CHAT CLOWN 1

Il s’appelait Bokono Al Esbrouf et il était commis en librairie dans une fameuse maison du Quartier latin. C’était un assez beau gosse, d’origine maghrébine, fier de sa chevelure afro, de l’anneau qu’il portait à l’oreille gauche et du tatouage ornant son bras droit. Ce dernier n’était pas figuratif. En réalité, il s’agissait d’un court texte écrit en arabe moderne, dont la traduction était : « Je les encule tous ». Cette catégorique profession de foi passait inaperçue de ceux qu’elle concernait et amusait beaucoup ceux qu’elle ne visait pas.

Bokono, nonobstant cet avis qui pouvait le faire passer pour sodomite, ne faisait pas sienne la devise que des esprits racistes attribuaient à la plupart des Maghrébins : « La chèvre par plaisir, l’homme par hygiène, la femme par devoir. » Il n’aimait que les filles blondes (de préférence), et, garçon bien tourné, doté d’un regard chargé de toutes les promesses, il se montrait hautement performant dans l’art de convaincre les filles de se mettre à l’horizontale.

Ce soir-là, son travail terminé, après avoir remisé la 2 CV fourgonnette servant aux livraisons, il se lava les mains, fit bouffer sa tignasse électrique et troqua sa blouse grise contre un blouson Lacoste vert qui seyait à son teint bistre.

Il avait rendez-vous, dans un café de Saint-Michel avec une donzelle shampouineuse, conne et inculte, mais dont il aimait la fougue amoureuse qui lui rappelait les fantasias de son Algérie natale. Elle poussait, dans les périodes intenses de leurs étreintes, de tels cris qu’il redoutait chaque fois de voir débarquer la police.

Elle se prénommait Martine, comme beaucoup de shampouineuses, était petite, bien foutue, rieuse, avec des taches de rousseur sur ses pommettes et une sorte de minuscule palmier dressé sur le dessus de sa tête.

Depuis plus de huit jours, ils se retrouvaient, leur journée de boulot achevée, et grimpaient jusqu’à une soupente de la rue de la Huchette, prêtée par un beur ami de Bokono, lequel travaillait au Dupont Latin comme plongeur à l’heure de pointe des nouveaux amants. Le commis pensait, comme le Tigre, que le meilleur moment de l’amour c’est quand on grimpe l’escalier, et il escaladait voluptueusement les marches branlantes du vétuste immeuble, le nez dans le cul de sa conquête, supputant les péripéties de la tringlée qu’il allait lui mettre, une fois parvenus à destination.

Parfois, il risquait la main sous la jupe de Martine, quand il lui arrivait d’en mettre une, alors elle protestait gaiement parce que cette privauté la faisait trébucher.

Le lieu de leur étreinte manquait de confort. On l’avait aménagé dans le grenier en cloisonnant la partie la mieux éclairée de celui-ci. Le « studio » (le terme figurait sur le contrat de location) n’était meublé que d’un lit bas, d’un placard, d’une table et de deux chaises. Le locataire devait aller puiser l’eau à l’étage au-dessous et libérer sa vessie et ses intestins un demi-étage encore plus bas, des chiottes ayant été astucieusement aménagées dans le tournant de l’escalier. Certes, ce nid d’amour ne valait pas le Plaza, mais deux jeunes êtres aux sens exacerbés savent se contenter de moins. Un tapis élimé escaladait l’escalier sur trois étages. Il cessait ensuite et les marches de bois creusées par deux siècles d’usage devenaient bruyantes.

Après le cinquième, il fallait pousser la porte conduisant aux combles et gravir une espèce d’échelle de meunier pour atteindre le pigeonnier du couple. Les amoureux devaient parcourir quelques mètres en tâtonnant, car on n’y voyait goutte, avant d’atteindre la porte du logement. Martine s’effaçait alors pour se laisser guider par Al Esbrouf. Coquetterie féminine. Ces garces savent que le mâle est fier de protéger et ne perdent jamais une occasion de lui accorder cette sotte satisfaction.

Bokono ouvrit la porte. La nuit était déjà posée sur l’immeuble mais la réverbération des lumières du quartier éclairait la pièce par le vélux aménagé dans la toiture.

Comme la shampouineuse prisait la pénombre, elle pria Bokono de ne pas actionner l’électricité. Ils se déshabillèrent fébrilement, face à face, comme si c’eût été la première fois qu’ils se préparaient à l’étreinte. L’impatience les faisait trembler. Ils laissaient choir leurs fringues sur le méchant plancher et ce froissement d’étoffe ajoutait à leur excitation.

Lorsqu’ils furent entièrement nus, Bokono avait la queue raide comme un perchoir de perroquet. Ce que voyant, sa compagne se plaqua contre lui, une jambe relevée, pour faire bon usage de cet état de grâce. Ses contorsions expertes obtinrent le résultat escompté. Elle prit (de guingois, mais totalement) le solide membre de son amant dans sa chatte de shampouineuse. Il la porta jusqu’au lit et ils s’y abattirent sans déjanter, pleins d’une étrange fureur d’amour, hurlant des invectives, des suppliques, des ordres, des onomatopées plus éloquentes que du Lacordaire.

Le sommier harassé fit entendre son triste chant. C’était un vieux sommier de pauvre, certes, mais de bandeurs, qui avait guerroyé sous bien des culs. Il avait ses creux et ses protubérances, ses pentes accélérées et ses moutonnements douloureux aux dos de labeur, mais il continuait d’assurer vaille que vaille son office et ses habitués finissaient par être encouragés par ses grincements, comme des rameurs par les cris du barreur.

Comme Al Esbrouf commençait sa fantasia, sa compagne fit un prompt retour à la réalité pour murmurer :

— T’as entendu ?

— Quoi ? haleta le mâle, indifférent à ce qui n’était pas la baise.

— Du bruit dans le grenier.

— Tu parles, il est plein de rats !

Et, désinvolte, il enclencha le turbo. Bientôt, les plaintes de la fille, celles du sommier et les halètements de Bokono se confondirent pour dégénérer en un vacarme d’amour qui aurait eu sa place dans un film X.

Martine exécutait un admirable « V » avec ses jambes dressées, tandis que son copain semblait vouloir la clouer au lit à coups de reins prodigieux.

Ils n’entendirent pas s’ouvrir la porte de l’humble logement, non plus que les pas feutrés des trois hommes qui s’avancèrent jusqu’au plumard. Les intrus étaient fringués en loubards et portaient chacun une cagoule taillée dans de la feutrine noire, et tous tenaient un couteau à la lame longue et étroite.

— Y s’régale, le melon ! claironna soudain l’un des trois voyous.

Les amants cessèrent de fonctionner et regardèrent les arrivants. Martine se mit à hurler de terreur. L’un des trois types mit un genou sur le lit et appuya la pointe de son couteau sur la gorge de la shampouineuse.

— Ta gueule, pouffiasse, ou je te saigne !

Elle s’efforça au silence, mais ses nerfs l’emportaient et elle émit des gémissements de chiot. Elle claquait des dents comme sous l’effet d’une forte poussée de fièvre.

— Il a déculé ! annonça le plus petit des cagoulards ; mais pas débandé !

— Ben alors faut qu’il la chausse encore ! Allez, le tronc : puisque tu aimes ça, regrimpe cette pute ! Bokono ne réagit pas.

— Enfile-la, je te dis !

Al Esbrouf, mort de peur, balbutia :

— Mais qu’est-ce que vous me voulez ?

— On veut que t’emplâtres ton boudin, c’est pas dif ! Tu le faisais de bon cœur il y a un instant.

— Mais je peux pas, devant le monde.

— Tu peux, puisque t’as encore un superbe tricotin ! Allez, grimpe-la, je te dis ! Attends, je vais te guider !

Il passa la main entre les jambes du Maghrébin, saisit son sexe et le dirigea vers celui de la fille.

— Pousse, mec ! Rends-toi utile !

Il appuya sur les fesses du malheureux.

— C’est en place ? demanda-t-il à la cantonade.

L’un de ses compagnons actionna une lampe électrique et regarda sous le ventre d’Al Esbrouf.

— Paré pour la manœuvre, capitaine !

— Banco !

L’homme s’assit à califourchon sur le fessier de Bokono, le dos tourné à sa personne. Il fit un signe aux deux autres qui, sans hésiter, s’emparèrent chacun d’une jambe de l’Arabe et se mirent à tirer dessus comme s’ils entendaient l’écarteler.

— Il a un sacré paquet de couilles, ce con ! fit l’homme à califourchon en se saisissant à pleines mains des attributs de sa victime.

Ensuite, d’un geste assuré, il avança son couteau suraiguisé entre les jambes d’Al Esbrouf et en quelques mouvements péremptoires, trancha son sexe. Le malheureux poussa un hurlement animal et se mit à vomir sur le visage de Martine. Il eut de tels soubresauts que les deux loubards qui maintenaient ses jambes durent les lâcher.

Mais ils se jetèrent de nouveau sur Bokono pour l’immobiliser au-dessus de sa partenaire. Celui qui s’occupait de la partie chirurgicale de « l’opération » gronda. Il décrivit une volte pour adopter la position contraire. Cette fois, c’est la tignasse afro qu’il empoigna. Il tira la tête de sa victime à lui. Al Esbrouf vomissait toujours.

— Il est dégueulasse, ce raton de merde ! fit l’un des agresseurs.

« L’exécuteur » avança son couteau ruisselant de sang sous le menton de Bokono et lui trancha la gorge. Un flot de sang jaillit, qui s’écoula sur le visage et la poitrine de la fille. Morte d’épouvante, elle émettait des sons sans suite qui, parfois, ressemblaient à des rires contenus.

— Tu tais ta gueule ! lui enjoignit le meurtrier.

L’Arabe se vidait rapidement et perdit connaissance. Néanmoins son tortionnaire continua de maintenir sa tête en arrière jusqu’à ce qu’il fût tout à fait mort. Alors, il délaissa le cadavre et examina ses mains. La droite était gluante de sang jusqu’au poignet.

— J’espère qu’il y a de la flotte dans ce gourbi ? s’inquiéta-t-il.

Il trouva le broc à eau et s’aspergea longuement avant d’utiliser le vilain savon crémeux. Pendant qu’il se nettoyait, ses compagnons ligotaient Martine après le lit. Ils avaient apporté ce qu’il leur fallait. Ils la bâillonnèrent à l’aide de bandes de sparadrap, ensuite ils utilisèrent encore la toile adhésive pour maintenir « en place » le sexe sectionné de son amant. Ils agissaient en sifflotant, parfaitement détendus.

Le meurtrier revint au lit, curant ses ongles avec la pointe de son couteau. Il prit la chaise qui se trouvait à sa portée, s’assit et se pencha sur la jeune fille inondée du sang de Bokono.

— Tu sais pourquoi on va pas te bousiller, radasse ? Pour que tu puisses témoigner. Faudra bien tout leur raconter aux flics, surtout ! T’oublieras rien, t’es sûre ? Si tu en oublies, on te retrouvera plus tard, on t’enfoncera une cartouche de dynamite dans le con et on te fera exploser. D’accord ?

Comme elle ne bronchait pas, il lui piqua le sein de son couteau.

— Fais signe que t’es d’accord, vérolée !

Martine eut un acquiescement.

— Tu vas leur dire qu’un mouvement s’est constitué. On l’appelle France Propre. France Propre, c’est facile à mémoriser, non ?

Elle répéta son approbation.

— Parfait. Pour commencer notre croisade, on interdit à tous les bougnes, bicots et autres rastas de toucher à nos gonzesses, tu piges ? La grande hécatombe va commencer. Désormais, chaque melon qui lonche une Française aura le zob et la gorge tranchés, comme pour ton pote ! Bien sûr, on pourra pas tout épurer, mais on fera le plus gros, dis-leur bien ! Et quand ces salopards auront compris, ils seront moins empressés à baiser les sacs à merde de ton espèce. Ah ! précise aussi que la partenaire aura droit à sa cartouche de dynamite en guise de tampax. Je te le répète : toi tu as provisoirement la vie sauve, Ninette, uniquement parce que t’as ton compliment à réciter.

— On pourrait au moins lui couper le bout des seins avant de partir, objecta l’un des loubards ; elle en mourrait pas !

— C’est vrai, admit le chef du commando, mais il faudrait déplacer la carcasse du melon et le tableau est trop beau comme ça.

Il contempla « son œuvre » avec une certaine complaisance.

— Harmonieux ! ajouta-t-il. Les poulets vont prendre un pied géant.

Il rit sous sa cagoule étouffante qu’il avait hâte de poser.

— Allez, on se casse l’un après l’autre, compagnons. Je m’en irai le dernier. N’oubliez pas de quitter votre cagoule avant de descendre l’escadrin. Mettez vos lunettes et votre casquette. Pas de précipitation !

Il adressa un geste à l’un des deux autres. Ce dernier jeta un ultime regard au couple avant de sortir.

— Sans bavures ! approuva son camarade.

— Comme toujours, quand on prépare bien son affaire. L’improvisation n’est qu’une issue de secours en cas d’incendie.

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