— Ça tourne ! lance le « compagnon » préposé à la caméra.
L’appareil n’est pas du dernier cri ; rien de commun avec les nouveaux appareils japonais que tu gagnes dans tous les jeux télévisés. Celui-là appartient au Masque de Velours, il a au moins vingt-cinq ans et il cliquette en moulant des images comme la crécelle des lépreux que tu rencontres dans la rue.
— Allez-y ! fait le metteur-en-scène-président à sa vedette.
Bérurier a un pistolet dans chaque main.
— Je vais finir les deux bastos de mon outil à moi ! annonce-t-il.
L’homme masqué sourit devant cette obstination ridicule. Le Gros marche jusqu’au groupe. Il avance son pétard sombre jusqu’au dos de Jérémie et tire. L’inspecteur Blanc a un soubresaut, un cri pas terminé et bascule ; le tueur vérifie que la deuxième praline est bien en place dans son logement et, cette fois, abat Violette. Elle s’écroule, foudroyée.
Ayant terminé ses propres munitions, Bérurier remet sa rapière dans son holster et braque le beau feu nickelé contre la nuque de Mathias. Mais le coup ne part pas.
— Dites donc, Monseigneur, grommelle l’artiste-équarrisseur, y aurait pas comme un défaut à votre séringue ?
Il examine l’arme.
— Avez-vous bien relevé le cran de blocage ? demande le chef.
— Je veux, ouais ; mais y a quéqu’chose qui a l’air bizarre, venez-voir, tous.
C’est magique, une arme à feu, ça intéresse aussi sûrement les hommes qu’un bébé intéresse les femmes. Les gars se rapprochent, font cercle.
— C’est ici, affirme Bérurier en caressant le flanc de la crosse de son pouce, là, voyez, y a un machin qui dépasse.
Ils se penchent. Et alors ce qui se produit demeurera à tout jamais unique dans les annales policières.
Sept secondes !
Pas une de plus.
En sept secondes Loup de Velours et les cinq hommes de sa garde prétorienne sont morts avec chacun une balle dans un œil. Le Gros aurait pu effacer les six gonziers en six secondes, mais quelque diable rancuneux le poussant, il a voulu mettre deux quetsches dans la physionomie du chef. Et maintenant, il a une frime hallucinante, cézigue, avec les deux flots de sang qui jaillissent des deux trous du masque. C’est surréaliste à déféquer sur les tapis de la marquise !
Sa « mission » accomplie, le Mastar souffle sur le canon du feu, façon western. Il sort son mouchoir cauchemardesque et l’utilise pour « essuyer » l’arme dont il vient d’user.
Il est tout joyce et sifflote Les Matelassiers.
Ensuite il dépose le feu au centre du cercle des défunts, puis s’approche des vivants. De son Opinel, il tranche liens et bâillons.
— Vous deviez commencer à vous faire vieux, mes drôlets ! lance-t-il.
Le père Pinuche, au lieu de remercier, fulmine :
— Qu’est-ce qui t’a pris d’abattre Jérémie et Violette !
— Fallait qu’j’inspirasse confiance z’aux z’autres, plaide Sa Majesté. Ce début d’éguesécution a fait qu’ils sont été sans méfiance pour après, comprends-tu-t-il ?
— Comme tu y vas : sacrifier deux amis pour donner bonne impression à ces criminels, c’est un peu cher payé !
Le rire de Mathias le laisse coi. Il regarde tantôt le Rouillé, tantôt l’Obèse avec incertitude.
— Il a tiré avec une arme de mon invention, César, rassure le Rouquemoute. Balles anesthésiantes sans grande force d’impact. Elles inoculent une légère dose de soporifique et s’anéantissent. Dans moins d’une heure, nos deux amis seront sur pied.
La Pinoche retrouve son beau sourire de vieil archange devenu ganache.
— Je me disais aussi… Un homme comme toi, Alexandre-Benoît, ça ne peut pas devenir un tueur nazi, même s’il a une aversion pour les Noirs.
Bérurier bombe le torse.
— Ça y est, traite-moi de racisse, pendant qu’t’y est ! Où qu’t’as vu que j’aimais pas les Noirs ? A cause qu’ j’chahute Blanc, parfois ? J’voudrais qu’tu le suçasses une fois pour toutes, César : moi, les Noirs, j’les raffole. La seule chose qu’j’leur reproche, c’est d’être nègres par moments !