CHAPITRE XV À N’Y PAS CROIRE !

Le talkie-walkie grésille.

Mathias se branche. C’est Lefangeux.

— L’éleveur d’escarguinches a quitté son domicile. Il roule sur Paris au volant d’une Golf GTI blanche à capote noire. Je le suis.

Je me penche sur l’appareil et presse le contacteur d’émission par-dessus le pouce du Rouquin.

— Tu es seul ?

— Non, l’O.P. Bérurier est à mon côté.

— Pinaud ?

— Il est resté sur place.

— Dès que le gars arrivera à destination, préviens-moi, on va le sauter ce matin.

— Entendu.

Mathias repose l’engin peint en vert, d’apparence très « grandes manœuvres d’automne ».

— Ça n’a pas l’air de carburer, monsieur le commissaire ? remarque ce perspicace.

— J’ai fait une blague à un type, elle a mal tourné.

Je lui narre ma mésaventure avec Prince et lui remets la carte d’identité de ce dernier.

— Il était fatalement cardiaque, diagnostique mon collaborateur, les UV, en si peu de temps, n’ont pu le tuer.

Il examine la photo de Prince et hoche la torche olympique qui lui tient lieu de tête.

— Il ne s’appelle pas Prince, mais Printzer ; c’est un truand d’origine allemande. Il a déjà commis deux attaques de fourgons blindés, l’une à Strasbourg, il y a une dizaine d’années, l’autre il y a deux ans, à Lyon. On le soupçonne en outre d’avoir organisé plusieurs coups fumants restés impunis. Un cerveau, quoi !

Je siffle d’admiration.

— T’en sais des choses, Van Gogh ! Selon toi, il serait l’organisateur du casse de la G.D.B. ?

— Ça paraît évident.

Sur la brèmouze bidon, y a écrit qu’il crèche 440, rue de Passy. Cette adresse doit être de fantaisie, mais il conviendra de s’en assurer.

— C’est rare, les truands qui claquent d’embolie, réfléchis-je comme un miroir solaire.

Pour me refaire un cerveau, je procède à une inspection générale des données. C’est dispersé comme un jeu de cartes jeté d’avion. Tu trouves de tout : des Ricains baisés par une équipe de terroristes internationaux, un futé à qui je repique leur valdingue sans avoir l’air d’y toucher et qui s’enfuit de l’hosto, des truands qui pillent une partie des coffres grâce à la participation de gars maigrichons, style jockeys. Une employée de banque sensible au braque des messieurs. Un chef de bande qui claque du cœur parce qu’on le sarcophage un quart d’heure dans un appareil à bronzer. Tout ça me fait une curieuse impression. Me paraît à la fois simpliste et impénétrable, aussi dur à déchiffrer que le verbe surseoir est dur à conjuguer au passé composé (que le Gravos appelle le passé composté).

Va pourtant bien falloir faire progresser la locomotive. En fait mon nouvel agencement professionnel me déroute, voilà l’histoire. Je n’ai pas eu le temps de me faire à ces nouvelles méthodes que j’ai voulues pourtant dans un grand moment de chambardement existentiel.

Pourquoi « existentiel », me demanderas-tu ? Et pourquoi pas ? te répondrai-je, avec cette pertinence qui m’a valu l’estime de mes paires, comme la mienne (de paire) m’a valu celle de leurs épouses.

Mais bouge pas, Nicolas, la mise en place va se faire. J’ai tous les rouages, s’agit simplement de les remonter. Brève période de rodage, et puis, de la route, ma loute !

Le talkie-walkie remet ça.

— Allô ! Me recevez-t-il-vous ? s’inquiète la voix de mélécasse de Sa Ventripotente Majesté qu’ça sent fortement marquée par des boissons qui ne sont pas en vente libre dans les cantines scolaires.

— Cinq sur cinq ! répond Mathias.

— Alors ça fait un, mon pote, gouaille l’éminent mathématicien. C’est toi, le Brasier ?

— C’est moi, confirme Mathias qui a déjà subi tous les sobriquets pouvant découler de sa flamboyance.

— Voudrais-tu-t-il me passer l’commissaire dans l’hypothèque qu’y s’rait laguche ?

— Quittez pas !

Je cramponne la grosse chose verte à antenne télescopique qui ressemble vaguement à une canne à pêche plantée dans la boîte d’asticots avec laquelle elle fait équipe.

— Je t’écoute, Gros.

— Ça va de plus mal en plumeau ! annonce le Gros. Not’ client a dû nous retapisser car il vient de se barrer vite fait bien fait, et tel qu’il pédalait, il doit z’êt’ en train de prendre un billet pour les îles Maladives.

— Explique.

— Il s’est r’misé en s’conde file, brusqu’ment, pour foncer dans un immeub’. On a attendu un chouïa, puis, comme il ressortait pas, nous sommes z’été, moi et le Terre-Neuvas, glisser un œil dans la taule. On s’a alors aperçu qu’y a une double hirsute. Tu m’as pigé tu m’as, l’Grand ?

Le Grand repousse la hargne envahisseuse, noire traîtresse sapeuse d’énergie. Le moral ! Le moral avant tout ! Une fois mort on avisera. En attendant, faut dominer toutes les situations. Faut dire que, dans mes tréfonds, et ce pour une raison que je ne te révélerai qu’en temps utile, je me sens cool.

— Bon, si je comprends bien, vous seriez deux lavedus ? demandé-je d’un ton tellement froid que l’émetteur du talcul-moncul se couvre de givre.

Féroce, j’ajoute :

— Je croyais que le pécheur d’Islande était l’empereur de la filoche. Qu’à force de berner des truites, il avait acquis le don de transparence ?

— C’est ça, pique ta crise, mec, répond Béru. Si tu verrais pas d’inconvéniance, l’restant, tu nous l’écriras, ça nous aidera, aux chiches, les jours d’constipation. Bon, qu’est-ce on branle ? Tu voudrais-t-il que, par acquisition de conscience, on poireaute encore en priant Not’ Dam’ de l’Elixir du Bon Secours ?

— Où êtes-vous ?

La réponse tombe, pâteuse, mais musicale pour mes chers tympans frustrés.

— Quat’ cent quarante rue d’Passy.

Mathias s’est dressé comme un seul homme. Pour ma part, plus self-contrôlé, je me contente de vociférer :

— Qu’est-ce que tu dis ?

Le Mammouth en borborygme de saisissement.

— Eh ! molo, Grand, tu m’décrépis l’intérieur des feuilles ! Pourquoi gueules-tu-t’il si fort ?

Brusquement (ou soudain, voire « tout à coup »), je me sens devenir plus calme qu’une tête de veau persillée à l’étal de ton boucher.

— Hein ? demande le Mastar, à travers les éthers, qu’est-ce que ça veut dire ces bramances de force 6 à l’échelle de Riche Terre ?

— Béru, murmuré-je, mon gamin, mon tout-beau, mon entièrement mien, fonce dare-dare interviewer la pipelette du 440 pour lui demander si un certain Flavien Prince habite son immeuble.

— Quel blaze tu dis ? Oh ! merde, r’v’là Pedro, le roi d’l’escarguinche.

— Que Lefangeux le suive seul, toi tu restes ici avec le talkie-walkie.

— Banco ! Attends, j’coupe, biscotte faut qu’je vais planquer c’t engin pour décarrer d’la chignole, j’te r’d’mande avant pas longtemps.

Et puis c’est le silence.

Je regarde Mathias.

— Eh bien, commissaire, me dit-il, on dirait que ça s’emboîte, non ?


Deux minutes plus tard, le Dodu rappelle.

— Jockey, fait Alexandre-Benoît, l’Pedro s’en est r’parti av’c l’ami la Gaule aux miches ; m’v’là à pieuvre d’œufs[3] pour exécuter mon wattman Chauve. Quel nom t’as dit qu’j’devais m’rancarder ?

— Prince, comme un prince.

La phonie est en bise-bille avec ce mot pourtant d’un énoncé souple et bref.

— Pince, comme pince-monseigneur ?

— Non : prince, comme monseigneur ; si tu avais un fils, il serait prince des cons, n’est-ce pas ?

— Ah ! Prince ? réalise l’Hénorme.

— Voilà !

— J’vais z’aux nouvelles. Que faut-on qu’je fisse, si fectivement, ton Prince charmant crèche laguche ?

— Rien, tu m’attends, j’arrive.

— Et si y s’barrerait avant que tu vinasses ?

— Ça m’étonnerait. Terminé !

Je carapate.

Croise dans l’allée le Vieux avec une nouvelle dadame un poil plus tapée que la précédente et qui s’enveloppe de mystère et de tulle, genre Garbo. Il s’abstient de faire les présentations.

— Du nouveau, mon cher ?

— Mathias vous mettra au courant, Achille, si toutefois vous avez l’opportunité de l’écouter ?

— Le temps de montrer notre petite installation à Mme la comtesse de Guaire-Lasse, et je m’informe.

La cage d’ascenseur les absorbe, puis les hisse vers des bonheurs temporaires.

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