Maintenant, j’essuie l’embrocation dont m’a embroqué le berger des Pyrénées chargé de me masser.
— Mais quoi donc ! Mais que faites-vous ! il époustoufle.
La première fois, excepté avec la dame qui avait pris trop de Pursénide, la première fois qu’un client lui échappe des pattounes en début de séance.
— Massez-vous la prostate en m’attendant, lui conseillé-je, ça pourra vous être utile un jour. Je viens de me rappeler que je n’ai pas coupé le moteur de ma voiture.
Et l’Antonio sort des massageries maritimes loqué en empereur romain.
Le vestiaire. Il est pourvu d’armoires en fer dont chacune ferme à clé. Il y en a quatre. Trois sont ouvertes et donc vides. Reste donc la mienne et celle de M. Prince ; déponner cette dernière est une historiette pour noces et banquets. Cric, crac, merci, Kodak. Le vergeur de Francine se saboule chez Smalto, fringues super-classe. Gris croisé à très fines rayures. Je plonge mes doigts dans ses vagues. D’entrée de fouille, je déniche son mignon pistolet extra-plat pour le costar de ville. Petit calibre, mais de précision, et qui tire des bastos explosives, s’il vous plaît. Moi, je le trouve bien hardi de débarquer à l’institut avec un tel excédent de bagages, m’sieur Prince. C’est un engagé, ce gus.
Je visite son portefeuille. J’y trouve sa carte de membre de l’Apollon, son permis de conduire au nom de Flavien Prince, né à Nogent-sur-Seine le 14 mars 1943, une carte d’identité au même blaze, deux mille francs suisses, trois mille cinq cents francs bassement français, cinq cents dollars et la photo craquelée d’une dame d’un certain âge et à l’aspect sévère qui doit être sa mère car il lui ressemble.
J’empoche sa carte d’identité, vide le chargeur de son pétard, remets tout en place et vais à la recherche de la pièce de bronzage. Prince paraît very beau gosse sur ses photos d’identité. Sa mise et sa fréquentation de la lampe à UV révèlent sa coquetterie.
Je me tâte, me demandant quelle est la meilleure conduite à adopter : attendre et voir, ou voir sans attendre ?
Mon tempérament d’alezan sauvage me fait opter pour la seconde soluce.
Je cherche autour de moi, en quête de ce qu’il me faut. Le trouve, comme toujours, la providence m’étant charitable.
La porte n’est pas fermée à clé, d’ailleurs cela n’aurait rien changé à mon intrusion, tu t’en doutes.
J’entre donc dans une toute petite pièce meublée d’une espèce de sarcophage chromé, qui répand une lumière d’arc à souder, et d’une chaise.
Mon client est allongé dans le sarcophage dont le couvercle reste à une vingtaine de centimètres de son corps. L’appareil bronze urbi et orbi. Tel le steak dans son cuiseur, il te fait dorer la couenne côté pile et côté face en même temps.
Une minuterie grignote les secondes avec un bruit de rongeur en train de bouffer un gros réveille-matin.
— Ça se passe bien, monsieur Prince ? lancé-je à la canonnade (Béru dixit).
Il me prend pour un employé du club et répond, enjoué :
— Ça boume, Raymond, ça boume.
Faudra que je tâche à visionner le Raymond en question, voir ce qui peut amener cette confusance.
Je développe la grosse sangle que je viens de prélever sur l’enrouloir du volet pliant.
Je n’aperçois pas le visage de mon petit pote, because le couvercle baissé. Pour le voir, je devrais m’accroupir, mais je tiens à ne pas être vu de lui.
— Bougez pas, m’sieur Prince, lui fais-je, le couvercle n’est pas dans sa bonne position, je vous arrange ça en deux coups les gros.
Je balance la sangle par-dessus l’appareil, pèse violemment sur le couvercle, ramasse l’autre extrémité de la sangle et, m’étant placé à califourchon sur le couvercle, bien qu’il soit très chaud et me roussisse les roustons, je fais un nœud express. La manœuvre m’est facilitée par la boucle que j’avais exécutée préalablement.
A présent, M. Prince est kif une tranche de jambon dans le sandwich. Bloqué à mort entre les deux parties du coffre de lumière. Il se fout à gueuler et à ruer, mais sa voix est assourdie et ses efforts physiques restent vains.
— Il fait chaud, pas vrai, m’sieur Prince ? rigolé-je. Imaginez que vous êtes sur une plage du Sénégal en plein midi.
Il rameute, le frère. Affolé en plein, se demandant ce qui lui arrive. Dépassé par l’événement san-antonien, le malheureux !
— Inutile de pousser cette bramée, m’sieur Prince, déclaré-je. D’ailleurs, bougez pas, je vois qu’il y a un diffuseur musical dans tout l’institut, je vais vous mettre un petit air.
Effectivement, deux boutons sur une plaque métallique permettent, l’un de sélectionner des programmes, l’autre de les brancher et d’amplifier le son. Je choisis un chouette morceau de jazz intitulé My Cue and your Backside same Struggle.
Je donne un tour de clé à la porte, puis prends place sur la chaise, battant la mesure de mon pied nu. Du temps passe. Prince continue de gueuler qu’il va cramer, qu’au secours, que pourquoi faites-vous ça, Raymond ? etc., etc.
Je me contente de lui faire « Chuuut », pas qu’il trouble mon plaisir. J’adore le jazz ; et puis aussi la musique de paquebots, langoureuse comme un coup de bite des années 20, dans une cabine de luxe revêtue d’acajou. C’est chouette, le passé. Ça n’en finit pas. Plus il s’éloigne, plus il est présent et te titille l’âme.
Le morceau s’achève sur une longue langourance du saxo. Bravo. Pour succéder, y a Mme Dalida (Veuve Samson) qui chante comme quoi elle est une femme avec tant de conviction qu’on va finir par la croire si elle continue.
— Je crois que votre bronzage sera impec, cette fois, m’sieur Prince. Vous ressemblerez à un merveilleux prince hindou, ou alors à un cul de singe si on s’attarde trop.
— Arrêtez ! il râle. Arrêtez, je cuis !
— Vous connaissez l’histoire ? Y a un type qui demande à un autre : « T’aimes les petits oiseaux » ? Et l’autre lui répond : « Oui : cuits, cuits ». C’est marrant, non ? Ça ne vous amuse pas ? Vous la saviez déjà ? Vous devez en connaître des fumantes, non, m’sieur Prince ? Dites, et celle des rigolos qui ont dévalisé les coffres de la G.D.B., vous la connaissez aussi ?
Là, il s’arrête de gueuler. Mme Adidas en profite pour rouler les « r ».
Même quand elle prononce le mot « femme », elle y parrrrvient. Comme quoi, on dira ce que je voudrai, mais c’est une vraie professionnelle. De son temps, on savait travailler, regarde Paulin, Dranem, Yvette Guilbert, Mistinguett…
Bon, j’en étais là que je place à m’sieur Prince mon vanne sur les coffiots éventrés.
Il la boucle. Des points d’interrogation s’échappent de l’appareil en même temps que les UV à reflets bleutés.
Je ne profère plus une broque. La balle est dans son (lit de) camp, à cézigus. Il a pas lerchouille de place pour dribbler, mais il devra faire avec.
La minuterie se met à faire « grrr grrr », pour annoncer qu’elle a rempli son contrat. Sans piper, je vais réenclencher le robico, offrir une heure de soleil en mieux à mon client. D’entendre le remoulinache, ça lui porte au mental. Il gémit :
— Oh ! non, merde ! Stoppez !
Puis, d’un ton misérable :
— Que me voulez-vous ?
— La valise, m’sieur Prince. Juste la valise métallique avec ses quatre bocaux.
Et puis on mutisme à nouveau, lui et moi. Mme Olida en profite pour placer son galop de glotte de fin de course. Le spiquère chevauche l’accord final pour prédire Patrick Sébastien. Qu’en v’là un, je te jure, il mérite le déplacement. Il bat à cœur, le grand blond. On l’a fignolé avec du vrai jus d’homme. Et puis il en a encore trente mètres sur le porte-bagages à nous déballer, espère. Ça viendra en son temps. La matière première, chez lui, est plus riche que le sous-sol du Minas Gerais.
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire ! déclare Prince.
— Chut, ta gueule, laisse-moi écouter ! je l’intime.
Le grand Patrick, avec sa frime de Bourbon sauvé des révolutions et des mariages consanguins, je l’imagine tandis qu’il imite Defferre (à souder). En caoutchouc, tu le croirais, plus authentique que son modèle et presque aussi cocasse.
Faut que je rappelle à ceux qui vont me bouquiner dans deux ou trois ans qu’à l’époque où j’écrivis ce book, le ministre de l’Intérieur, chez nous, c’était M. Defferre (à repasser). On l’avait mis à l’Intérieur pour pas qu’il prenne froid. Tous les matins, un mycologue assermenté passait lui enlever ses champignons. C’était le bon temps.
Et le gars Sébastien y va à fond la caisse tandis que l’ami Prince rôtit à feu doux. Tu vas voir ce Négus, au déballage ! La vraie côte de proc au barbecue. Y aura que Maille qui t’aille, mec !
— Bon Dieu, je crève ! il déclare.
— Chuuuut ! Chuuut ! lui rétroque Mister Sana, tout à son plaisir trompe-d’eustachien.
— J’étouffe, je brûle !
Moi aussi, je brûle. On s’achemine vers une issue heureuse, je le sens bien. La trotteuse du compteur travaille for me. Clic, clac, clic, clac, clic, clac…
Après Patrick, on nous virgule un glandeur américo-asniérois dont mes tympans n’ont rien à foutre. Je le néglige en entonnant l’une des chansons favorites de Bérurier dans laquelle on trouve ces strophes sublimes :
Quand je t’ai vu sous l’habit militaire
J’ai deviné que tu étais soldat
J’interromps pile car on toque à la porte.
— Moui ? interrogé-je.
— Il est l’heure, monsieur Prince, on attend la place.
— J’arrive !
Comme quoi, on ne peut jamais rester tranquille. Maintenant, il sent la gagne, le drôlet. Il sait que son martyre va finir et il tient le coup. A preuve, il ne dit plus rien. Deux secondes de gambergeage intense me suffisent. Je défais la sangle, assis sur le couvercle de plus en plus chaud. L’ôte. Puis, frouttt ! Me carapate. Le couloir est vide. En quatre janjambées j’ai regagné le vestiaire. Me ressape en attendant l’arrivée de Prince. Il va bien devoir se refringuer, no ? Dès lors, j’aviserai.
Un gros mecton sort des toilettes. A loilpé sous un peignoir trop juste pour sa brioche. Il est rond, un peu chauve, n’ayant plus de cheveux, avec l’air de se minuter l’existence. Il regarde l’horloge pneumatique dont la trotteuse rouge nous fait des bras d’honneur toutes les secondes.
— Y en a qui en prennent à leur aise, me prend-à-témoin-t-il.
Je lève vers sa personne un œil indéniablement interrogateur (car j’étais assis pour mettre mes tatanes).
— L’heure, c’est l’heure, non ? poursuit le maugréateur.
— C’est un peu mon avis, admets-je, car si l’heure n’était pas l’heure, qu’est-ce qui serait l’heure ?
Il n’entre pas plus avant dans ce langage à la Devos.
— Je vais aller déloger ce butor ! m’avertit le ventru.
Et le voilà parti en roulant du bide jusqu’à la salle de bronzette.
Je l’entends tabasser la lourde et crier :
— Dites donc, vous : ça commence à bien faire !
J’ai du mal à enfiler ma tartine droite. Tu as remarqué qu’on a toujours une couille ou un pied plus fort que l’autre. Les marchands de grolles devraient tenir compte du phénomène et faire des chaussures gauches et des chaussures droites légèrement plus grandes. Ainsi tu demanderais du 42 avec soulier droit plus. Soit dit en passant, je sème les idées ; vous n’avez qu’à les ramasser et les mettre en application, les gars. Je suis gratuit.
Comme j’élabore mon nœud de cravate, le gros chauve radine au vestiaire. Il a des yeux comme un vélo, avec les sourcils pour faire la selle et le guidon.
— Vous ne savez pas ? il me blablute. Vous ne savez pas ?
— Pas encore, certifié-je, mais disez-moi et je saurai.
— Le type d’avant moi…
— Eh bien ?
— Il est mort. Enfin, je crois, il me semble, on jurerait… Oh merde, si c’est ça, les UV, je renonce…
Et il pisse de saisissement sur la moquette du vestiaire.