CHAT CLOWN 15

Le chat fera toujours « miaou », l’âne « hi-han » et les pompiers « pin-pon ». C’est ce que je pense en entendant survenir un gros véhicule rouge par l’allée cavalière.

Pin-pon ! Deux notes !

Les casques de cuivre brillent au soleil. Et ma pomme, le pyromane, de trouver beau ce spectacle coloré.

Tout de même je les ai à la caillette, espère ! Je ne la savais pas si redoutable, la bombinette incendiaire de Mathias ! Dire que j’adore les style Louis XIII et que je viens de bouter le feu dans un château délicieux de cette époque ! Car ça crame ferme. Le salon entier brûle et les flammes jaillissent des fenêtres qui ont explosé pour lécher la façade.

Le personnel a bien essayé de circonscrire le sinistre comme on dit puis (Béru, lui, dit circoncire), mais les extincteurs maison se sont montrés aussi efficaces que Mamie Cresson à Matignon. Fallait les pros. Ils arrivent ! On a fait sortir les habitants de l’hostellerie et ils sont tous rassemblés sur l’immense pelouse : ceux qui baisaient, ceux qui se cataplasmaient, ceux qui tricotaient, ceux qui regardaient la téloche, ceux qui…

Tous, sauf Chilou et July.

Où sont-ils ? J’ai visité chaque chambre : niente ! Dans l’une d’elles j’ai repéré une valoche du Dabe que j’ai formellement reconnue. Vuitton d’avant 14, constellée d’étiquettes de palaces en provenance du monde entier, principalement des Indes. Malle des Indes mystérieuses. Il a dû la trouver dans le coffre de sa vieille Rolls quand il l’a achetée d’occase. En tout cas il n’est plus dans sa piaule !

Et la mère Larsen, bordel ! Pourquoi a-t-elle mis les adjas quand j’ai neutralisé son garde du corps (ou son geôlier ?) ?[9]

— Ça sent le roussi ! murmure Rosette.

— Surtout pour nous, admets-je. On va profiter de ce branle-bas pour filer.

— Nous n’avons pas de voiture.

— Il y a des vélos de promenade à l’usage des clients sous le hangar, près des tennis. Viens !


Putain ! l’ai-je assez aimée et pratiquée, la « petite reine » quand j’étais gamin, et même ensuite pendant mon adolescence. C’est elle qui m’a fignolé des jarrets de bronze. On dit que la bicyclette ça ne s’oublie pas, tout de même c’est duraille de repiquer au pédalier quand on trimbale son prose en Mercedes 500 !

Tu sais qu’elle me bat dans les côtes, Rosette ? A l’énergie, le dandinement Coppi !

— Tu fais beaucoup de sport ? ahané-je, parvenu au sommet de la crête.

— Tennis et natation.

— C’est pour ça…

Je me retourne. On distingue l’incendie, au loin. Une fumée noire qui monte, rectiligne dans le ciel. Heureusement que l’étui de plastique s’anéantit lorsque la bombe éclate, sinon l’enquête de la gendarmerie risquait de nous flanquer dans la béchamel.


On finit par trouver un autobus qui nous ramasse avec nos vélos et nous laisse à Chalon-sur-Saône. Et alors, tu vas voir comme le hasard est farceur ! Qui aperçois-je en déboulant du car ? Edmond Rebuffade, au volant de sa Ford Siesta. Sa grande bringue de bonniche est à son côté. Je m’approche du parking où ils sont arrêtés et je constate que l’ancien proviseur a glissé sa main entre les jambons de la môme. Sans doute lui avons-nous ouvert des horizons, lors de la fameuse soirée paillarde ? A moins que je sois tombé dans une chouette famille tuyau de poêle et que pépère chique les doux voyeurs innocents. J’en sais d’autres. C’est dur d’assumer ses glandes quand les mecs prennent du carat. Ils détellent mollo, les dabes, s’essorent jusqu’à la dernière goutte. Si peu qu’il y en ait, ça fait tout de même plaisir !

Je toque à la vitre. Il m’avise, devient radieux, ouvre sa portière, dégage sa main droite de la culotte qu’il explorait et hisse ses doigts au niveau de mes narines.

— Vous reconnaissez ? jubile ce dépravé tardif. Rien ne vaut la jeunesse ! Ainsi vous êtes encore des nôtres. Venez donc dîner à la maison, ma femme vous fera un gratin de courge, c’est sa spécialité. Et des oiseaux sans tête ! D’accord ? Ensuite, on pourrait s’amuser de concert : je vois que vous avez une ravissante petite compagne bien tendre. Elle me rappelle une des mes élèves à qui je donnais des cours privés de maths au moment du bac : des nichons exquis, mon bon ; quand je les lui caressais, j’avais l’impression de jouer à la pétanque.

J’endigue les ardeurs explosives de mon récent ami.

— Edmond, lui dis-je, je crois me rappeler que, dans le texte consacré au château du Chevalier Noir, vous avez mentionné l’existence d’un souterrain ?

— Si fait, commissaire. Quelle mémoire !

— Vous précisez même qu’il est l’un des mieux praticables de toute la Bourgogne.

— Très juste ; pourquoi ?

— Vous l’avez emprunté ?

— Naturellement.

— Où débouche-t-il ?

— A la ferme du Renard Piégé, une construction qui menaçait ruine et qui se situe à quelques centaines de mètres du château.

— A qui appartient-elle ?

— Je ne suis certain de rien, mais le bruit m’est revenu que l’Anglais du Chevalier Noir l’aurait acquise avec l’intention de la transformer en annexe, si son affaire se développait.

* * *

Ils ne se parlent pas.

L’homme au loup de velours se déplace à bord d’un véhicule spécialement aménagé pour lui. Une Renault Espace bordeaux foncé, aux vitres teintées, luxueusement traitée. Un vrai petit salon séparé du conducteur par une vitre coulissante insonorisée. Quatre fauteuils opulents se font vis-à-vis. Entre eux, une table basse dont le piétement sert de bar. Sur un pied mobile, un poste téléphonique. Dans un angle arrière du véhicule, la tévé. Ça sent bon et c’est archiconfortable.

L’homme au loup se sert un Cointreau. Il dit à son passager :

— Ne me demandez pas de vin rouge, ici je n’ai que des alcools. Un Campari, peut-être ?

Le Gros mec ricane :

— Gigot ! Ça m’fera penser à Sana, il le raffole !

Puis il sort son étrange pistolet noir à silencieux de sa poche et en extrait le chargeur.

— Combien dites-vous-t-il qu’il y a de gus à sulfater, baron ?

Le big compte sur ses doigts.

— Quatre !

— Alors là, y a comme un défaut, râle Bérurier : y m’rest’ plus qu’deux valdas en magasin ! Va falloir qu’on passe à la maison pour qu’je me munitionne.

— Nous n’avons pas le temps, riposte l’homme au loup, car nous ne nous dirigeons pas sur Paris ; je vous prêterai une autre arme pour terminer le travail.

Le Gros tord le nez.

— J’ai l’habitude de mes outils, grogne-t-il. C’est comme si vous prêteriez un violon d’occase à « Youdi Mais-nous-in » à la place de son « C’qu’a-dit-Marius » ! Vous n’pourieriez pas envoilrer quéqu’un chez moi pour prendre les bastos d’r’change ? Ma bourgeoise sait où donc j’ les range.

Le maître du F.P. (France Propre) semble agacé par cette requête. Malgré tout, il tient à ménager sa recrue d’élite, sachant que les vedettes ont des caprices.

Il décroche le téléphone. Il mâchouille un numéro. Quand ça décroche, il dit :

— Bob ! Saute sur ta moto et va… (à Béru :) Où habitez-vous ?

Le Mahousse le lui dit et l’homme au loup répercute différents renseignements : l’adresse et le nombre de boîtes de balles avec un rappel du vaisselier où elles se trouvent. Il termine en recommandant au gars de lui ramener de toute urgence les boîtes à la champignonnière.

* * *

Un amour, le père Rebuffade ! Et qui ne mérite pas son nom. Il nous propose spontanément de nous conduire à la ferme du Renard Piégé, à condition qu’on passe prévenir son haridelle auparavant. On y va. Elle s’écrie Hosanna, au plus haut des cieux en me revoyant. La bise ! Promesse de venir claper le gratin de courge et les oiseaux sans tronche après notre bref voyage. Je l’entends qui chuchote à son époux : « Et si je mettais les draps noirs pour APRÈS ? » Il répond que c’est une excellente idée ! Bon, cette fois, je ne me pose plus de questions à propos du couple et de sa soubrette.

Ça brouhahate dans le secteur de l’hostellerie. Y a des voitures de gendarmes, d’autres de la presse locale. La fumée continue, mais moins épaisse.

Et soudain, tu sais à qui je pense ? A l’ange gardien de July 1er que j’ai abandonné sur le lit de leur chambre. J’espère de toute mon âme que le feu ne s’est pas propagé jusque-là.

— Mon Dieu ! égosille Rebuffade, le feu ! Un castel de cette valeur artistique ! Mais c’est épouvantable !

Il veut aller sur les lieux pour constater l’ampleur des dégâts et j’ai grand mal à l’en dissuader. Il contourne le bois de Chapeau Tricorne et s’engage dans un chemin creux qui, au printemps, est bordé d’aubépine en fleur, pines en fleur, pines en fleur, tsoin tsoin ! Les récentes pluies ont raviné cette voie vicinale et la tuture de l’ancien proviseur tangue dans les ornières.

Une fois parvenus à quelque deux cents mètres de la maison, et avant que ne cessent les arbres, je demande à mon vaillant pilote de stopper.

Il obtempère et murmure avec un soupir de regret :

— L’Anglais n’a pas donné suite à son projet, d’après ce que je vois : la ferme est toujours dans le même piteux état !

— Pourtant, il y a de la lumière à l’intérieur ! murmure Rosette.

Je regarde plus attentivement et, effectivement, je vois scintiller une lumière à travers une fenêtre plus ou moins démantelée du bas.

— Attendez-moi ici, fais-je.

Je décris un vaste mouvement tournant afin de prendre la ferme « à revers ».

Je marche dans le crépuscule, mettant les buissons à profit. Peut-être n’est-ce pas raisonnable de me pointer seul dans cette bicoque moins abandonnée qu’il y semble ?

Par acquit de conscience, je passe mon ami Tu-tues dans ma ceinture, après avoir mis le cran de sûreté. Tu vois pas qu’une bastos me parte dans les claouis ? Sana, fané à tout jamais de son bâton de maréchal ! Tu imagines le cortège des veuves place de l’Hôtel-de-Ville !

Les ultimes lueurs du couchant allongent l’ombre de ma silhouette jusqu’aux premières étoiles, dirait mon camarade Hugo (Victor pour les dames et Totor pour Juliette Drouet dont il aimait le minou).

J’arrive de la rase campagne, ayant perdu l’abri relatif des ronciers. S’il y a un guetteur dans la masure, je vais l’avoir dans le prosibus !

Mais il est stoïque, Antoine ; naturellement vaillant. Le courage n’est qu’affaire d’inconscience.

J’atteins un appentis où pourrit une vieille charrette aux bras de plainte tendus vers la nuit. Le mur est aveugle. Je le frôle jusqu’à l’angle de la façade. J’approche la fenêtre éclairée. La crasse a opacifié les vitres fêlées ; de la buée s’y ajoute et il est très difficile de voir à l’intérieur. J’y parviens grâce à un lambeau de verre manquant. Je distingue une vaste salle de ferme où subsiste un peu de mobilier : grande table, vaisselier bressan, des bancs, une horloge dont le balancier pend comme la zézette de Canuet sous sa douche, un fauteuil garni de paille, mais celle-ci s’est barrée au fil du temps et ledit fauteuil ressemble à un siège percé, cet ancêtre du gogue.

Icigo, deux personnes : Le Vieux et July Larsen. La ravissante, toujours en tenue d’intérieur, est allongée sur la table jusqu’au bassin, le reste de sa personne se trouve dans le vide, mais heureusement ses pieds mignons prennent appui sur l’un des deux bancs, de part et d’autre de Chilou, lequel est en train de déguster l’exquise Scandinave avec détermination et, je le vois, un infini plaisir.

Il use de la bonne vieille méthode dite de « l’enveloppe cachetée ». Sa langue vieillarde part du milieu de la cuisse, la lèche largement en remontant jusqu’à atteindre le centre géographique de la personne. Pour la France, c’est Bourges, pour une dame c’est le lieu-dit Clito. Là, il y a fouissage prolongé, forte intervention labiale, léger mordillage, plongeon du nez dans la fournaise, introduction effective du médius en renfort dans la région située sous le menton de messire Achille. Glabouillage et suçotage sont les deux mamelles de la France ! Le Dabe interrompt la manœuvre et sa bavarde se remet à repter sur la cuisse d’en face pour assurer le complet triangle des Bermudes. Ensuite il recommence dans le sens contraire. Cette pratique ne laisse pas July 1re indifférente puisqu’elle émet des râles qui en disent plus que des paroles sur son contentement organique.

Moi, ce spectacle me laisse perplexe. Ce n’est point là comportement de gens en danger ; de gens prisonniers.

Je continue de prendre mon jeton, attendant la fin de ces ébats bipartites pour interviewer les protagonistes, recueillir leurs premières impressions à l’issue de ce raid.

Malgré l’âge du partenaire masculin, le spectacle ne manque pas de grâce, la femme étant ravissante et l’homme surexpérimenté.

— C’est à quel sujet ? fait soudain une voix provenant des hauteurs.

Je lève la tête et aperçoit un monsieur en tenue sport : veste à carreaux, foulard, gants beurre-frais.

La seule incongruité du personnage : il tient une mitraillette en forme de squelette de cornet à piston et la braque sur ma personne.

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