Dix plombes viennent de gaufrer au carillon Westminster de Mme Musardier, retraitée de l’enseignement public (on enseigne jusqu’à ce qu’on en saigne), laquelle habite sur le même palier que Mlle Francine Chocote, employée de banque, lorsque j’ajoute un onzième coup, soit dix pour cent, en sonnant à la porte d’icelle.
Francine Chocote est la donzelle pileuse et imprudente, aux dessous troublants, qui a eu la langue trop longue avec un farceur fort en bite.
Elle est en kimono de soie noire avec des fleurs de lotus rouges et jaunes, les pieds nus, le cheveu dénoué à la Pasionaria, l’œil en feu ; elle esquisse un mouvement de recul en me découvrant, cithare, sur son paillasson en poils de Noah de coco.
— Encore ! balbutie-t-elle ; exclamation qui implique un sentiment de reproche, et en tout état de cause, de déplorance.
— Je vous prie de m’excuser, fais-je à ton de velours, ce n’est pas pour ce que vous craignez. Puis-je entrer ?
Elle s’efface au moyen d’une grosse gomme et je pénètre dans son logis dont la coquette banalité flanquerait le vertige à Roger Peyrefitte pour qui le superflu a toujours été une nécessité, le chéri, et c’est cela, l’art de vivre.
— Etes-vous seule ? m’enquiers-je.
— Pour le moment, oui, répond-elle en pagayant de la menteuse, tant tellement est grand son trouble. Mon ami est en déplacement au Sénégal.
— Comme il a raison, soupiré-je.
Bon, elle relourde, s’adosse à son huis et attend de mes dernières nouvelles.
— Ma visite est bien tardive, je sais. J’ai hésité longtemps avant de monter, mademoiselle Chocote, mais je n’ai pu résister davantage.
Là, une lueur qui ressemblerait à de l’intelligence si cette personne n’était pas conne à bouffer des coquilles d’œufs, s’accroche à son iris. Elle perçoit mon trouble : à ma voix, à ma mine apeurée et, du coup, la voilà qui reprend du poil de l’abbé.
— Pourquoi, vous hésitiez ?
— Parce que, en venant ici, je… je manque à mon devoir. Vous êtes impliquée dans une affaire criminelle sur laquelle j’enquête et si l’on savait que je vous rends visite clandestinement…
Je crois noter, dès lors, que sa poitrine se soulève de quelques degrés.
— Mais, fait la pauvrette, y a pas de mal…
— Il y en aurait si j’accomplissais ici tout ce que me dictent mes élans du cœur et du corps, Francine.
Alors là, mon pote, là c’est parti et bien parti ! Pour stopper la fusée Ariane, faudrait lui filer de sacrées peaux de banane dans les réacteurs !
— Du cœur ! reprend-elle, le mot ayant eu sur elle l’effet magique qu’il implique chez toutes celles qui lisent les livres de la collection Bouffon (et elle en a un plein tonneau sur sa fausse cheminée de faux marbre).
— Je préfère vous le dire ; lorsque je vous ai vue, tantôt, en proie à une crise de nerfs, la jupe retroussée et qu’il m’a été donné de constater que vous portiez des vrais bas de vraie femme, avec un vrai porte-jarretelles d’amoureuse, alors j’ai craqué, Francine. Un feu ardent s’est mis à couler dans mes veines ; les battements de mon cœur se sont accélérés et une incoercible envie de vous prendre dans mes bras s’est emparée de moi. J’ai rêvé de vous serrer, palpitante, sur ma poitrine telle une colombe effarouchée, envie de respirer votre délicat parfum de femme, envie de frotter ma joue à vos cheveux vaporeux, chère âme. Depuis cet instant, je suis en transe. Tenez, touchez ma main, voyez comme elle est brûlante. Et ce n’est rien comparé à un endroit plus secret de mon être qui lance un défi à Von Karajan. Ah ! votre logement élégant est un sanctuaire où je voudrais finir mes jours en vous couvrant de baisers, comme le fait le vicomte de Ramollo-Chibrac à Henriette-Clotilde dans Fleur de Destin que j’aperçois sur ce canapé. Enfouir mon visage incendié par l’amour entre vos sublimes cuisses pour le rafraîchir à la source des incommensurables délices, c’est le souhait le plus fou qu’un humain puisse faire. O Francine ! Ne laissez pas un homme se morfondre ainsi. Ce serait par trop cruel ! Je vous tends ma coupe, malheureux assoiffé d’amour, de grâce, emplissez-la du divin nectar de la passion.
Enlevez, c’est pesé !
Mais attends que je te fasse marrer.
C’est vrai qu’elle est plutôt locdue, la môme.
Et pourtant, c’est vrai qu’elle me fait goder comme un sauvage. Y a des relents de vérité dans mon déballage. Par exemple, l’en ce qui concerne ses bas et son porte-jarretelles. Mon vice ! Tu le sais depuis lurette. Je ne peux pas résister.
Mam’selle, faut moins que ça pour faire exploser son compteur bleu.
— Oh ! mais c’est pas Dieu possible ! dit-elle en écartant simultanément ses lèvres et les pans du kimono. Je rêve ! Un homme aussi beau que vous, la nuit, avec toute cette passion !
Des deux mains judicieusement appliquées sur mes loques, je souligne un triomphal épanouissement de mon entresol.
Le carillon de Mme Musardier glingue le quart de dix heures.
Francine Chocote se prend pour Marilyn, mâtinée Rita avant qu’elle se poivre à bloc…
Et là, là, tu m’entends, je vérifie qu’une grognace, même conne à t’en lézarder la vésicule biliaire, conserve des notions fondamentales de psychologie. Tu sais quoi ?
— Assoyez-vous, me dit-elle, je vais aller remettre mes bas !
C’est beau, non ? C’est généreux !
Ça et du Boursin aillé-fines-herbes, que voudrais-tu de mieux ?
Ensuite elle me prépare un café serré.
Le prépare en bas et porte-jarretelles, son postérieur à l’air, de même que ses seins point trop tombants malgré la tornade blanche qui vient de les déferler[2].
Elle parle pour soi seule, Francinette.
Elle dit :
— Ben vrai, si je m’attendais… Si j’aurais pu croire…
Une jolie complainte, vois-tu. Toutes les génisses ruminent. Elle se raconte comme c’était bon, qu’au grand jamais on lui a grignoté la tartine pareillement. Ni pistonné la babasse avec une telle application. Elle en a des frissons, des vertiges. Quand elle marche, c’est comme si elle avait encore ses jambes autour de mon cou. Elle n’est pas encore refermée, Francine. Son corps continue de bâiller. Sa corneille à moustache aussi. Elle voudrait rester contre moi jusqu’à l’extinction des siècles. Elle m’oubliera plus. Ceux qui vont venir, faudra drôlement qu’ils soyent équipés et inventifs pour qu’elle les tolère.
Bon, elle apporte deux caouas odorants, noirs comme sa chatte. Se blottit contre moi.
Dans un cadre en coquillage, une Andalouse peinte-pour-de-vrai, avec un grand peigne dans les crins et l’œil de Carmen en pleine crise de jalousie, contemple ce couple nu avec convoitise. Sur la desserte, un chat de porcelaine fait le gros dos.
La vie est belle. Après l’amour, l’animal san-antonien est gai, toujours. Il prodigue son foutre avec bonheur, étant d’un tempérament généreux. Il sait qu’il va s’en faire d’autre, alors tiens, ma poule : fume !
— T’es beau, tu sais, croule ma petite bécasse (car la bécasse croule, je n’y peux rien, sinon te la faire carrément roucouler, qu’est-ce qu’on en a à branler ?).
Je lui bisouille un sein, en remerciement.
Elle repâme séance tenante.
Maintenant, ça suffit les monstres tringlées. On va changer de discipline, se risquer dans d’autres exploits.
— J’espère que ça se passera bien pour toi, jeté-je négligemment, en ponctuant d’un soupir long comme l’arrêt d’un Boeing 747.
Elle s’arrache à mon attraction terrestre.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? demande-t-elle.
— Je veux dire que ça m’ennuierait que tu sois inculpée de complicité dans l’affaire des coffres.
Alors là, elle a un brusque affaissement de la voûte plantaire.
— Mais ce n’est pas possible : je n’ai rien fait !
— Tu as décrit le fonctionnement du système d’alarme…
— Mais, pas vraiment…
Bon, pas besoin d’un tire-bouchon à pédales ou de forceps à ressort pour l’accoucher, Francinette. Dans son éplorance elle raconte tout bien, la façon dont elle a fait connaissance avec ce type qui se faisait appeler Rosa-Larose. Un grand brun aux tifs luisants et au regard de loup affamé, sapé mylord, avec ribouis en autruche frileuse. Il est venu louer un coffiot, un jour. Il tenait un attaché-case de P.-D.G. à la main. Ses fafs étaient au blaze de Lucien Rosa-Larose. Un garçon d’une trente-cinquaine damnée, qui ne riait pas. Il est revenu à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi. Un après-midi que Francine l’escortait avec la seconde clé (celle de la banque) jusqu’à sa case trésor, il s’est mis à la fixer comme l’aurait fait un hypnotiseur. Puis il a saisi son menton dans sa main et lui a roulé une galoche sauvage. Un vrai caméléon, Lulu. Te lui mignardait la luette (gentille luette du bout de la langue) : un exploit dans le genre. Qu’elle a retapissé directo les possibilités découlant d’un tel mouille-timbres, la gosse, portée comme elle est sur le chibraque. Il lui a posé le ranque. Banco ! Ça été la jaffe bien superbe à la Maisonnette Russe, rue d’Armaillé, là que fréquente mon illustre chosefrère Guy des Cars. Caviar, blinis, champagne, côtelettes pojarsky, timbale Catherine la Grande. Les Mille et Une Nuits pour la mignonne. Musicos moulinant Les yeux noirs, Le temps du muguet à leur table ; qu’elle en mouillait plein sa culotte, Francine. Une féerie dans ce divin endroit où chaque client est traité comme un tzar (avant la révolution d’Octobre). Ensuite il l’a ramenée chez elle, et l’a vergée galamment. Pas le coup de queue apocalyptique, elle me rassure par politesse ; tout à fait rien de commun avec nos exploits d’il y a peu. Mais la bonne troussée sans ambages, délicatement menée. C’est tandis que mam’zelle s’essorait le fion qu’il a placé sa vraie botte : sa botte secrète. L’air de ne pas y toucher. Francine accomplissait un petit trot angliche sur son bidet, lui se fourbissait Nestor au lavabo. C’était l’heure où les lions vont boire, où les gens mariés pètent au lit en se tournant le dos et où les amants s’apprêtent à se prendre congé.
Il s’est mis à la chambrer sur son boulot. Il a dit comme quoi les coffres de la banque lui paraissaient mal protégés car il n’avait décelé aucun système d’alarme.
Alors la môme, tout en continuant de blutionner mister Frifri et ses belles moustaches, s’est fichue de lui. Qu’est-ce y l’imaginait, Lucien ? Super-sophistiqué, au contraire, le dispositif. Incorporé dans des rainures larges d’à peine un millimètre. Tu passes devant, et vraoum ! ça zinzibule tous azimuts. Tu peux pas parcourir plus de trois mètres sans rameuter les troupes poulardières, et ce dans n’importe quel sens. Voilà ce qu’elle lui a lâché. Imprudente ? Sans doute. Mais elle avait pas prêté serment sur la Bible de ne rien moufter à ce sujet, merde ! On flanque pas les honnêtes filles au trou à cause d’une réplique destinée à exalter le prestige de la banque. Si ? Qu’on la tracasse et elle se plaindra à la C.G.T., promis. D’abord elle va s’inscrire au chômedu, bien fait ! Et qu’est-ce y casquera ? Le contribuable une fois de plus !
Je bouffe ses protestations à pleines dents. Un mignon concerto pour la main droite, interprète en soliste sur sa chaglatte, et le beau fixe lui revient. Chez les natures sensuelles, c’est kif avec les Légo ; tu défais et tu remontes, c’est interchangeable.
Je lui demande si elle a revu son tombeur depuis leur tournée des archiducs.
Oui : une fois. Il est revenu à la banque le surlendemain pour visiter son coffre, et il y est resté très longtemps. Quand il a sonné Francine pour la fermeture conjointe du C.-F., elle lui a taillé une petite pipe expresse entre les coffres. Lucien a annoncé qu’il partait une huitaine aux Zuhessa pour affaires. Il a promis une monstre partie de régalade à son retour. Il allait te lui barguigner le flamant rose jusqu’à ce qu’elle en oublie sa date de naissance, juré !
J’écluse le café.
La gosse redevient pressante des miches. Elle réclame un petit rabe de paf, juste pour dire ; la triquée du départ, par politesse.
Mais bibi obnubile un peu sur le labeur, maintenant que son sensoriel fait de la chaise longue.
— Un instant, ma Suprême, soupiré-je. Je veux que tu te concentres à outrance. Fouille à bloc ta jeune mémoire, revis par la pensée chacune des secondes que tu as consacrées à ce brave garçon et trouve-moi, à travers tes souvenirs, des détails qui permettraient de mieux le situer. Pense à ce qu’il t’a dit, t’a fait, t’a montré, ou à ce que, fine mouche, tu as surpris de lui. Oublie boniments et coups de bite pour passer en revue le personnage. Tu n’as pas partagé des heures d’intimité avec lui sans qu’il ait laissé échapper des mots, des gestes, voire sans te découvrir des papiers ou autres objets particuliers. Il faut que nous le retrouvions, lui et sa bande, dans les heures qui viennent. Ton intérêt l’exige.
Faut lui reconnaître une chose, Francine : la bonne volonté. Et paix sur la Terre aux gens de son espèce ! La voilà qui s’écarte de moi, se love sur ses coussins délicats dont l’un représente un pierrot à larme, et l’autre un coucher de soleil sur un lagon. A petits gestes, elle se caresse la motte et les roberts, sa main gauche ignorant ce que perpètre la droite. Elle réfléchit en grande conscience, yeux fermés. Le carillon Westminster de Mme Musardier y va d’une demie bien tassée. La demie de quelle heure ?
— Je ne sais pas si ça peut t’intéresser, dit vivement Francine, mais je crois que je tiens quelque chose.
— Je suis un esprit curieux, ma gosse. Tout m’intéresse. Aboule et tu auras droit à ta rincelette.
Elle ne se le fait pas répéter, comme tous les bons entendeurs.
Salut !