Moi, je vais te dire, p’tit gars. Ne l’oublie jamais : la meilleure des coupes, pour boire le champagne, c’est la chagatte d’une polka ! Seulement, quand un vin d’honneur est organisé pour fêter ta nomination en qualité de chef de la police, tu es bien obligé d’écluser ton roteux dans du baccarat.
Tout le monde sur le pont !
Le ministre, le sous-ministre, l’aide-sous-ministre, le préfet. Et paraît que le président, qui m’a à la chouette (ce serait lui qui aurait exigé ma nomination), passera me serrer la main un peu plus tard.
Outre les huiles, y a mes inséparables : Pinaud et sa dame dans un décolleté rose praline ; Mathias et sa bourrique pondeuse, crevante de jalousie ; Jérémie et Ramadé ; Béru, sa Grosse en tailleur de soie parsemée de pâquerettes, ainsi qu’Alfred (Béru l’a amené sans m’en parler) et une petite dame boulotte que je ne reconnais pas tout de suite, mais c’est la maman de Martine, la première victime, pour qui le Mammouth a un énorme coup de cœur (et plus énorme encore coup de queue).
Il y a aussi Rosette, le bras en écharpe, rosissante et exquise, en compagnie de Violette vêtue de violet. Elles se tiennent toutes deux à l’écart. Elles me regardent avec infiniment d’amour et parlent de moi, unies par une même passion qui, tant elle est forte, ne les rend pas jalouses l’une de l’autre.
Bien sûr, y a maman, sur son trente et un, avec Toinet qui grandit, le salaud, à en devenir aussi long que moi ! Et il y a encore Maria, avec l’inspecteur Latouche, lequel vit sa passion comme s’il était dans une châsse.
Je grignote un amuse-gueule quand l’inspecteur Mordefin s’approche de moi et me glisse un papier. Je lis :
« L’ex-commissaire Mizinsky a été interpellé au moment où il tentait de franchir la frontière helvétique. Il avait une grenade sur lui qu’il a fait exploser. Il est mort et l’un des policiers qui procédaient à son arrestation a eu la main droite arrachée. »
Une musiquette pour jour de pluie me taquine l’âme.
« Si ç’avait été moi qui le saute, je me serais gaffé du coup ! songé-je. Au lieu de faire le con dans ce bureau ! »
C’est con de devenir un chef !