Ce cirque !
Il a fallu encercler le quartier, tu juges comme c’est commode le matin, au moment où les chiares partent en classe, où les livreurs livrent, où les ménagères ménagent, où les bistrots blanc-cassissent et où les artisans remettent pour la centième fois leur ouvrage sur le métier ?
Ensuite, les pompiers sont arrivés, pour épauler l’équipe des artificiers. Un boulot pareil, on n’avait encore jamais vu ! Puis ça été l’hélico ! Décidément, y en a chouchouille dans mon histoire. D’après les révélations de Courtial, il n’existait pas de moyen moins risqué pour pénétrer dans le logis de l’électricien.
Les deux beaux-frères (je devrais écrire les deux faux frères) avaient exécuté un piège de grand style pour piéger l’apparte. Une puissance de charge formide concentrée sur la porte, depuis l’intérieur. Après l’avoir posée, ils s’étaient cassés par la fenêtre à l’aide d’une corde à nœuds et avaient poussé le raffinement jusqu’à piéger également la croisée en attachant un fil électrique à la poignée. Les pompiers se sont donc pointés par le toit. Ils ont ôté deux mètres carrés de tuiles, scié une trappe dans le plancher (qui constitue le plafond de la pièce du dessous, tu l’auras deviné). Heureusement que c’est une maisonnette à un étage, sinon tu imagines les travaux !
Ces préliminaires exécutés, les artificiers se sont laissés couler dans la chambre. Le Vieux était attaché sur le fauteuil Voltaire, ligoté si serré qu’il avait perdu connaissance. Par prudence, ils ne l’ont pas délivré avant d’avoir désamorcé ce bordel à cul. Tu imagines ce qui se serait passé si je n’avais pas eu ce coup de flair inouï, marque des grands policiers d’exception ? (Pas d’inquiétude pour mes chevilles : je porte des baskets ce matin).
Je débondais cette porte et l’immeuble volait en poussière. On ne retrouvait même plus mes testicules pour, au moins, pouvoir les exposer dans un bocal de formol à la fac de médecine !
Mais bon, je suis ce que je suis, et pas mécontent de l’être, comme le dit mon exquise consœur la baronne de Rothschild dont, au passage, j’effleure les jolis doigts de mes lèvres si fréquemment impures.
Grâce à la perspicacité du commissaire Santonio, plus exactement grâce à son instinct, l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire humaine (à savoir mon trépas) aura été évitée.
Des illuminés, tu parles si j’en ai rencontré, Xavier ! Des tordus en tout genre. Des passifs, des belliqueux (des belles queues), des mystiques, des ultra-violents, des qui voulaient sauter toutes les femmes et d’autres qui voulaient seulement faire sauter la planète. Des gars qui se prenaient pour Jésus, pour Napo, voire Apollon !
Mais des mecs aussi dangereux, aussi déterminés, aussi illuminés au néon que Mizinsky, alors là, jamais !
Il avait décidé de chambouler notre société, le gueux. Abattre les institutions. Anéantir le pouvoir en place. Sa vie de pourri, il l’a consacrée à cette entreprise.
En apprenant la mort de son chef de file, il est devenu dingue et a voulu réaliser un coup ex-tra-or-di-naire.
Il s’est présenté chez le Vieux, qui venait de regagner son domicile, après l’équipée que tu sais, l’a kidnappé, drogué, et l’a obligé d’écrire une confession dans laquelle il reconnaissait avoir fomenté, organisé et dirigé cette tuerie des émigrés. Lettre circonstanciée dans laquelle il annonçait son intention de mourir en se dynamitant !
Mizinsky a fait tenir cette bafouille « explosive » au ministre de l’Intérieur, lequel a bondi à l’Élysée. Décision urgentissime : la révocation ! Et on nommait messire moi-même, enfant unique et préféré de Félicie, à l’auguste place !
Chié, non ?
T’es content ? C’est passionnant, hein ?
Le Dabe, il lui a fallu deux jours de soins intensifs pour l’arracher de cette béchamel. Mais ensuite il restait prostré, balbutiant avec ferveur le prénom de July. Y a que ma pomme qui ait réussi à le faire parler. J’avais tellement soif de savoir la vérité, côté Chevalier Noir, que je suis parvenu à toucher son entendement, à Chilou, au plus profond de la semoule.
Ça a été coton. Il ne lâchait que des miettes parcimonieuses. Mais à force de patience, d’obstination, de douceur, je suis parvenu à constituer une hypothèse qui vaut ce qu’elle vaut, mais que je crois proche de la vérité.
Il y a quelques mois, il a rencontré July Larsen lors d’un voyage aux U.S.A. et il est devenu dingue de cette femme. Amour du soir, espoir ! Elle a été son soleil de minuit. Elle dirigeait un réseau de renseignements d’obédience arabe (je n’ai pu savoir pour quel pays elle travaillait) qui regroupait des durs issus d’autres services, des chômeurs de l’espionnage en somme, des mercenaires de tous bords : Anglais, Russes, Français. Leur siège était L’Hostellerie du Chevalier Noir.
La C.I.A. qui trouvait July trop encombrante avait décidé sa mort et elle le savait. Elle a vu en Chilou un élément de salut inespéré.
Alors, de concert, ils ont concocté cette affaire de substitution d’héroïne. July venait à moi, officiellement, pimpante, avide de plaisirs. Je l’emmenais chez le meilleur restaurateur de France puis, une fois rentrés à Paris, dans l’un des plus prestigieux hôtels de la capitale. Amours, délices et… grandes orgues ! En cours de route, une fausse July, en tout point conforme à la précédente et dûment chapitrée, la malheureuse (on lui avait fait croire qu’elle participait à une manœuvre de diversion — ce qui était vrai, en somme), prenait sa place. Encourait ses dangers, subissait son destin.
Pépère, qui chiquait au grand malade bouffé par les virus, démissionnait et refaisait sa vie (passe encore de semer, mais planter à cet âge !) avec July Larsen. Son rêve de vieux gosse. Son joujou de retour en enfance.
O Chilou, vieux fou, vaincu parce qu’il aura le plus vénéré au cours de son existence : la femme !