CHAT CLOWN 3

Son burlingue, Chilou, je m’y sens aussi à l’aise qu’un saumon dans un tonneau de sciure. C’est pas mon style, ce genre de pompe. Et je déteste le parfum qui flotte dans l’air à la ronde ; le sien d’abord : « Cuir de Russie », plus celui de toutes les pétasses de luxe venues céans lui saccager la prostate.

J’y passe néanmoins une grande heure, téléphone décroché, à prendre connaissance du dossier. Quand je referme le porte-documents de toile noire, mon siège est fait. Il s’agit bel et mal d’une organisation de fachos en délire, guerriers en peau de zob et de carnaval libérant leurs fantasmes derrière une crapuleuse idéologie.

Mon confrère, le commissaire Chenu qui, jusque-là, menait l’enquête (il va m’adorer en apprenant que c’est Bibi le grand chef indien désormais !) a fait serrer plusieurs groupuscules d’illuminés fichés, mais ça n’a pas donné grand-chose. Ces têtes-de-nœuds, nonobstant leurs crânes rasibus, leurs fringues de cuir noir et les croix gammées ornant (si l’on peut parler d’ornement) leurs manches, sont davantage des braillards de meetinges que des hommes de main véritables. Ils simulacrent pour prendre leur pied. Ce sont les branlés du néo-nazisme.

Ayant survolé le problème, je décide d’attaquer par le commencement, à savoir l’assassinat après mutilation d’un jeune Maghrébin du nom de Bokono Al Esbrouf, tué dans un infâme studio alors qu’il besognait une shampouineuse métropolitaine. C’est cette fille qui a été chargée par les assassins d’annoncer au monde la divine naissance de « l’association France Propre » ! Quinze jours que le meurtre a eu lieu. La partenaire du défunt, une certaine Martine Vénérien, fortement traumatisée par cet assassinat perpétré sur son ventre, a dû passer plusieurs jours à l’hôpital. Interrogée, elle n’a pas appris grand-chose aux enquêteurs. Tout ce qu’elle a dit et répété, c’est le message dont les agresseurs l’ont chargée.

Ça va être elle, mon fil d’Ariane.


Je me pointe à son domicile (un petit pavillon de Chennevières) flanqué de Béru. Je pense que nous composons un tandem de flics efficaces, le Mastar et moi. Je joue le beau gosse intelligent, lui le gros sac à merde borné. Très complémentaires.

C’est la maman qui vient déponner. Tu dirais plutôt la grande sœur de la shampouineuse. Une boulotte de quarante carats, teinte en blond extrême, le regard angélique d’un bleu délavé. Elle porte un corsage imprimé bien rempli, une jupe trop remplie (le crochet de la taille a foiré) et des pantoufles de vair comme dans les contes de Perrault. Elle a les mains et les avant-bras chaussés de caoutchouc car elle était en train d’utiliser Vizir.

Je lui vote un sourire princier, comme y a plus qu’à Monaco que tu peux en trouver quand Paris-Match est en maraude.

Ma brèmouze.

— Encore ! rembrunit la blonde (mais je te parie qu’elle est brune plein sa culotte).

— Je sais, tais-je, une enquête a ses nécessités, madame Vénérien, auxquelles tout citoyen doit se soumettre.

Bérurier intervient :

— Pour nous z’aut’, c’t’un bonheur d’ tomber sur une personne pareillement roulée, déclare-t-il à l’emporte-pièce.

Un peu estomaquée, la dadame, de voir un drauper la charger cosaque but en blanc. Ceux qui nous ont précédés ici avaient des manières moins exquises et plus professionnelles. Ils faisaient pas dans la dentelle, eux, à l’instar de Béru Ier.

Je demande la permission de causer avec sa fifille. Elle me répond qu’elle est claquemurée dans sa chambre, au premier : la porte de gauche. Nous explique que son mental a gravement morflé, la gosse ! Dis, quand on te saigne à mort un julot sur le ventre et qu’on laisse la tige de sa sucette dans ta chagatte, y a de quoi te faire paumer les pédales ! Elle parle de se faire religieuse, la Martine, pour toucher le tiercé dans les ordres. Elle veut se vouer à l’Immaculée Conception, histoire de se retricoter une virginité.

— Si c’est comme ça, murmure Béru, c’serait p’t’être meilleur qu’tu la voyes tout seul, pas l’échauffourer[1].

Le madré bonhomme ! Tu parles comme je le vois venir avec ses gros sabots normands. Il a fait tilt pour la dame Vénérien, le bougre, et espère la chambrer pendant que j’interrogerai sa fille.

Mais à quoi bon lui mettre des bâtons dans les roupettes ? Je m’engage seul dans l’escadrin.


Martine, je l’ai pas connue à l’époque de ses shampouineries mais je suppose qu’elle devait se trimbaler une meilleure frime. Elle est hagarde, blême, avec des yeux écarquillés par une épouvante irréversible. D’emblée je pige qu’elle devrait se trouver dans une clinique, la pauvrette, au lieu de croupir dans la pénombre de sa chambrette concon, pleine d’animaux en peluche, de castagnettes espingotes et de disques compacts.

Elle est en survêtement Adidas, assise sur son lit, dos au montant, tenant sur ses genoux un vieil album de Tintin qui raconte les exploits de la « Castafiore ». Mais elle ne le lit pas : à preuve, le livre est à l’envers. Sa posture autant que son expression me paniquent. Ils sont glandus, ses vieux, de pas piger qu’elle y va du cigare, leur grande fille ! Qu’elle a déjà dépassé la cote d’alerte. Merde, y a urgence ! Comment veux-tu que je questionne un être pareillement sonné ?

Je m’avance néanmoins jusqu’au lit.

— Bonjour, Martine.

Elle me visionne à peine, comme si j’étais un calandos plâtreux. Se recroqueville d’instinct. Décidément elle est trop out, y a pas mèche de lui parler.

— N’aie pas peur, ma petite fille, lui rémouladé-je, je suis un ami.

J’avance la main jusqu’à sa cheville. Alors elle se met à hoqueter, proche de la crise de nerfs.

— Me tuez pas ! elle supplie. Me tuez pas ! Tuez encore Boko, mais ne tuez pas, moi !

En s’agitant, elle actionne la poire électrique placée à la tête de son lit et la lumière s’éteint. Comme ses volets sont clos, nous voici dans l’obscurité. Elle pousse un cri et se jette contre moi, cherchant protection auprès de celui qui provoque sa panique, ce qui est étrange.

Je la sens qui tremble. La presse. Mieux, j’écarte les pans de mon veston pour qu’elle puisse se blottir plus complètement. Lui caresse la nuque, lui baisote les cheveux. Chantonne une comptine. La berce. Dodo, l’enfant do ! Grand con ! C’est empêtré un homme, dans ces cas-là. Kif un papa de fraîche date tentant de calmer son nouveau-né plein de merde pendant que maman est chez le coiffeur[2].

La pauvre fifille se calme doucement. Après quelques reniflades qui doivent m’escargoter la limace (si je puis dire), elle chuchote :

— Ils sont partis ?

Et ma pomme, illico en prise directe :

— Oui, mon bijou.

— Tous les trois ?

— Tous les trois.

— Même celui qui a une araignée sur la main ?

Je marque un léger temps de surprise. Qu’entend-elle par là, Martine ?

— Même lui, confirmé-je.

— C’est certain ?

— Parole d’homme. Tu n’as plus rien à craindre.

Elle bredouille :

— Son couteau est plein de sang, il l’a emporté quand même ?

— Oui, oui, sois tranquille, ma petite Martine.

— Vous croyez que Boko est mort ?

— Mais non : on le soigne à l’hôpital.

— Mais on lui a coupé la queue !

— On lui en a greffé une autre, encore plus grosse !

Elle ne moufte plus. Sa respiration se régularise et je m’aperçois qu’elle dort contre ma poitrine. Un instant de détente, enfin, pour cette pauvre fille si terriblement éprouvée.

Je n’ose broncher. On est là, dans le noir, comme deux êtres perdus au fond du monde.

Je pense : « une araignée sur la main ». Elle veut parler d’un tatouage, probablement. Si c’est le cas, l’indication est précieuse. Pourquoi ne l’a-t-elle pas mentionnée aux collègues qui ont recueilli sa déposition ? Elle était trop choquée pour restituer ce détail ? D’ailleurs il est venu au cœur de son angoisse délirante.

J’attends encore un peu avant de l’allonger sur son plumard. Elle geint pendant l’opération, sans toutefois se réveiller. Je sors de la chambre sur la pointe des pieds. Depuis le premier étage, j’étends les échos d’une conversation animée.

— Mais écoutez, monsieur le commissaire, comment voulez-vous m’introduire une queue pareille ? C’est inimaginable ! Mon mari est monté comme un caniche et je ne l’ai jamais trompé !

Elle n’est pas effarouchée par l’adultère qui se mijote, mais par le calibre de la fusée, la maman. Béru doit lui tapoter les miches car je perçois un aimable clapotis.

Il grommelle :

— Allons, allons, croivez pas des cornettes de ce genre, ma poule. La viande c’est estensible : celle à vot’ fouinof comme celle à ma bite. Si vous aureriez un’ noisette d’margarine à ma dispose, j’vous prouvererais qu’en trois minutes l’zoziau est dans son nid sans vous faire grincer les miches l’moins du monde !

— Y en a dans l’frigidaire, m’sieur l’commissaire.

Je note au passage cette promotion dont le Gros s’est paré.

Il doit trouver ce qu’il réclame, car il s’écrie :

— Pas commode à tartiner, vot’ butter, la mère ! Faut qu’j’ l’malasque ent’ mes doigts manière d’ l’assouplir ; kif d’la pâte à modeler. Là, y s’fait ! Maint’nant, regardez : j’m’induis l’ Pollux. Jusqu’à c’ qu’ y d’vient un vrai v’lours. Faut y dorloter la tronche vu qu’ quand t’est-ce elle est passée, l’affaire est concluse. C’est toujours la tronche qui fait des magnes. Maint’nant, ma gosse, appuiliez-vous su’ l’ plan d’ travail de vot’ cuisine, les guiboles bien écartées. Vous vous penchez fort par-dessus le bastringage comme si vous s’riez en bateau. Rilaxez-vous à mort.

« Ah ! t’y’là déjà, Sana ? Tu m’accordes cinq minutes pour qu’j’aligne c’te pauv’ femme qu’est tell’ment tracassée par sa grande fille ? Tu peux rester, ça n’m’ dérange pas. Assoive-toi.

« V’s’êtes parée pour les manœuv’ d’automne, maâme Vénérien ? On y va à la langoureuse, façon Valses de Vienne. Fectiv’ment, vot’ tatoué, c’est pas lui qu’a percé l’tunnel sous la Manche av’c sa bite ! Y tringle au moilien d’un compte-gouttes, non ? Son chipolata, c’t’un gars d’ divorce ! V’s’avez épousé un homme, pas un cure-dents ! Vot’ grande, au moins, elle aura pas ce genre d’ennuis pisqu’é s’emplâtre des crouilles. Les ratons, ma poule, y sont braqués comme des percherons. »

Tandis qu’il parle et s’active, je vais prendre place sur le plan de travail auquel est accoudée « l’exiguë ». Elle arbore une grimace de suppliciée. Je suis tout contre elle, pas mateur, encore moins viceloque. Tu penses si les empaffades du Gros sont monnaie courante pour moi. Je suis blasé.

— Serrez les dents, conseillé-je, ce n’est qu’un mauvais moment à passer ; ensuite l’avenir vous appartiendra.

— Oh ! j’ai bien compris, admet la chère femme. Courageuse. Pour elle, cet adultère au débotté équivaut à une intervention chirurgicale.

Elle ajoute :

— Je me doutais bien qu’il faudrait y passer un jour ! Mon gynéco me répète tout le temps : « On dirait que vous êtes encore vierge, madame Vénérien. » Quand le commissaire, tout à l’heure, m’a montré son gros zizi, j’ai su que le moment était arrivé. Le destin sonnait à ma porte ! Ahouillle ! Arrêtez ! Non ! Non !

— Calmos, ma toute belle ! murmure Sa Majesté en caressant sa croupe. On marque un’ halte. Bougez pas qu’ sinon vous allez m’espulser l’guignol. Faut préservever l’terrain acquis, comprenez-vous-t-il ? J’ai idée qu’le plus gros est fait. Si vous pourriez mouiller un brin, on aurait pratiqu’ment gagné l’canard. Voudriez-vous-t-il qu’ j’vous fisse les bouts d’seins manière d’émoustiller vot’ frigounet ? Ou qu’ j’vous raconte des saloperies ?

Moi, afin de la dédolorer, je questionne :

— Chère madame, Martine vous a-t-elle entretenue du drame lorsque vous l’avez revue à l’hôpital ?

— Oui, mais elle « déparlait » déjà beaucoup.

— Que vous en a-t-elle dit ?

— Que l’homme qui dirigeait reviendrait pour la tuer ; elle en est toujours convaincue d’ailleurs… Aïe ! Faites très doucement, monsieur le commissaire ! Se peut-il que des hommes soient montés comme mon époux, et d’autres comme vous ?

— Des de mon calibre, y en a pas chouchouïe ! orgueillise le Mastar. C’t’un cas, dans not’ famille. M’sieur Félisque excepté, j’croive pas qu’éguesiste mieux su’ c’te planète. P’t’ête quéqu’ bougnes dans la forêt tropicale ; j’ai vu la photo d’un qui f’sait un nœud av’c son nœud. Moi, faire un nœud av’c mon nœud, j’y arriverais à condition d’pas goder, mais c’est tell’ment rarissime !

Sournoisement, il pousse encore son avantage. La maman de Martine s’en rend compte, ne dit mot, surprise agréablement de parvenir à encaisser ce nouveau passager sans défaillir. Le corps humain est résistant, il se prête à bien des combinaisons qui, à première vue, semblent irréalisables. Elle est presque fière d’être un mammifère élastique et courageux.

— Vous a-t-elle fait une description de cet homme qu’elle redoute tellement ? lui demandé-je.

— Oui, elle dit qu’il est grand ; qu’il a une grosse chaîne d’argent au cou qui passait par-dessous sa cagoule et une épaule plus haute que l’autre, sans toutefois être bossu.

— Elle vous a mentionné une araignée tatouée sur la main ?

— Non. Je… Oh ! là ! Oh ! la la ! Avvrrrrouiiii !

Elle tente de soustraire son michier à l’épieu qui s’y est planté, mais les mains puissantes du Gros le maintiennent.

— Tout beau. On y est, ma jolie ! dit-il d’un ton apaisant où perce (si je puis user de ce verbe en cet instant) une fierté de mâle. T’v’là grande fille, maint’ nant ! Une dame pour de vrai, qui va pouvoir se faire praliner la case trésor par des messieurs authentiques ! Ton avorton d’mari, quand c’est qu’y va t’niquer, y s’sentirera en perdition comme un espégologue lorsqu’a une montée d’eau dans la grotte ! Va falloir qu’y s’cramponnasse aux parois ! Ça y est, t’as tes aises ? J’peux piquer d’mes deux pour l’galop d’honneur ! Allons-y, Ninette ! La grande fantasia d’vant les tribunes !

Il est superbe dans ses déclenchements, Béru ! Un coup de reins unique au monde ! Une fougue de taureau ! Faut le voir caracoler du paf, l’artiste ! Lâcher les fesses de sa partenaire pour la soulever juste avec son membre, puis lui claquer les meules formidablement avec un mouvement de lavandière frappant son linge mouillé et tordu contre la pierre du lavoir. « Vlaing ! » ça fait. Je mens pas, écoute : « Vlainng ! » T’entends ? Peut-être même : « Vlaiiinnngg ! »

Elle crie encore, Solange (je l’appelle Solange parce qu’elle le mérite). Mais on peut déceler déjà du plaisir dans ses hurlements. Elle en est au point critique où la souffrance se mue en volupté. Elle prendra des bains de siège réparateurs par la suite, certes, s’oindra d’onguents appropriés, mais pour l’instant, elle doit aller au grand fade éblouissant, n’importe les dégâts. Elle n’a pas enduré ce martyre pour juste se faire écarquiller la moniche ! Faut la rentabiliser dare-dare, cette épreuve. Une bite pareille, dis ! Unique dans sa vie morose ! Avoir le privilège de l’encaisser jusqu’à sa garde sans en tirer la volupté inhérente, ce ne serait pas un crime, dans son genre ? Hein, réponds, fleur de nœud ?

Alors elle surmonte le mal pour accueillir le bien. Tout à l’heure elle aura de l’eau chaude et de la vaseline, autant qu’il lui en faudra, pour réparer du gland le réparable outrage, mais cette queue unique aura disparu et poursuivra son ardente carrière vers d’autres culs en friche. Le pied géant, c’est tout de suite ou jamais.

D’autant que le monstre est lâché ! Un déchaînement dantesque ! Une furia qui glace le sang. Il la tape à cent vingt coups minute, Solange, mon Béru. Lui compote le prose ! La défonce en plein !

La porte s’ouvre et une petite vieillarde montre son museau de fouine. Elle regarde, tarde à comprendre ce dont il est question. Elle m’interroge du menton, moi qui suis disponible et calme.

Je mets un doigt verticalement sur mes lèvres. Elle porte une mallette, un petit banc de bois.

Elle m’approche, trottant menu et chuchote à mon oreille :

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est pour la caméra indiscrète, réponds-je.

Ça la comble, elle sourit.

— Elle est où est-ce, la caméra ?

— Vous voyez cette vue de Monaco, au mur ?

— Derrière ?

— Exact.

— Je vais être sur le film ?

— Si vous le souhaitez…

— Bien sûr. Ma voisine sera jalouse.

— Qui êtes-vous ? demandé-je.

— Mme Verpillère Alexandra, je fais pédicure. Mme Vénérien a des ongles en carnet, je venais pour la traiter : elle n’ose plus laisser sa fille seule depuis… Mais je ne sais pas si vous êtes au courant ?

— Vaguement.

Cette fois, la Solange vient de franchir le point de non-retour et c’est la lumineuse jouissance. L’éclatement sensoriel parmi les nébuleuses. Elle se met à couiner, pour commencer. Petit mammifère pris dans les mâchoires d’un piège. Et puis ça s’articule, se module. Ça se fait approbateur. Elle a des accents raisonnables dans son délire. Elle le constate. Elle dit :

— Ah ! mais que c’est bon on on ! Plus foooort ! Donne ! Tout ! Tou ou ou ou t !

Ensuite, elle perd la cohérence pour se réfugier dans les chères onomatopées secourables, compagnes vigoureuses de nos sentiments exacerbés, de nos sensations les plus fortes. Langage mystérieux de nos démesures.

Ça donne à peu près :

— Mrrrrouiiii ! Vhouâââou ! Eeeeehhhh !

Après l’onomatopée vient le simple son. Fusant, long : « Fffffffff ». Une lettre suffit. L’onomatopée est principalement composée de voyelles ; le son d’extase ne va jamais plus loin que deux consommes à l’extrême rigueur : « Plllll ! ».

De son côté, Bérurier marque sa propre délivrance. Chez lui, le panard est invariable. Il lance un vibrant :

— Crrré bon gu !

Pour donner quitus à son Créateur. Le remercier de cette nouvelle et époustouflante charité qu’Il vient de lui accorder une fois de plus.

Lentement, il se dégage, au grand éberluement de la vieille pédoche.

— Elle avait tout ça dans le c… ? s’extasie-t-elle.

— Comme vous pouvez le constater, chère madame. Si le cœur de la femme est un violon, son corps est un fourreau, l’un comme l’autre parviennent à s’accommoder des plus longs archets.

Ayant biché son foot de douloureuse mais superbe façon, la Solange, guillerette, délivrée, agrandie, nous propose un café. Je l’accepte, ayant des recommandations à lui faire à propos de sa fille.

— Vous croyez que ces sales types peuvent revenir lui faire du mal ? s’inquiète-t-elle en branchant son percolateur.

Du moment qu’elle m’ouvre une brèche, je fonce !

— Je suis venu afin de vous en parler. Il faut d’urgence placer Martine dans une clinique pour la soustraire à tout danger. De plus, ça lui fera grand bien, au plan physique et moral.

— Oui, je le pense aussi.

Ce qui te prouve qu’une mère fraîchement empétardée reste attentive aux tourments de sa fille.

Elle ajoute :

— Mais c’est mon époux qui ne veut pas ; il dit que ce ne sera pas pris entièrement par la sécu.

— Vot’ mari est un sale con, ma chérie, décrète formellement Alexandre-Benoît. Avec son radis rose en guise d’membre, c’est fatal. Les pas-chibrés, j’ai r’marqué l’combien qu’y sont mesquins. A croire qu’y z’en veuillent à la terre entière d’d’voir baiser av’c un’ noix d’ cajou ! Quand il voudra vous monter, y va s’apercevoir qu’l’appart’ment s’est agrandi, non ?

— Pff ! c’était déjà trop grand pour lui, fait la dame Vénérien.

On sent que, désormais, l’obscur mépris qu’elle témoignait à son époux s’est pour toujours changé en haine ; c’est pas un coup de canif que Béru vient de donner dans leur union, mais il a opéré un déblaiement de bulldozer.

— Quand ma fille sera mariée, je divorcerai ! décide brusquement la chère femme.

Comme quoi la vie est capricieuse. Cette femme, avant notre arrivée, s’accommodait de son triste sort, somme toute. Elle se contentait du minuscule cornichon de Vénérien. Et puis Béru l’engouffre avec son braque de déménageur de pianos et le voile de résignation se déchire ! L’insurrection éclate avec les restes de son hymen ! Ah ! vie, comme tu es imprévisible, longue et précaire, infâme et superbe !

La vieille pédicure a installé son attirail podologique, ouvert son banc pliant, placé une crasseuse serviette-éponge, originellement blanche, sur ses genoux cagneux.

— Ce sera quand c’est que vous voudrez, mame Vénérien, annonce-t-elle. Je voudrais pas vous bousculer en pleine émission de télé, mais j’ai encore deux clientes à faire dans le quartier.

La Solange pose ses pantoufles et s’assied face à celle qui la délivre de ses « ongles en carnet ». Ce faisant, elle exhale une plainte.

— Ça me brûle ! explique-t-elle.

— Faudrait que vous faisez quéques blablutions, conseille le Mastar. D’autant qu’si vous seriez opérationnelle, vous risquez la r’montée d’un d’mes al’vins dans vot’ aquarium à babies. Ça lu f’rait combien d’écart av’c la grande ?

— Ça ne me déplairait pas, avoue Solange, songeuse.

Moment enchanteur.

— C’est comment, votre petit nom, commissaire ? s’inquiète-t-elle. Si par hasard la chose se produisait, je l’appellerais comme vous, à condition que ce soit un garçon, évidemment.

— Ce serait un garçon ! déclare avec une grande péremptoirité Sa Majesté, on n’a jamais fait aut’chose, chez les Bérurier, aussi loin qu’on putasse remonter. Slave dit, mon blaze c’est Alexandre-Benoît.

Elle baisse ses paupières avec ferveur et répète, comme en prière :

— Alexandre-Benoît. C’est très beau !

— Ça fait de l’usage ! répond de façon énigmatique le Casanova au formidable appendice.

A cet instant, le téléphone craquette.

— Ça vous ennuierait de répondre ? me prie Solange dont le pinceau droit est déjà en cours de restructuration.

Le biniou est à portée de ma dextre. Je décroche.

— Vénérien ! annoncé-je.

— On voudrait parler à Martine, fait une voix morne.

— De la part de qui ?

— Appelez-la, on le lui dira.

— Martine vient d’entrer dans une maison de repos.

— Qu’elle y crève !

On raccroche.

Ça m’époustoufle toujours, moi, les ironies du hasard. Voilà que les gaziers tortureurs sonnent chez la pauvre gosse au moment où je m’y trouve et que c’est moi qui leur réponds ! Mais dis voir, ils ont de la suite dans les idées, ces misérables. Alors elle n’en a pas terminé avec eux, la pauvre môme ? Une rage glacée me dévale dans les extrémités.

— Qui était-ce ? s’inquiète la pédicurée.

— Je crains qu’il s’agisse des assassins d’Al Esbrouf. Il faut évacuer la petite de toute urgence, madame Vénérien. Je m’en occupe.

— Je ne sais pas ce qu’en pensera Siméon, répond-elle.

— Siméon ?

— Mon mari.

— Faites-vous pas d’souci, ma blanche hermine, glousse Bérurier. S’il en penserait du mal, ton minable, j’y craquerais la gueule avant de l’embastiller pour voie de fête su’ la personne d’un officier de police !

Il a toujours su régler les litiges délicats de façon plaisante, Alexandre-Benoît.

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