CHAT CLOWN 17

— La fumière !

Telle est l’exclamation poussée par le tueur sans gages.

Il regarde les boîtes que vient de lui remettre le motard tatoué.

— Les balles de mon browninge, fait-il. Ou y a gourance, ce dont il m’étonnerait car cette pute a l’œil, ou bien c’est des représentailles biscotte j’sus pas rentré à la tome depuis plusieurs jours, et c’est pour cette aversion que j’ me pencherais. Berthe, c’est la gueuse finie, la vraie pourriture quand ell’ est en r’naud. Bon, v’savez pas, Monseigneur Dupanloup ? J’vais aller chercher mes boîtes moi-même en personne !

— Non ! fait catégoriquement le chef. Nous n’avons que trop perdu de temps. Vous accomplirez le travail avec une autre arme ; moi aussi je dispose d’un 9 millimètres.

Il rabat un petit panneau d’acajou de sa tire super-agencée et sort d’une cavité deux pétards sérieux, des calibres de pros, pas du tout conçus pour le pique-nique.

— Choisissez !

Sentant qu’il lui faut se soumettre, Bérurier s’empare d’un outil chromé à crosse de corne ; très bel objet qui pourrait servir de presse-papiers.

— Il est plein à ras bord, commente l’homme au loup de velours noir, et vous serez surpris par sa souplesse. Ce n’est pas du tout le genre d’arme dont la détente risque de vous fouler le poignet. Avec ça, tuer est un plaisir !

Bérurier opine.

— Maintenant, descendons ! décide le « président du F.P. ».

Ils mettent pied à terre. Sont présents, le motard-estafette, le chauffeur du « big boss » plus nos deux « amis ». Ils se trouvent près de la Seine dont le languissant ruban d’argent serpente dans la campagne. Des falaises crayeuses bordent le fleuve le plus français de ton livre de géo, après la Loire. On distingue des espèces de grottes sur le flanc desdites falaises. Un sentier étroit, gagné par la mauvaise herbe (pourquoi « mauvaise herbe » ? toute végétation est noble et belle), s’élève doucement en direction des grottes.

Le motard ouvre la marche, le chauffeur la ferme. Ils montent en ahanant car ce ne sont pas des sportifs.

— C’est là que vous placardez mes anciens collègues ? demande le Gros d’un ton rigolard.

— Ces anciennes champignonnières désaffectées m’appartiennent, fait le chef.

Qu’aussitôt, il regrette cette confidence et décide qu’avant longtemps il faudra se débarrasser de son précieux auxiliaire. A quoi sert de celer son visage si c’est pour révéler, de façon indirecte, son identité ? En se déclarant propriétaire d’un terrain, on livre son nom ! Mais la chose lui a échappé.

Le motard aussi devra être zingué. Pas le chauffeur, par contre, puisque c’est son gendre !

Ils parviennent à l’orée de la caverne. Alors Béru s’arrête avec la brusque détermination d’un cheval inquiet.

— Disez-moi, murmura-t-il, j’voudrerais bien qu’vous me passiez un masque à moi z’aussi ; ça me gêne de buter des potes qui sauront qui est-ce j’suis.

— Nous n’en avons pas, coupe le « président », mais baste, un moment de gêne est vite passé.

Bon, alors ils entrent. Trois gaillards coiffés à la Hun s’interposent, avec chacun un pistolet-mitrailleur.

Reconnaissant les survenants, ils les saluent avec onction, componction et coordination.

Dedans, cela se présente pas comme tu pouvais le supposer. La grotte se subdivise en une enfilade de salles rudimentaires où règne une fraîcheur humide. Malgré qu’on y ait stoppé la culture de ce végétal sans fleurs ni chlorophylle, le lieu sent toujours le champignon.

— Où sont vos pensionnaires ? questionne le champignonniste.

Les deux gardes indiquent la salle suivante. Là, l’obscurité règne en maître.

— Eclairez, bon Dieu ! rage le chef.

Un de ses sbires se précipite et se met à tâter le sol jusqu’à ce qu’il trouve un câble noir qui sort d’un petit groupe électrogène. Il rejoint un commutateur rudimentaire qu’il actionne. Une lumière d’une grande violence retentit (tellement elle est éblouissante !). Elle illumine un groupe dont chaque membre est garrotté. Sont rassemblés, dans un triste pêle-mêle : Pinaud, Mathias, Jérémie et Violette.

Tous ont la gueule saccagée, crépie de sang séché, et fleurie d’ecchymoses plus ou moins laides. Jérémie qui est le plus mal en point, a les deux yeux fermés et formidablement enflés, les arcanes souricières (Béru dixit) éclatées, les lèvres en compote.

Bérurier laisse aller son regard sur cette navrance.

— Ben merde, vous leur avez pas fait de cadeau à mes collègues ! Pourquoi t’est-ce vous les avez pas finis à la main, du temps que vous y étiez ?

— Parce que je tenais à ce qu’ils périssent de la vôtre, mon ami, répond Loup-Noir.

— C’t’indiscret d’vous d’mander la raison ?

Le « président du F.P. » saisit Béru par un bras et l’entraîne derrière le gros projecteur qui arrose la salle si copieusement.

Bérurier découvre alors une caméra 16 mm montée sur un trépied.

— Nous allons vous filmer en train de liquider vos anciens copains. Un document pour nos archives.

— C’est pas très corrèque ! bougonne le Gros.

— Par contre c’est plus prudent. Avec ce film dans mon coffre, je serai tout à fait tranquille à votre sujet, Bérurier ; je saurai que vous demeurerez à tout jamais le fer de lance de notre croisade !

Le Mastar en est soufflé.

— Alors, vous !

Mais le sourire angélique qu’il lit sous le masque le fait renoncer à tout réquisitoire. Il réalise que messieurs les extrêmes-extrémistes ne sont pas des gens de tout repos.

Alors il branle du chef.

— Quand vous voudrez ! fait celui-ci en montrant les quatre victimes expiatoires.

* * *

Dans certains cas, il faut savoir décider vite.

La position que nous occupons est très inconfortable. Nous voici hagards devant une Ford Siesta déchiquetée, ayant encore dans son habitacle un steak tartare qui fut proviseur, adepte du vol à voile, partouzard passif et châteaulologue averti. La bonne s’est évanouie après avoir découvert son oreille à ses pieds et, dans l’auto, son patron qui n’attend plus que des câpres et du ketchup pour boucler sa trajectoire terrestre. Rosette, mieux armée pour le danger, se contente de rester verte et silencieuse en laissant pendre son bras esquinté.

Le moment est venu de lui sortir ma bonne vieille boutade des veillées près de l’âtre :

— Tu vois, chérie, avec moi c’est comme aux Galeries Lafayette : il se passe toujours quelque chose !

Je te disais, tout de suite après les trois astérisques qui précèdent, que dans certains cas il convient de décider rapidos.

Je me retrouve tout à coup absolument lucide et calme. L’esprit clair comme de l’auroch (Béru).

Je fouille mon veston, sors une petite boîte en plastique contenant une seringue de pas quatre centimètres de long dont j’injecte le contenu dans la fesse de la maîtresse servante.

— Qu’est-ce que c’est ? fait Rosette.

— Un produit dû à ton patron, ma douceur. Deux jours d’un bon sommeil assuré. A notre époque chiatique ça n’a pas de prix. Maintenant, tu vas te montrer à la hauteur de mon amour. File à pied jusqu’à la route principale et fais du stop. Dis qu’il vous est arrivé un grave accident à ton ami Rebuffade, à sa bonne et à toi. Vous rentriez d’une promenade dans la campagne lorsque la voiture a explosé. Pas un mot sur moi ! Pas un mot sur la ferme et, a fortiori sur l’intervention du vilain Noir. Votre auto a fait explosion, tu ne peux rien dire d’autre. Le conducteur a été tué et sa passagère grièvement blessée. Répète ta chanson aux gendarmes, peut-être auront-ils des doutes, mais ne démords pas de ta version, quitte à laisser croire que vous partouziez en forêt avec le vieux. Dans les heures qui viennent, je te tirerai de cette situation embarrassante. Le mieux est que tu restes à l’hôpital pour ton épaule, en exagérant tes souffrances.

Tu sais ce que me répond cet ange de douceur et d’énergie ?

— Je n’aurai pas à exagérer !

Et c’est vrai que la douleur la fait grimacer !

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