Par instants, notre pilote jacte dans le micro placé devant sa bouche. Il profère des paroles techniques, un graillonnement que je juge inaudible lui répond. Il s’en contente et continue de driver son Ecureuil.
La tête de July est maintenant sur mon épaule. Le rythme de sa respiration me laisse à penser qu’elle dort.
Soudain, un bruit anormal se fait entendre, qui évoque celui d’une crécelle de lépreux.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je au pilote.
Il grommelle :
— Je crains que ce soit la bielle du rotor.
— C’est grave, docteur ?
Au lieu de répondre, il se met à jacter dans son micro, expliquant calmement à quelque terrien à l’écoute qu’il a des couilles avec son engin.
Et moi, d’un calme illicite, je pense à l’avertissement récent de Chilou : « Pendant votre retour sur Paris, il y aura un incident de parcours. » Eh bien, je suppose que le voilà !
— Nous avons des ennuis ? demande July Larsen sans s’affoler.
— Je ne crois pas qu’ils soient bien graves.
— Ce bruit n’est pas très sympathique, note-t-elle.
Je souris.
— Il me rappelle celui que produisait le morceau de carton léger que je fixais, jadis, à la fourche de mon vélo. Il frottait contre les rayons de la roue, ce qui donnait une petite pétarade similaire à celle-ci. Tout ce qui peut rappeler un moteur excite les garçons.
Notre pilote vient de couper le contact avec ses interlocuteurs du rez-de-chaussée.
— Nous allons nous poser sur l’aéro-club de Chalon-sur-Saône, déclare-t-il. Je pense pouvoir réparer moi-même. Dans le cas contraire, une auto vous conduira à Paris.
— Je suis navré de ce contretemps, soupiré-je.
July Larsen hausse les épaules.
— J’ai toute la nuit devant moi, vous savez !
Tiens, tiens ! On dirait qu’elle a complètement rendu les armes, cette exquise.
Quelques lumières parsèment le terrain. On sent qu’il n’est pas d’un usage nocturne. Notre Ecureuil se pose sans bavures. Si ce n’était la fameuse crécelle, tout à son bord semblerait normal.
L’hélico-driver ouvre la lourde et saute sur le terrain qui sent l’herbe mouillée. Il tend la main à notre passagère pour l’aider à déhotter.
— Le club-house vient d’être rouvert pour la circonstance, annonce-t-il en désignant une petite construction éclairée, tout près de l’appareil. C’est bien le diable si on ne peut vous servir un café !
Je biche July par la taille et l’entraîne. Elle ne prend pas mal du tout la mésaventure.
Comme nous parvenons à la construction, une Jeep débouche sur le terrain, phares allumés et se dirige droit vers notre coucou.
— Le mécano, je suppose, dis-je à ma compagne d’infortune du pot.
Et nous entrons dans une sorte de café en tenue de nuit (les chaises sont sur les tables). Un mec en imperméable par-dessus un pyjama de pilou ayant appartenu à son grand-père, met en route le perco.
— Bonsoir ! claironné-je. On vous dérange ?
Il a de la malrasance genre cactus plein sa frime maussade, le regard évasif, la bouche en fond de cage de perroquet.
Il grogne je ne sais quoi.
— Du café, bien sûr ? ajoute-t-il à son inaudibilité.
— Volontiers.
Nous déchaisons un dessus de table formiqueuse et prenons place. Des photos d’avions à moteur plus ou moins anciens tapissent les murs en frisette de bois. Quelques coupes sur des étagères. Des fanions triangulaires festonnent de-ci et même de-là.
Le gérant du club-house tire deux tasses à sa locomotive, plonge une méchante cuillère à café dans chacune d’elles, chope quelques sucres dans une coupe et nous apporte le tout. Les fafs qui enveloppent les sucres représentent les dominos. Tu me croiras ou tu iras te faire foutre, c’est le double six qui m’échoit. J’y vois comme un présage positif.
Pendant que nous sommes en train de souffler sur notre brûlant breuvage, la porte s’ouvre sur le pilote.
— Trois fois rien ! annonce-t-il. Dans dix minutes on va pouvoir repartir.
La nouvelle nous botte (de sept lieues).
Le gars ajoute :
— Pouvez-vous venir un instant, commissaire ?
Intrigué, je me lève et lui filoche le dur. Il me précède sans un mot jusqu’à l’Écureuil et me fait signe d’y grimper.
J’obtempère. Grande est ma surprise quand je vois le pilote en faire autant et verrouiller la lourde.
— Comment, fais-je, on repart sans elle ?
Il murmure en s’installant à son siège de pilotage :
— Les ordres, commissaire !
Il en a de savoureuses, cézigmuche. Je n’aimerais pas mourir idiot. Ça veut dire quoi ce micmac ?
A cet instant, je constate qu’une troisième personne se trouve également dans le zinc. Je m’en approche et, comme on dit depuis 1859 (année où Ponson du Terrail publia Les Exploits de Rocambole) : « Je suis obligé de me pincer pour m’assurer que je ne rêve pas. »
Le troisième passager est une femme. Blonde. Elle a des yeux bleus extraordinaires. Elle porte un tailleur Chanel bleu à col de velours noir, et doit être âgée d’une quarantaine d’années.
— Mon Dieu ! soupiré-je, vous êtes sa sœur, n’est-ce pas ?
— La sœur de qui ? demande-t-elle avec une voix rauque qui m’émoustille les abats calfeutrés.
Je me dépose sur le siège contigu et boucle ma ceinture.
— Je me nomme San-Antonio, lui dis-je.
— Et moi July Larsen, répond-elle.
— C’est un nom ravissant et qui vous va parfaitement bien, laissé-je tomber.
Ensuite je lui saisis la main et elle pose sa tête sur ma robuste épaule.
On passe d’une pénombre à l’autre : de celle de l’hélico, à celle de la Rolls-Ross. Y a qu’une fois à l’hôtel, dans le grand hall marmoréen éclairé à Giono, que je peux la contempler intégralement.
Non, ce n’est pas « sa » sœur. Non plus qu’un sosie. C’est mieux que cela : une copie conforme. Le plus ahurissant « plagiat » de nature jamais exécuté. Laquelle a servi de modèle pour « exécuter » l’autre ? Full of interrogation. Toujours est-elle qu’un diabolique artiste, roi des studios américains, je gage, a accompli une œuvre d’art. Reproduire un Rembrandt ou un Modigliani, quand t’as le pinceau facile, c’est réalisable. Mais reproduire une Catherine Deneuve ou une Stéphanie de Monaco, en vrai, en viande, voilà une autre paire de manches (à couilles). Un tableau, c’est en deux dimensions, mais un être humain ? D’abord, il a fallu trouver un gabarit identique : même taille, mêmes mensurations, même âge. Et puis se mettre au turf, centimètre carré par centimètre cube. Unifier, remodeler, reproduire les plus menus détails : grains de beauté, carnation, implantation des tifs, épaisseur des lèvres, que sais-je !
July 2 me sourit dans l’ascenseur qui nous hisse au quatrième. Tiens, si je devais noter une infime différence, je dirais qu’on trouve davantage de « chaleur » dans son visage que dans celui de July Ier. Elle semble plus disponible, plus soucieuse de plaire.
Le préposé de l’hôtel nous guide à l’appartement dit « Présidentiel », nous en fait les honneurs : trois pièces, deux salles de bains, une kitchenette. Des bouquets somptueux, des corbeilles de fruits, dont un grand nombre sont exotiques, du champagne dans des seaux d’argent débordant de glaçons.
Je lui vote le pourliche que peut attendre un Anglais en stage dans un merveilleux palace parisien et me hâte de relourder triple tour, avec chaîne de sécurité à l’appui, non sans avoir fixé le « do not disturb » des états de grâce au crochet extérieur.
« A présent, me dis-je, nous allons avoir une explication, le temps en est venu ! »
Il y a du surréalisme dans ce que je vis présentement. Cette première femme qui m’est tombée dessus par la volonté du Vieux et que j’ai dû emmener bouffer dans la meilleure boîte de France… On la troque au retour contre son double qui prétend porter son nom. Usurpation d’identité, non ? Et maintenant, toujours selon le plan prévu, me voici dans une suite ronflante en compagnie de la numéro 2. Dans mon job, on n’est pas surpayés, mais on ne mène pas une vie morose. Chez nous autres, les « spéciaux », les avantages sont en gadgets !
La July number two passe dans la chambre et jette son sac à main sur la commode. Après quoi, elle ôte la veste de son tailleur et va l’accrocher à un cintre du dressing.
— Un peu de champagne ? lui proposé-je.
— Croyez-vous que ce soit une bonne chose après ce repas si copieux ?
Elle récapitule :
— La soupe Elysée, le cervelas pistaché, la poularde à la crème, les Saint-Marcellin et la timbale de glace aux fruits rouges, c’est beaucoup pour l’estomac d’une pauvre femme ! Et sans oublier les boissons ! Le Condrieu blanc, le Côte Rotie, la Chartreuse Verte de cent ans d’âge !
Je méduse. Doute de mes sens ! Tu vas voir que je finirai par oublier la permutation des deux souris. A la fin de la noye (si noye il y a), je finirai par croire que j’ai rêvé la halte de Chalon-sur-Saône.
Je décapote la roteuse et sers à mousse menue. Je lui présente sa flûte. Toast muet. Fameux ! Elle raffole.
Mine de rien, j’enclenche la vidéo. Très vite, ça représente un palais. Une exquise jeune fille blonde mate par un trou de serrure, la polissonne ! Plan subjectif de ce qu’elle guigne : un valet de chambre en tenue enfile une femme de chambre en train d’épousseter une vitrine. Levrette, délices et orgues ! La domestique pâme à tout ventre ; faut dire que le larbin est chibré de première ! Ses assauts sont si ardents que la bonne doit se cramponner à la vitrine et les objets précieux qu’elle contient vibrent, trépident, s’entrechoquent.
La jolie demoiselle, ça l’excite, un tel spectacle. Du coup, elle retrousse sa belle robe blanche par-devant, écarte sa culotte et s’attaque à deux doigts le prélude à l’après-midi d’un faune. On grossit sur l’entrejambe de l’exquise jusqu’à bien dégager son bigornuche. Musique ! Générique : « Les Films Pompemela présentent : Mémoires du clitoris de la Princesse X. Avec : Barbara Kelvulve, Jean Fonce-Mombrac, Rita Moniche et Paul Hichinel. Réalisation d’Alban Dankor. » Fin du générique.
Et voilà le professeur de piano de la petite princesse masturbeuse qui se pointe avec ses partitions et sa bite sous le bras. Un vrai faune ! A son regard con, cul et pissant, on entrave d’autor qu’il y a lurette qu’il s’en ressent pour sa jolie élève. De la voir en plein concerto de craquette, ça l’électrise, le facteur des Lettres à Elise. Il tombe à genoux et s’avance vers l’adolescente en frétillant de la menteuse comme un fourmilier affamé. Il la contourne, toujours en se déplaçant sur ses rotules. Elle a bien un sursaut en apercevant le pianoteur devant elle, mais il est trop tard : Cézarin est déjà en pleine dégustation. Il lui a saisi le michier à deux mains, l’empêcher de reculer, et il lui bouffe le colifichet comme toi tu te farcirais un énorme clam. La gosseline, t’as beau être princesse, un mec qui te clape la chagatte avec cette impétuosité, tu peux que former le « V » de la victoire avec tes jambons. Le goulu, s’il en profite ! Ah ! le salaud ! Un affamé de la minouche, tu verrais ! Il se repaît, y a pas d’autres mots. Faut le comprendre : une superbe petite princesse bien fraîchouillarde, pour pas lui savourer le mollusque, faudrait être eunuque !
Mais attends ! Tu vas comprendre l’enthousiasme de Pépère pour cette superproduc, c’est pas fini. Ça péripétique en feu dartifesses. Voilà-t-il pas que les doux roucoulements de la chérubine attirent en ces lieux le majordome du palais. Un gros surdécoré à tronche de porc primé. D’abord, il marque du courroux à voir bouffer la fille du roi Gromeluche Ier, monarque craint et donc respecté. Il va exploser, c’est sûr. Pourtant, la volupté du tableau fait lâcher prise à sa colère. Au lieu de tout casser, il pense à tout caser et déballe de sa culotte bouffante un braque comme devaient s’en farcir les femelles mammouths sibériennes, jadis. Lui, il vient enquiller cette batte de baise-bol entre les cuisses de la princesse, ne voulant pas lui défoncer le pot d’échappement Midas par une vraie pénétration en bonnet difforme. Et alors, devine ce qui arrive, Yves ?
Oui, t’as tout compris : en effet, le mandrin au majordome dépasse par-devant et le prof de piano (en réalité, il est prof de clavecin vu qu’on est au XVIIIe) dérouille l’embout féroce ipso facto dans la margoulette. Jusqu’alors il donnait pas dans la redingote flottante, mais l’occase lui révèle ses fantasmes cachés. Pour lors il cesse de fourrager de la menteuse dans la babasse princière pour entonner le chant des partisans au cor des Alpes.
La princesse déconfite enjambe le prof pour le laisser en tête à tête avec la chopine du majordome. Ne lui reste plus qu’à contempler la perfo. Elle exorbite devant le monstre chibre du gros lard. Au bout de peu, n’y tenant plus, elle tire le maître de musique en arrière, par ses longs cheveux de virtuose, pour prendre sa place ; n’importe quelle autre princesse en ferait autant, demande à Lady Di !
Elle souffre de la mâchoire au début, étant donné l’ampleur du sujet, mais Y a bon Banania et la frénésie l’aide à trouver la juste cadence, car tout est harmonie en ce monde. Pour se mettre le tempérament à jour, le petit prof dégauchit son Zénith à lui en sodomisant le majordome dont on peut dire qu’il est comblé. En voilà un qui a bien fait de surviendre pinément.
July 2 suit la progression de la partouze avec amusement, kif ce serait un film des Marx Brothers. On pressent déjà qu’il va se produire d’autres survenances : le grand chambellâtre, la dame de compagnie de la reine, le médecin de la cour, le bouffon à deux bosses du king, la favorite, les chambrières, le capitaine de la garde, les hallebardiers. Tout ça grimpe vers des sommets : pyramides de culs, chaînes de bites. On est parti pour des enchevêtrements inextricables, des enculades forcenées, des fellations meurtrières. Ça va devenir la fosse aux singes ! Le bouillon de culs que cause Pivot.
Cela dit, en coït, n’importe ton esprit inventif, le tour du magasin est vite fait. Les combinaisons, pour brillantes que soient certaines, sont relativement peu nombreuses. Quand t’as procédé : au cornichon dans le bocal, à la banane dans le clapotis, au chibraque dans l’œil de bronze, à la broutance sur gazon, aux salsifis tous orifices, à la lichouille cutanée, au « ce que tu dis pas par-devant, fais-le au moins par-derrière », au vibromasseur à pile et à la flagellation style Zorro est tarifé, oui quand t’as butiné à travers ces différentes disciplines, t’as plus qu’à fermer boutique et ta braguette.
Tout coït se termine obligatoirement par une émission séminale de force variable (suivant l’âge et la nature de l’intéressé) sur l’échelle de Richter. On n’encourage pas suffisamment l’onanisme dans les écoles. Le gonzier qui se pelucherait toute sa vie s’épargnerait bien des tourments et désagréments. S’engendrer est une manœuvre à haut risque, et la pire atteinte que tu puisses porter contre l’humanité, c’est de la perpétuer.
Mes prévisions se confirment : la partouzette tourne à l’orgie romaine. Ma compagne réprime un bâillement, nonobstant l’« hardeur » du film.
Elle soupire :
— Et après ?
— Pardon ? fais-je en écho.
Elle s’explique :
— Je trouve ce genre de divertissement stupide quand il cesse de m’amuser. Or, le sexe est une chose bien trop grave et sacrée pour qu’on en puisse rire. Tous ces gros plans de sexes masculins introduits dans des bouches ou des sexes féminins ont un caractère clinique qui désoblige ma conception de l’amour. Selon moi, de même qu’un livre est écrit pour une seule personne, quand bien même il atteint d’énormes tirages, un accouplement n’en intéresse que deux et c’est ce qui lui donne tout son prix. A partir du moment où de basses passions débordent dans le stupre, elles déshonorent l’acte et deviennent écœurantes. Ces comédiens de l’amour ont beau payer de leurs tristes personnes, ce ne sont que des fantoches roulés dans le blanc d’œuf !
Dis, pas conne, la Norvégienne. Mais l’est-elle celle-ci, norvégienne ?
Je coupe la vidéo et vais m’asseoir sur le large accoudoir de son fauteuil.
— J’aime votre façon de voir les choses, July. Pour parler net, je vous préfère à la dame qui a interprété votre rôle dans la première partie.
— Que voulez-vous dire ?
Là, je commence à perdre un tantisoit patience.
— Ecoutez, ma chérie, tout comme vous manifestez une aversion justifiée pour la pornographie, moi je hais le mensonge. Quand on m’embarque dans un coup fourré aussi monumental, j’essaie de tenir le choc et de ronger mon frein pendant un bon moment, et puis, que voulez-vous, je craque. Alors vous allez jouer cartes sur table sinon, malgré l’agrément que me procure votre compagnie, je fous le camp comme un malpropre. Me fais-je-t-il bien comprendre ? comme le dit un gros ami à moi ?
Elle reste très sérieuse, presque méditative. Son regard est profond, attentif.
— Je n’ai pas le droit de parler pour l’instant, murmure July 2. En tout cas, je ne le ferai pas sans en avoir reçu l’autorisation.
Elle consulte sa montre.
— Il me sera possible de téléphoner dans quatre-vingt-dix minutes. Voulez-vous que nous fassions l’amour, en attendant ?
C’est offert de bon cœur. Cette fille est nette, loyale. Elle ajoute en désignant l’écran mort de la TV :
— Ne serait-ce que pour chasser ces pénibles images de notre esprit ?
— Voilà une merveilleuse proposition ! déclaré-je. Et qui s’arrose !
Je sers une nouvelle tournanche de Dom Pérignon. Je ne sais pas si, comme l’a mentionné le Dabe, il contient de l’extrait de cantharide, sache en tout cas, mon gamin, que je commence à me payer une rapière en comparaison de laquelle celle de Du Guesclin n’était qu’un cure-dents.
Nos coupes revidées, nous gagnons la chambre.
Y a toujours un petit moment bête et gênant dans ces circonstances, c’est le décarpillage. Quand le mec et sa partenaire posent leurs harnais. Le double dessapage a un côté cru qui me met mal à l’aise. Je préfère tellement désabouler la dame à petits gestes maladroits. Qu’elle t’aide en loucedé, c’est de bonne guerre, mais l’initiative t’appartient. Que tu t’énerves sur les foutus crochets de merde du soutien-loloches et qu’elle te vole au secours, exécutant d’un bref mouvement arrière, et sans voir, ce que toi tu ne parviens pas à accomplir par-devant, avec le pif à dix centimètres de la fermeture, d’accord, c’est dans la tradition. Mais qu’à peine à pied d’œuvre elle se défringue à une allure supersonique, voilà qui me paralyserait si je ne jouais déjà au porte-drapeau avec Coquette. Elle va avoir droit au régiment qui passe, la fausse ou vraie July !
Moi, déjà à loilpé, je la cueille par la taille, alors qu’elle achève de se débarrasser de son slip accroché au bout de son peton. J’aime bien alpaguer une frangine par-derrière. La serrer fort. Epouser ses creux. Et puis décarrer dans les langoures, la sinistre montant de sa taille à un sein, la droite, au contraire, descendant de la taille au pubis. Et puis Popaul-le-hardi, cet impétueux, qui se glisse dans son terrier comme un renard débusquant une taupe. Et les menottes frivoles escriment, s’agitent, caressent, l’une le mamelon (non, j’ajouterai pas : de Cavaillon), l’autre l’ergot de coq.
Calmos, tu as tout ton temps. Cause ! Dis-lui des folies. N’importe lesquelles, elle est preneuse, et à déclarations faites dans de telles circonstances, tu ne regardes pas la syntaxe. Dis-lui que c’est elle que t’attendais depuis toujours, sans le savoir ; qu’elle est la plus belle que t’as jamais rencontrée ; que son odeur de femme te rend fou ; que la tiédeur de sa peau te mettra toujours en érection ; que tu la désires au point qu’avant cet instant tu ignorais ce qu’était le désir ; que sa chatte est une coupe emplie des plus rares délices (et si t’emploies un autre adjectif que « rare », n’oublie pas de le mettre au féminin puisque délices est au pluriel) ; que tu vas la pénétrer suavement, avec une lenteur extrême, bien qu’elle ait le loisir de constater la présence de ta tête de nœud dans son tiroir-caisse ; que tu l’aimeras jusqu’à la fin du monde (c’est pas vrai, mais elles raffolent de cette formule) ; que tu voudrais passer le reste de tes jours assis en tailleur devant ses jambes écartées.
Et si tu es en verve, ajoute des trucs à toi, à condition qu’ils soient pas trop cons, mais ça me laisse perplexe, alors tiens-t’en aux miens, pas risquer de tout foutre par terre.
La Juju, au bout de pas longtemps, elle me râle contre. J’ai pas le temps d’ouvrir le pageot en plein, on s’abat sur la courtepointe (la mienne ne l’est pas). Je lui vote d’autor l’incontournable tyrolienne de crinière, prémice sacré auquel nul amant digne de ce nom n’échappe. Ça, ça les met en joie, espère ! Pas du temps perdu. Après une bonne séance de vocalises, tu peux remiser ton pot de vaseline. L’impétrant empétarde. Le happé des profondeurs, comme je dis puis volontiers. Voluptas, voluptas.
Hein ? Comment ? Tu me parles ? Non ? C’est quoi alors, ce bruit ? Qu’est-ce que tu dis ? Le téléphone ! Mais c’est pas possible une couillerie pareille ! Mais je l’encule, Graham Bell, moi ! Mais je lui ai jamais rien demandé à ce nœud ! Et puis d’abord, il est où, l’appareil qui vient me casser la bite en plein orgasme ? Regarde mon pauvre bijou : déjà la larme à l’œil ! Au moment qu’il allait éclater en sanglots libérateurs. Quelle pitié ! Et la dame, dis ? Tu la vois se tordre sur le grand plumard en cent quatre-vingts de large ? La façon qu’elle gémit en se trifouillant la moulasse ! Ces inarticulances qu’elle pousse, la pauvrette !
La sonnerie me guide, je trouve le biniou sur une table de chevet, naturellement. Oh ! comme je hais ce bloc d’ébonite et le salaud qui l’utilise. Je décroche cependant.
— Quoi oi oi ? hurlé-je.
Alors là, le fin du fin, le comble du comble : la voix de Pinaud :
— C’est toi, Antoine ?
Vieille breloque ! Vieille merde moisie ! Détritus ! Me demander si je suis moi ! A moi ! A moi qui brandis une queue tellement gonflée que si on l’accrochait dans une charcuterie lyonnaise on la prendrait pour un « jésus ». Demander s’il est lui au mec qui est en train de conduire une superbe créature à l’orgasme par les chemins lubrifiés de l’amour le plus ardent ! Baderne ! Fripes raidies de crasse ! Ongulé dévoyé ! Mammifère en partance ! Bougre de trop-vieux !
— C’est moi comme tu ne peux pas savoir ! riposté-je.
Il se gaffe soudain de la situation, car il demande paisiblement :
— Tu étais en train de bien faire, me semble-t-il ?
— Gagné ! Tu t’en vas avec tes trois mille francs ou tu viens les remettre en jeu demain ?
— Je suis navré de t’importuner dans un moment de félicité, mon grand, mais c’est très grave.
— Je t’écoute ?
— Jérémie et Violette ont été enlevés !
La douche froide !
Je fais comme la glace de la coiffeuse[3]. Bon, ils ont été enlevés, n’est-ce pas ce que nous espérions ?
— Que dit son bip ?
— On l’a retrouvé dans une boîte aux lettres.
— Où es-tu ?
— A la maison mère. On t’attend pour prendre une décision.
— J’arrive.
Supplice de Tantale.
Ce magnifique corps de femme offert, que dis-je : ouvert ! et dont je jouais en virtuose, il me faut l’abandonner. « France, hors le devoir, hélas, j’oublierai tout ! »
Je donne un baiser à chacun de ses seins, passe une langue gobeuse sur son mutin clito.
— Je reviendrai dans le courant de la nuit, ma July d’amour, mon enchanteresse, et nous reprendrons cette suave conversation à l’endroit précis où nous la laissons.
Comme pour signer un pacte secret, je coule un médius droit pétant de santé, ainsi que le plus agile des index, dans son nid à bonheur. Et puis je me tire ailleurs, comme un Sénégalais[4].
Veillée funeste ! Voire funèbre. Mathias, Pinaud, Mizinsky sont assis dans le burlingue sacramental d’Achille. Ils se trouvent en arc de cercle, section visiteur, respectant l’illustre place inoccupée. Quelque chose d’impressionnant, de quasi formidable se dégage du siège vide dont le cuir couleur bronze luit doucement à la lumière des lampes. Certaines absences sont magistrales et plus fortes que beaucoup de présences.
Lorsque De Gaulle quittait son fauteuil, son aura y restait assise en majesté. Quand le président Coty se levait du sien, y avait plus qu’un fauteuil vide. Il m’est arrivé de traverser une salle de conférences déserte : je la trouvais beaucoup plus intimidante que quand elle était peuplée. Marquer son territoire, c’est ne pas avoir besoin d’être physiquement là pour être présent. J’ai, dans mon univers privé, quelques présences indélébiles d’êtres qui sont morts ou lointains. Pas beaucoup : disons une demi-douzaine. Et ceux-là m’accompagnent silencieusement, me sourient ou hochent la tête selon que j’agis positivement ou négativement. C’est ma bande de fantômes. On peut être fantôme de son vivant. Lorsque je joins les vifs de mon étrange « équipe », ils perdent automatiquement leur statut de fantôme pour se remettre à exister « normalement ».
Mais je te bonnis des choses dont t’as rien à cirer, comme disait la cressonnière. Tu te dis : « le grand s’écoute penser ; il fait une surdose de phosphore et devrait consulter ». T’as raison : c’est pour me sentir moins seul. Je me fais penser au mec qui se frappe le buste de ses bras pour se réchauffer.
Ils sont penauds, les trois. Mutismeurs farouches. Mon arrivée les ébroue. Je les salue façon toréador offrant la mort de son taureau au public et vais me déposer dans l’illustre fauteuil dont il a été allusionné ci-dessus.
— Décidément, attaqué-je, le paf encore animé de belles intentions, ça cacate mochement dans votre secteur, les gars ! Le nazi Meximieux qui s’échappe et se fait rétamer, maintenant Blanc et Violette qu’on kidnappe ; beau tableautin de chasse ! Qui était de « quart » lorsque nos copains ont été alpagués ?
— Moi, avoue César avec courage.
— Raconte.
— Ils venaient de se faire une séance de pelotage dans un café et se sont rendus à l’Hôtel du Roi Jules pour y assumer leurs pseudo-amours. Je me trouvais à l’arrière de ma Rolls avec l’appareil récepteur. L’ancien brigadier Vairdepeurs, à la retraite, me servant de chauffeur. Lui faisait son tiercé quinté plus. Mon récepteur me rendait compte des agissements du couple. Au passage, j’ai le devoir de t’informer, Antoine, que leurs tribulations amoureuses paraissaient bien réelles, Violette criant à tue-tête qu’il n’y avait rien de meilleur que cette grosse bite noire.
— Passe-nous les détails, César, on bandera plus tard.
— Alors que le sommier grinçait à fendre l’âme, on a frappé à la porte.
« — Qu’est-ce que c’est ? » a crié Jérémie.
« On n’a pas répondu, mais la porte s’est ouverte. Blanc a dit alors :
« — Oh ! c’est vous ! Vous pourriez tout de même attendre que je vous dise d’entrer. »
« Je ne percevais aucune parole de son interlocuteur. Celui-ci devait s’exprimer par signes car Jérémie a murmuré :
« — Attendez, je vais l’inverser sur le « bip ». »
« Du coup son appareil a cessé d’émettre les paroles et les bruits pour seulement faire entendre son signal sonore. »
— Et alors ?
Ces sempiternels deux mots, fer de lance de toute curiosité en exercice ! « Et alors ? »
— Au bout d’un moment, le « bip-bip » s’est déplacé. J’ai cru que Jérémie partait. Je me suis approché de l’hôtel, mais il avait dû sortir par une porte de derrière. Alors j’ai serré la fréquence au maximum pour rejoindre notre ami. Cette manœuvre nous a amenés devant une boîte aux lettres et j’ai compris qu’on avait glissé l’appareil dans ladite boîte et que Jérémie avait disparu.
— Qu’as-tu fait ?
— J’ai alerté Mathias et Mizinsky. Celui-ci m’a rejoint à l’hôtel où, à notre requête, un vieux veilleur de nuit nous a conduits à la chambre de nos amis. Bien entendu, elle était vide et il n’y avait aucune trace de lutte. Le type interrogé a déclaré qu’aucune personne n’était entrée à l’hôtel après Jérémie et Violette et que personne ne l’avait quitté.
— Explication du phénomène, Jean-Paul ? demandé-je à mon jeune confrère.
— Le bonhomme dont parle Pinaud est à moitié écroulé. Il porte un appareil acoustique qu’il doit poser pour s’étendre sur le lit de fer pliant aménagé dans une sorte d’office contigu à la réception. Il doit compter, pour se réveiller, sur la sonnette de nuit particulièrement stridente.
— Donc, il ne se serait pas rendu compte des allées et venues ?
— Je le présume.
Je regarde ces trois frimes tenaillées par la fatigue et le sommeil.
— Quelles paroles exactes Jérémie a-t-il prononcées quand quelqu’un est entré dans la chambre ?
Le vétuste tire sur un long poil gris en train de pousser sur son nez et l’arrache. Dommage, il était beau. Il répète :
— Il s’est exclamé : « Oh ! c’est vous ! » Et il a ajouté sur un ton mécontent : « Vous pourriez tout de même attendre que je vous dise d’entrer ! »
— Donc il connaissait l’intrus.
— Sans aucun doute.
— Et il ne le redoutait pas puisqu’il lui reprochait de l’avoir surpris en plein coït. Ensuite, tu as eu l’impression que l’arrivant le priait, par gestes, de couper le contact de son émetteur ?
— Fatalement, puisque Blanc a dit : « Attendez, je vais l’inverser sur le bip. »
Je caresse le sous-main du Vieux, en cuir de Cordoba. Le grain en est extrêmement fin et ça ressemble à de la peau de femme vers le haut de la cuisse.
— En résumé, le couple a été surpris par une personne de connaissance qui était au courant de l’équipement phonique de Blanc et qui possédait une certaine autorité sur lui, vu qu’il lui a intimé d’en interrompre le fonctionnement.
Mathias qui la ferme à double tour depuis mon arrivée ajoute :
— Il connaît l’arrivant, mais il le vouvoie.
Manière de ne pas être en reste, Mizinsky ajoute :
— Il le vouvoie, mais n’est pas déférent car il lui reproche d’être entré sans attendre qu’on l’y invite.
Je ramasse le crachoir et enchaîne :
— Relation professionnelle, à preuve : le mec qui survient est au courant du port du bip-bip et Jérémie trouve normal qu’il soit informé de la chose puisqu’il dit qu’il va couper l’émission.
— C’est porteur, balbutie Pinuche dont le menton touche déjà la cravate.
Effectivement, sa respiration bascule aussitôt après cette énigmatique affirmation et le vieux bébé déchiqueté s’endort.
— Nous nous sommes fait niquer comme des bleusailles, soupire Mizinski.
— César ! hélé-je d’une voix vigoureuse.
Le Fossile laisse tomber son chapeau de ses genoux ainsi que son mégot de ses lèvres.
— C’est à propos de quoi ? bavoche l’Ancêtre.
— Dis-moi, Momifié, était-ce la première fois que Jérémie et Violette allaient copuler à l’Hôtel du Roi Jules ?
— Oh ! non. Je ne sais pas s’ils « honoraient » chaque fois leur chambre, mais c’était la quatrième.
— Putain, il chômait pas du bistougnet le Négus ! Cela dit, ils se sont donc bien fait remarquer dans cet établissement conçu pour soulager les douleurs !
— D’autant plus qu’ils faisaient un vrai cinéma avant d’y entrer : s’embrassant à pleine bouche, entremêlant leurs jambes, se palpant les parties intimes, tu vois le topo ?
— Ils jouaient leur partition, quoi ! tranché-je.
Je me dresse et marche à pas mesurés dans le vaste burlingue directorial. Il conserve encore un je-ne-sais-quoi de sanctuarisé, et, cependant, la présence du Vieux s’estompe. Ça me fait comme si j’avais le pressentiment qu’il ne reviendra jamais dans cette pièce, point de départ de tant et tant d’aventures ! Une musiquette rouillée retentit dans mes dépendances subconscientes. Le petit air déchirant de la nostalge… Je pressens qu’une page importante est en train de se tourner.
— Mes enfants, dis-je après un long soupir, allez donc vous coucher : demain il fera jour.
— Et nos deux collègues ? demande Mizinsky avec un soupçon de reproche.
Je hausse les épaules.
— S’ils ont été abattus, il est trop tard. S’ils vivent encore, on les retrouvera demain. Cette nuit, c’est ta nouvelle lune, et il est impossible de distinguer un Noir dans le noir ! Salut !
Je repars.
Tiens, je boirais volontiers un coup de raide pour m’armaturer le mental en pleine flancherie.
D’un pas incontrôlé je me rends à la brasserie de la Poule où mes collègues vont choucrouter en se prenant pour Maigret. Quelques figures amies me hèlent, mais je leur fais signe que j’ai école. Marrant : y a trois plombes, je me trouvais encore au milieu des cristaux et des empesures de Bocuse avec July I, il y a une heure, j’enfilais grand veneur July 2, dans une suite du Royal Chambord. Et puis me voici seul, épouvanté par ce qui arrive à Mister Blanc.
— Qu’est-ce que ce sera, commissaire ? s’enquiert Alfred, un vieux loufiat à favoris-pattes de lapin.
— Prends un verre à bock, fais-je, laisse tomber dedans deux gros glaçons et remplis ce qui restera d’espace de Campan.
— Ah ! si c’est un soin ! ricane le garçon.
Je fonce jusqu’au téléphone pour chercher l’Hôtel du Roi Jules dans l’annuaire. L’établissement se trouve dans une petite rue qui traverse l’avenue Mozart. Je me rappelle soudain y avoir tiré une vendeuse de chaussures qui se prénommait Lucia. Juste avant la fermeture de son magasin, je lui avais acheté une paire de mocassins qui me faisaient de l’œil dans la vitrine. Elle m’avait dit « Vous serez là-dedans comme dans des pantoufles. »
Y avait un trou à ses collants, pile à l’endroit du frifri, et je pouvais apercevoir son adorable slip rose. Du coup je la chambre à mort. Une brunette coiffée Mireille Mathieu. Ça biche. Soixante-dix minutes plus tard, on franchissait le porche du Roi Jules. Pas mémorable comme coup de bite : gentillet, sans plus. La troussée aimable entre gens qui ne se reverront plus.
Elle essayait de participer, depuis le temps qu’on lui serinait Coubertin, mais le cœur n’y était pas et le cul encore moins. T’as plein de mousmés qui veulent se donner l’air d’avoir l’air, mais qui en réalité préféreraient suivre des cours d’arts ménagers plutôt que de lichouiller une tête de zob en réprimant des spasmes, manière de faire croire à son tombeur qu’elle est initiée à toutes les combines de la chair.
La vendeuse de targettes, pour dire la vérité, on a été soulagés de se quitter. Moi, découiller dans ces conditions, j’aime mieux aller au cinéma ou au restaurant chinois. Faut dire que je suis un enfant gâté. Je tire de la pouliche de race, de l’experte aux initiatives poussées. Ou alors, il me faut de la frémissante maladroite mais qui en veut. Une qui a l’instinct du radada, comprends-tu ? Qui fait miches de tout bois. De la sensorielle, quoi, avec laquelle tu crains pas de rester en rideau et qu’aime se faire émoudre l’escalope.
Je liquide mon grand godet de Campari. J’adore le doux-amer : les deux pôles du goût. Illico, c’est le coup de fouet magique. Me voilà reparti au volant de ma blanche 500 SL.
Je trouve de quoi la remiser à cinquante mètres de l’hôtel. M’y pointe dans un silence nocturne de quartier bourgeois. Au moment de carillonner, je me ravise et utilise mon sésame pour ouvrir la lourde. Serrure sans complication, style vieille France. Quand elle est née, y avait presque pas de cambriolages. Bien qu’étant venu céans une seule fois, pour y tirer une guêtre expresse, je reconnais fort bien les lieux : la double entrée (la seconde est vitrée), puis le minuscule hall (un hall qualifie une vaste entrée, mais cet espace mesuré donne une impression de grandeur, grâce à un jeu de glaces astucieux). La banque classique devant le tableau des clés.
Une lumière pauvre en watts éclaire chichement les lieux. Suffisamment toutefois pour que je puisse trouver le livre de bord du Roi Jules et le compulser. Sache, pour ton gouvernement, comme dit ce salaud de Bérurier, que les hôtels de passes des beaux quartiers sont souvent à double vocation. Tu as un étage ou deux réservé(s) aux couples de passage, et le reste qui fonctionne comme un établissement normal. Cette partie est donc assujettie aux lois régissant l’hôtellerie et les clients sont normalement inscrits sur le registre.
Voilà donc Messire Mézigue occupé à étudier les récentes arrivées, c’est-à-dire celles qui ne sont pas antérieures à une trentaine d’heures. Elles figurent au nombre de trois. Un couple : M. Jérôme Pithivier, de Caen, et un homme seul : M. Alain Provist, de Fontainebleau. On leur a attribué respectivement le 38 et le 42. La clé du 42, c’est-à-dire celle du monsieur seul est au tableau, ce qui indiquerait qu’il n’est pas rentré. Je la décroche sans barguigner et, négligeant un ascenseur hydraulique dont je prévois qu’il est lent, bruyant et poussif, m’élance cinq à cinq dans l’escalier revêtu d’une honnête moquette.
Je suis quelque peu essoufflé en atteignant le quatrième étage. Une douillette odeur d’encaustique et de linge propre m’y accueille. On sent le petit hôtel bien tenu, familial malgré les rapides et passagères étreintes qui se perpètrent aux étages du bas.
La chambre 42 se trouve au début du couloir. J’y pénètre, actionne l’électrac et m’adosse à la porte refermée. Je suis très sensible aux premiers contacts. Une pièce, c’est un peu comme un visage : tu le trouves sympa ou non et, d’un regard, tu en perçois les anomalies. Je fais donc sa connaissance d’une œillée lente mais rigoureuse. Décor banal correspondant à ce qu’on attend : un lit de bois « ouvragé », une table de chevet supportant une lampe de cuivre fabriquée avec un vieux bougeoir. Une table, une chaise, un fauteuil, une armoire et un renfoncement équipé d’un lavabo et d’un bidet mobile. Papier à motifs : pampres de vigne avec raisins noirs. Un tapis « éliminé » (Béru dixit). L’ensemble est fonctionnel, propre et d’une désespérance à en pisser dans son froc pour se tenir compagnie.
Cela pue le tabac fumé. Effectivement, il y a un tas de mégots haut comme ça dans le cendrier. Des journaux et magazines jonchent le sol autour du lit ; ce dernier n’a pas été défait, simplement on a arraché l’oreiller de sous la courtepointe pour en faire un dosseret contre la tête du plumard. On lit sur le pucier la trace d’un homme ayant séjourné là. Un pack de six Coca est ouvert sur le pieu, dont quatre boîtes ont été bues avant qu’on les lance à travers la chambre.
Ayant enregistré toutes ces choses, je vais jusqu’à l’armoire. Elle est vide. Au coin lavabo, nulle trace d’un séjour ; visiblement, le client du 42 n’est pas descendu au Roi Jules pour se laver. La savonnette mise à la disposition de l’usager est encore dans son emballage. Je vais ouvrir le tiroir de la table de chevet et j’y déniche des emballages de chewing-gum Hollywood. Si le client compte sur la gum pour s’empêcher de fumer, c’est loupé.
Sur la table, l’est quelques feuilles de papier à lettres au nom de l’établissement. Je cramponne une enveloppe dans laquelle je dépose quelques-uns des mégots et des emballages d’Hollywood. Au lavabo, fixés à un crochet, pendent plusieurs sacs de plastique à l’usage des dames en panne des sens. J’en arrache un et je le retourne ; l’utilisant comme un gant, je récupère deux boîtes vides de Coca. Après quoi, sans lâcher les boîtes, je le remets dans le bon sens. Tout cela est peut-être superflu, mais j’ai appris à obéir à mes instincts professionnels.
Par acquit de conscience, je me fous à quatre pattes pour regarder sous le lit ; bien m’en prend car j’aperçois une petite boule d’étoffe grise. J’allonge la main sous le sommier et ramène le trophée.
C’en est un !
Une exquise petite culotte de femme bordée de dentelle.
Je la roule serrée et la glisse dans ma poche. Délicat mouchoir, qui, pour une fois, n’est pas parfumé à l’Eau de Cédrat.