il est situé dans la région de Louhans, le long d’un chemin vicinal. Sur la photo, il est encore en délabrement, le cliché ayant été pris avant l’intervention du mécène britannique. Il a l’air beau et triste, mais il est évident qu’il a dû changer de poil depuis les réfections. Un tel hôtel représente effectivement la planque idéale pour quelqu’un soucieux de se faire oublier. C’est le brave proviseur qui a retenu pour Pinuche, comme il est connu. Voilà qui cautionne mon vieux branleur et lui évitera d’éventuelles suspicions.

Ma chère hôtesse voulait me prêter un pyjama de son mari, mais j’ai décliné l’offre, alléguant que je dors toujours nu, ce qui n’a pas éteint son émoi.

Je me dessape donc, range mes hardes au mieux sur deux dossiers de chaise et me pieute avec l’ouvrage d’Edmond Rebuffade, de la Société des Gens de Lettres, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, membre du Comité de Soutien des Monuments en péril, agrégé d’histoire de l’Art (tout ça est évoqué dans la préface qu’Edmond Rebuffade a bien voulu écrire pour le livre d’Edmond Rebuffade).

J’entreprends donc cette très intéressante tournée des vieilles demeures historiques de Saône-et-Loire. Charles le Téméraire était un con, mais sa Bourgogne, pardon ! C’est une sacrée province ! Louis XI l’a bite, Charlot, profond ! Les Suisses ! Eux : tu les paies et t’es servi ! Pas de problo ! Le service après-vente : une merveille ! Il les a chargés de le venger de Péronne et ç’a été sa fête à Morat, au Téméraire. Tu connais pas Morat ? Vas-y voir, ça vaut le voyage. Bois un café renversé à une terrasse de la Grand’Rue et écoute chuchoter les siècles. Y a encore des rumeurs du XVe, là-bas, des ferraillements d’épées contre les armures, des bruits de tocsin sur les remparts, des éclaboussures de sang, peut-être, entre les grosses pierres du chemin de ronde.

Moi, l’affaire des deux July, elle s’éclaire doucement, comme l’aube. Je crois qu’il y a eu un os et que cet os, c’est Chilou. Il s’était lancé dans une combine qu’il n’a pas eu le temps de mener à son terme : la mort (ou la maladie) l’a terrassé avant la ligne d’arrivée. Il a été glandu de ne pas m’affranchir, de m’émietter des instructions au lieu d’y aller franco en dépliant le plan sur la table de sa cage de verre. Maintenant, il faut jouer au puzzle. Rassembler les morcifs, chercher ce qui s’emboîte !

On gratte à ma porte.

— Oui ? roucoulé-je.

C’est la petite Hermance qui me surgit, porteuse d’un plateau sur lequel se trouvent un verre et une bouteille d’eau minérale (comme on n’a pas de budget publicitaire, je te dis pas de marque).

Elle a fait des frais ! S’est recoiffée avec la raie au milieu, a enfilé une chemise de nuit blanche et, par-dessus, un peignoir vaporeux dans les roses barbe-à-papa. Elle est nu-pieds. Elle chuchote :

— J’avais oublié d’apporter de l’eau.

Elle dépose le plateau sur ma table de chevet. Je lui ai déjà cramponné les miches qu’elle a dures comme pommes ! Alors, très chaste, elle se laisse haler.

Cette gosse, à la manière qu’elle bascule, tu piges qu’elle a déjà volé et réussi des atterrissages sur le ventre. Un peu maigrichonne des hanches, avec le bassin en squelette d’amphithéâtre et les nibards étalés à l’œuf sur le plat, sinon elle est de bon aloi côté frifri, very clean : Ajax ammoniaqué ! L’essentiel ! On peut lui attaquer une tyrolienne de broussailles sans arrière-pensée !

Ça, elle connaissait pas. La minette glapie, les godelureaux de province rebutent. Soit qu’ils n’osent, soit que n’étant pas suffisamment familiarisés avec la femme et ses dom-tom, ils craignent de pas tenir la route. Pour Hermance, c’est plus important que la découverte de la pénicilline. Au départ, elle se gêne un peu de me voir fourvoyer dans sa sorbetière intime. Elle cherche à me refouler, de ses deux mains à plat sur ma tronche, puis elle change d’avis et émet des râles sibilants en m’attirant un max par les oreilles. Je vais finir par ressembler à un lapin de garenne !

Malgré sa prise féroce, j’entends qu’on frappe. Misère et corde ! comme dit Bérurier. Je me dégage la hure.

— Ouiii ? modulé-je plaisamment.

— C’est moi ! mutine dame Rebuffade.

La bonniche est terrorisée, tétanisée (comme il faut dire dans les vrais polars à poils longs) et je sais plus quoi encore !

— Va sous le lit ! lui soufflé-je.

Et, à la cantonade :

— Je viens !

Vingt-quatre secondes plus tard, calendrier en main, je délourde. L’épouse du proviseur-vol-planeur n’a pas regardé à la dépense. Où placarde-t-elle un tel déshabillé de soie rose, brodé de cœurs rouges, avec des jours (pour des nuits), des froufrounets ? T’ajoutes à ça un parfum qui ferait éternuer un pic pneumatique et une recharge de fards pour entrée en scène de diva espagnole.

Elle tient un plateau tout pareil à celui de la môme Hermance, avec dessus la même bouteille d’eau minérale dont je ne te dirai pas le nom (à moins que Badoit ne m’offre la nouvelle 600 SL que j’ai commandée et qu’il va me falloir payer) ainsi qu’un verre. Celui-ci diffère car il est biseauté, alors que l’ancillaire m’a apporté un verre de cuisine (dit « à moutarde »).

Mme Rebuffade entre, tandis que je relourde.

— Oh ! fait-elle, cette petite cruche vous avait déjà apporté de l’eau ?

— N’est-ce pas le rôle d’une cruche ? ne puis-je m’empêcher.

La boutade lui échappe. Elle n’est pas venue pour ce genre de saillie, si tu veux encore m’autoriser celui-là.

T’ai-je précisé que je suis nu comme un œil de verre dans l’orbite de Jean-Marie et que je dissimule tant mal que bien mon pôle d’intérêt derrière mon polochon.

— Vous êtes superbement bâti, approuve l’hôtesse.

— Vous êtes trop bonne !

— Ça vous ennuie que nous devisions un peu ? J’ai l’impression que vous n’avez pas sommeil.

— M. Rebuffade ne risque-t-il pas de se formaliser d’un entretien aussi… intime que nocturne ?

Elle pouffe.

— Edmond ? Mais mon cher ami, il dort déjà à poings fermés. Il est convaincu qu’il fait de l’insomnie et se gave de petites pilules que je lui compte et qu’il avale de confiance. Ce soir il a eu tripe dose !

Là, je me sens perdu ! Va falloir sauver l’honneur. Je baisse l’intensité (réglable) de ma lampe avant de me risquer à contempler le sujet qui m’échoit. On tombe dans le surgelé, évidemment. Poupette, elle drague autour de la soixantaine. De beaux restes, certes, mais des restes. Brune bien teinte coiffée court, ce qui n’a rien de déplaisant. Des rides aux coins des paupières et de chaque côté du menton. Sous le déshabillé, c’est un peu l’éboulement, je crains bien. Faut surtout qu’elle le garde. La seule ressource, la chahuter sous étoffe. Avec ce genre de conquête (fastoche), moins t’en sais, plus t’es peinard. L’imaginaire est la ressource de ceux qui manquent d’informations.

Elle va pour s’asseoir dans un fauteuil, mais je redoute que, de cette position, elle puisse apercevoir sa soubrette sous le plumard.

— Venez donc sur ce lit, douce amie ! rectifié-je.

Demande à un aveugle s’il veut une canne blanche ! La voilà qui s’y juche (c’est un pucier à l’ancienne qu’il faut escalader). Elle y prend une pose à la Madame Récamier qui ferait pouffer une forêt de saules pleureurs. Pourvu qu’elle se dessape pas, Mémé ! Naguère, j’ai eu un élan pour une dame sonnée en carats, une frivole, épouse d’un producteur. Devant son rentre-dedans outrancier, je suis allé lui rendre visite le lendemain. Elle s’est jetée sur moi, dès le hall, m’a caméléonné la menteuse, pompé comme un gin-fizz. J’avais un palonnier parallèle à mes godasses. Ce que voyant, elle m’a dit : « Allons vite dans ma chambre ! ». Tu l’aurais vue trottiner avec sa culotte qui l’entravait, ses cuisses et ses meules blanches veinées d’un bleu vilain ! T’aurais fait comme moi : demi-tour ! Elle gazouillait en ouvrant la marche au paf. Ça m’a permis à moi d’ouvrir la porte sans qu’elle entende et de dévaler les étages à cheval sur la rampe. En déboulant de l’immeuble, j’avais envie d’embrasser Paris sur la bouche !

On est con, parfois. On prend des risques inutiles. On aime se faire peur, côtoyer le danger, friser le ridicule, tutoyer le grotesque, frôler les pires complexes.

Là, je marche sur mon nœud, les gars ! Si je dégode, c’est la plongée dans l’humiliation !

Je pense à la bonniche hyperexcitée sous le dodo à impériale. Comme son cœur doit cogner fort à cette petite tourterelle. Elle doit pas en revenir de Madame ! Elle la croyait out depuis des lustres, la Baronne !

Cette perspective me porte. Je vais lui faire le coup de la Jument verte, Hermance. Un soliloque de sommier pour elle toute seule.

Mémère, c’est une gloutonne. Y a des monuments qu’elle s’est pas engouffré un membre de qualité. Tu la verrais me babiner le bolet ! A gros lapages de chienne affamée ! Elle plaintive en m’interprétant. Trémousse des antérieurs. Et tout à coup, tu sais quoi ? Non, j’ose pas te dire ! Ce serait pas convenable ! Comme dit Robert, y a des dames qui sortent de chez le coiffeur ! Faut pas les effaroucher de trop ! Qu’après elles vont clamer partout comme quoi l’Antonio passe les bornes.

Au plus fort qu’elle me gouzille le périscope à turgescence indo-européenne, voilà un remue-ménage léger. Froissement d’étoffes. Une forme délicate et blanche que j’aperçois à travers les jambes de Madame, placées en V renversé pour lui servir de base, retrousse le patronal déshabillé de la Rebuffade afin de lui dégager le raminagrobis. Et cette petite servante, si humble et peu informée des dépravations d’ici-bas, entreprend de glisser des doigts de harpiste le long de l’interminable raie de son employeuse, au grand dam de la dame.

Au début, figure-toi, égarée par ce qu’elle me module, elle croit que c’est une politesse de ma part, comme si je disposais de bras de deux mètres ! Elle en crie la bouche pleine, la chère femme. Et pourtant elle a été élevée dans les bonnes manières. Y a que lorsqu’elle sent frétiller un frais goujon dans son ornière détrempée qu’elle commence à se poser des questions subconscientes, Poupette. Mais elle est en plein déménagement sensoriel, la chérie. Alors les choses vont leur train, si vraiment je peux m’autoriser un tel à-peu-près. Je peux ? Merci, mon général. Dis voir, le cœur qu’elle met à l’ouvrage, soudain, Hermance, c’est à se demander si elle serait pas faite pour le gigot. Si sa vocation profonde ne serait pas dans cette discipline en rase-mottes ?

La vioque lui a filé par-dessus son cul le regard névrosé du coureur cycliste échappé qui guette l’hallali du peloton. Elle a reconnu sa bonniche, mais ses sens embrasés ont balayé sa stupeur. La jouissance prime le sens critique. Tout pourra se produire pour Hermance par la suite : le renvoi ou l’augmentation. Pour l’instant, Madame se régale. Elle continue de clamer sa satisfaction d’être autour de mon paf qui ressemble à un bulldog. La bonniche s’escrime sur sa déchirure en glapissant. S’agit-il d’une rébellion mal formulée contre le patronat ? Si oui, les pauvres sœurs Papin auraient mieux fait d’utiliser ce moyen pour lâcher leur vapeur !

J’entends toquer, pour la troisième fois à ma porte. Je veux récupérer mon corps, mais ces deux femmes en rut m’immobilisent. On entrouvre et voilà le sieur Rebuffade, en pyjama de zèbre, le regard si lourd qu’il lui pend sur les joues.

Il passe la tronche et voit la grappe que nous formons.

— Je crois que je dérange ! bougonne-t-il.

Il se retire, mais il ne s’agit là que d’un effet de théâtre, gag dit du double look, puisqu’il réapparaît avec beaucoup moins d’ensommeillement sur la frite. Cette fois, il « n’aperçoit pas » : il « voit » ! Quoi ? Sa dame rombière à quatre pattes sur mon lit, occupée à me briquer le chinois à l’encaustique de glandes, et sa soubrette, la dextre plongée jusqu’au poignet dans le gouffre qu’est la moniche de son employeuse et l’agitant comme une qui cherche à récupérer le courrier dans sa boîte aux lettres quand elle a oublié la clé ? Comme sa prise de somnifère a été forte, il se dit qu’il rêve, mets-toi à son infortunée place ! Donc il fait un pas en avant, puis deux.

Il croise mon regard :

— Du diable si j’y comprends quelque chose, m’avoue-t-il.

— La situation parle cependant d’elle-même ! objecté-je.

Il abaisse un brin l’arrière de son pantalon de pyjama pour mieux se gratter les fesses et questionne :

— Sans vouloir vous offenser, c’est votre queue que ma femme suce avec tant de fureur ?

— Vous ne m’offensez pas, rassuré-je, et elle non plus. Effectivement, il s’agit bel et bien de mon sexe.

— Et pendant ce temps, Hermance lui met la main dans la chatte ?

— Voilà toute la scène décrite, félicité-je. Vous deviez être costaud en composition française au temps de la communale.

— J’avais les meilleures notes, reconnaît l’ex-proviseur sans fierté excessive.

— Ça ne m’étonne pas, monsieur Rebuffade.

Il reprend :

— Ce que je ne m’explique pas, c’est pourquoi elles se livrent à ces gamineries dans votre lit ?

— C’est là que se trouvait ma queue, fais-je valoir avec cet esprit cartésien qui est l’apanage du Français.

A cet instant — fatigue ou pulsion nouvelle —, Hermance retire sa main des babines de la vioque et engage son frais minois d’adolescente mal terminée dans un endroit où le plus modeste des suppositoires renâclerait pour entrer. Cette nouvelle manœuvre est révélatrice de la soumission d’Hermance à celle qui ne lui donne, d’ordinaire, que son argenterie à fourbir. Médème Rebuffade en conçoit un si grand bonheur qu’elle laisse mon Pollux en souffrance pour gueuler magistralement combien c’est bon on on haoooo vouiiiii ! Ce qui attise la fougue juvénile de l’employée (six mille francs par mois, nourrie, logée).

Rebuffade murmure :

— N’est-ce pas cela, « feuille de rose », commissaire ?

— Tout à fait ; vous ne connaissiez pas ?

— J’en avais entendu parler par des élèves, déclare le vol-planeur, mais la chose me semblait tellement invraisemblable que j’ai cru à une fabulation polissonne.

Là-dessus, son épouse ayant dominé l’intensité de l’émoi, réempare mon braque pour le gloutonner derechef.

Rebuffade soupire :

— Quelle autorité aura ma femme sur sa domestique après que celle-ci lui ait léché l’anus ?

— Elle en sera renforcée, promets-je. Autre chose serait si ç’avait été Madame qui léchât le trou du cul de son employée. Dans la circonstance, il y a complète allégeance, voyez-vous, Edmond. Vous permettez que je vous appelle Edmond ? Vous m’obligeriez en m’appelant Antoine.

— Trop aimable.

— Etait-il fréquent que Madame vous pompât ? m’enquiers-je.

Il fait la moue :

— Grand Dieu non. Sans vous offenser, je réprouve cette pratique que les animaux ignorent.

— Elle est cependant génératrice de volupté, assuré-je. Je sens d’ailleurs que les efforts de Mme Rebuffade vont obtenir gain de cause, peut-être serait-il opportun que vous sortiez, Edmond, si vous ne voulez pas assister à la phase terminale de l’opération ?

Il a un rire de ventre :

— Du moment que ça n’est pas moi qui suis à votre place, mon pauvre Antoine !

— Eh bien, en ce cas nous allons interrompre un instant notre conversation, si vous le voulez bien, afin que je puisse me concentrer.

— Je me tais, je me tais ! promet ce bavard.

J’ai encore suffisamment d’énergie pour suggérer à Edmond :

— Le mignon fessier d’Hermance ne vous inspire pas ?

— Du tout : beaucoup trop maigre à mon goût. Et puis je suis un mari fidèle, Antoine. Si je succombais à la tentation, j’en traînerais le cuisant remords jusqu’à la fin de mes jours.

Franchement, je ne sais pas ce que tu en penses, mais il est assez unique en son genre, ce mec !

Seigneur, Tes créatures m’épateront toujours !

Je procède sans à-coups à mon lâcher de ballons. La Rebuffade en est asphyxiée et glousse de bonheur et de surprise ravie devant la générosité de mes séminales. Longtemps qu’elle n’a pas été à une telle fête, la mère. Nuit de liesse ! Les folles soirées de Chalon-sur-Saône ! Comme c’est une opportuniste et une maîtresse de maison économe qui ne laisse rien perdre, elle profite de ce que ma virilité court encore sur son erre pour se mettre à califourchon dessus et s’emporter aux pâmades. Comprenant que ça va être scié pour sa pomme, la pauvre Hermance se bricole un solo de banjo express en caressant le dargif de sa chère patronne. Celle-ci choit, exténuée sur ma couche. Son mari vient l’aider à se relever.

— Allons, viens te coucher ! ordonne-t-il gentiment. Tu es bien avancée, maintenant !

Elle sourit et s’évente de la main. Mimique d’excuse, style « que veux-tu, je suis incorrigible. » Il hausse les épaules.

— Et vous aussi, Hermance ! dit-il. Au lit ! Vous avez suffisamment importuné monsieur ! Et demain, c’est le jour de la lessive.


Je reste seul avec ma joie de vivre et une certaine perplexité à propos du comportement des Rebuffade.

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