CHAPITRE XXVIII VERDUN, VERDEUX, ETC

L’action, c’est comme ça : tu ne penses plus à rien. Ton instinct t’assume. Lui se rappelle le plan prévu et t’as plus qu’à lui obéir.

Je fonce dans le magasin surencombré, à la tête de mes lanciers. Derrière moi, y a Béru, puis les trois Ricains, puis Lurette et messire Pinaud, dit le Branleur Branlant.

Je désigne le fond de la boutique an Gros, là où derrière l’accumoncellement de commodes, armoires, pianos et autres fichaises de la vie, un gazier ouvre un coffiot.

— A toi ! lui crié-je.

Mézigue, je fonce sur ma droite, par le sentier sinueux menant à un local éclairé. Je déboule à l’orée d’un bureau moderne. La vitre de la porte est pulvérisée. A travers, j’avise un type acagnardé à un siège.

— Les pattes en l’air ! aboyé-je.

D’un coup de peton, j’ouvre la lourde en grand. Deux cadavres gisent sur le plancher, mitraillés d’importance. Un coup de feu claque, puis un second. C’est le type derrière le bureau qui vient de défourailler. Pas sur moi : en direction de ses pieds. Qu’est-ce y lui prend ?

— Lâchez ça ! intimé-je.

J’en dis pas une de plus car les Ricains qui me suivent l’arrosent avec un ensemble parfait.

Un numéro de music-hall, tu croirais. Ça fait tching, tchok, poum ! Puis, parce qu’ils doublent la mise : poum, tchok, tching.

Le gars d’en face, un rouquin, se replie comme un vieux Kodak à soufflet. Sa bouille s’incline sur sa poitrine, trouée à deux endroits (la bouille). Comme il était bloqué contre le fauteuil et le bureau, il ne bascule pas ; juste qu’il est tassé et un peu mort pour longtemps.

On entre, moi le first : à tout seigneur…

Le tableau de chasse est fourni : trois défunts et un agonisant, car, derrière le bureau, au pied du gus flingué par mes amères loques, gît un quatrième personnage, lequel n’est autre que le gros chauve du Club Apollon. Il est devenu couleur reine-claude, cézigue, du fait des deux balles qui lui ont été télégraphiées dans le bas-bide. Ça bouillonne vilain à l’emplacement de la braguette. Comme dans l’air des dindons de cette opérette à la con qui ferait gerber une truie mélomane : Glou ou, glou ou, glou ou, glou… De toute beauté ! Fleur de coing ! Moi, quand j’étais chiare et que mes chers vieux me branchaient le disque, j’en avais le vertigo. « J’t’aime mieux qu’mes moutons on on… » Tu te la prends, tu te la secoues, tu te l’astiques ! O la bella passionata ! Tsoin tsoin ! Ce qu’il y a eu comme conneries d’écrites en dehors des miennes ! Des débileries insoutenables. Glou ou, glou ou, glou… T’as pas honte, toi ? Moi, j’sais plus où me mettre ; surtout quand y a du monde, des étrangers. Vous allez entendre notre folklore, les gars ! Ça, c’est pas de la bibine : « Glou ou, glou ou, glou… » De quoi se pisser parmi ! L’esprit français, es-tu là ? Si t’es là, tire un coup ! Si t’es pas là, tire z’en deux ! Merde, ce qu’on aura essuyé… « J’t’aime mieux ». Je t’aime mieux que mon cul, oui, mais tout juste ! Tiens, je préfère le slow, bien serré comme les caouas italoches. Tu sais, quand on y va, plaqués comme un autocollant sur la feuille adhésive ? Le côté : rien pour toi, rien pour moi, tout pour le teinturier, tchlaoff !

Bon, je te racontais quoi t’est-ce ? Ah ! certes : le gros chauve qui a morflé dans les burnes deux pralines de fort calibre !

S’il n’en reste qu’un, c’est le gusman du coffiot. Il en est où, le Béru, à propos ?

Je m’inquiète de lui, on n’entend rien.

— Ohé, le Gros ! l’hélé-je.

Nobody me répond.

Alors je retourne dans l’entrepôt, suivi de Pinuche. On ne voit rien que ce massif de meubles hétéroclites. On n’entend rien d’autre que la respiration de Sa Majesté, parce que son souffle, à Gradu, ça fait comme la pompe à merde en action. D’emblée, j’entrave que le futé s’est placardé dans les décombres d’existences amoncelés là. Sur le qui-vive.

Je droppe jusqu’à la porte, lui couper la retraite. De là, j’écrie :

— Rends-toi, tout est bloqué !

Alors, une voix déclare, avec un accent étranger pas imité :

— J’ai la valise, ne bronchez pas ! Si vous ne vous conformez pas à mes instructions, je fracasse l’un des flacons, pigez ?

Les Ricains demandent de quoi ça cause. Lurette qui parle l’anglais leur traduit. Les mecs poussent des bramantes sauvages, comme quoi, aohooo, no ! surtout pas ça !

Un qui se poile intérieurement, c’est le fils aîné et unique de Félicie, ma brave femme de mère. Les bocaux, il peut en faire du verre pilé, Dudule ! Ce ne sont pas les vrais. Tout de même, je décide de jouer le jeu, à cause des Ricains. Tout ça se goupille pas mal. Il faut qu’ils récupèrent leur enfoirée de valise, ensuite, s’il n’y a plus les bons flacons dedans, ils estimeront que ce sont nos voleurs qui les auront changés et on sera bonnards pour garder le gaz mortel, nous autres, Français, tatatata ta ta ta tèèèère, tati tata ta ta nana ! Marseillaise ! Tricolore ! Flamme sacrée ! Poil au nez !

Je quitte la porte pour rabattre en direction du bureau, mais avant d’y parvenir, je m’enquille sous une magnifique table Henri II et j’attends.

— Montrez-vous, tous ! glapit l’homme caché.

Je lance un geste véhément à ceux qui peuvent me voir, c’est-à-dire : Lurette, Pinuche, les trois Ricains.

Ils obtempèrent et se pointent, bras en « V ».

J’espère que le coquin vilain n’a pas eu le temps de nous dénombrer, tant si tellement fut prompte notre invasion.

— Et le gros type ! il hurle. Il manque le gros type ! Qu’il se montre, ce sac à merde, et vite !

Sa Majesté outragée marque un long temps d’hésitance, puis refait surface. Lui, les pattounes en l’air, c’est pas si tellement son genre. Aussi m’étonné-je de l’apercevoir, depuis ma cache, docile comme un mouton castré.

— Bon, d’accord, lance le vilain.

Il se lève enfin. Il est à deux pas de la porte. C’est un mec très brun, la peau couleur brou de noix, un regard si intense et noir que tu croirais deux jets de goudron en fusion. Il tient effectivement la valise de la main gauche, de la droite, il braque un pistolet mitrailleur dans notre direction.

Bon, alors faut que je me concentre pour te bonnir la suite, car ça va très très vite. Il se passe beaucoup de choses importantes en très très peu de temps. Essayons de décomposer. Je vais donc tenter de te trousser une jolie décomposition française avec une introduction, un développement et une conclusion.

Primo, Béru, tu sais quoi ? Avant de se montrer, il a enquillé son pétard derrière sa tête, coincé entre le cou et la limouille. Il fait juste mine de fatiguer un chouia du bras droit pour le faire fléchir à bonne hauteur, le cramponne par la crosse et à toute vibure praline le rascal.

C’est compter sans le super-entraînement qu’a reçu ledit. Un frémissement, il est en alerte. Béru n’a pas plutôt achevé son geste qu’il balance la purée dans sa direction. Seulement je n’ai pas non plus les réflexes usés, aussi l’ajusté-je.

Tu veux savoir le résultat de cette triple pétarade ? Attends, j’ai pas fini, on fera le bilan plus tard, à tête reposée. Magine-toi qu’au moment où je presse la détente de mon feu, quelqu’un entre en courant dans l’entrepôt : une femme. Son intrusion inopinée me désajuste le tir et tout ce que je réussis à fiche, c’est de disloquer un gros bocal ancien pour vitrine de pharmacie.

Le mec a été touché par Béru, au cou, car il est tout rouge dans cette région. Mais cette blessure ne l’empêche pas de choper l’arrivante par le colbak et de la placer devant lui, en guise de bouclier. Je reconnais alors Marie-Anne Dubois, la gerce à feu Prince. Ce qu’elle vient branler dans cette galère, je le lui demanderai plus tard, si d’aventure nous sortons de cette foutue impasse, elle et moi.

L’homme basané se met à gueuler comme un enfant de putois :

— Si vous tentez encore de m’avoir, je flingue cette connasse, vu ?

Bon, là, on peut pas lui objecter grand-chose. Alors il sort à reculons, tenant toujours la fille devant lui. Avant de partir, il lance :

— N’essayez pas de me courser, sinon il y aura du grabuge !

On le voit reculer vers la cour.

Les Ricains se précipitent. Pour ma part, je me préoccupe du Gros. Il gît à la renverse dans sa travée, respirant avec peine.

— Béruuuuuu ! m’écrié-je, affolé.

Il me rassure de la main.

— Tout au cœur, tu parles d’un flingueur ! Buffle-à-l’eau-bille ! L’choc m’a culbuté, Dieu d’ Dieu ! Reus’ment qu’Berthy m’a offerte c’délicat objet pour mon anni !

Il retire de sa poche intérieure un flacon d’argent, plat, destiné à contenir quelque remontant, mais qui, plus jamais ne pourra remplir sa mission, ayant écopé de quatre balles groupées.

Bon, et maintenant ?

— Eh bien, maintenant, ça chauffe dans la cour.

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