CHAPITRE XXVI APRÈS LE PIED, LE PIED DE GUERRE

Les trois Ricains sortent de l’ascenseur ; un vieux carrosse hydraulique. L’Hôtel Boxon, bien qu’il soit central, date de l’époque Fallières. Il appartient, dit-on, à une vieille Américaine qui avait marié un Suisse installé à Paris. Elle n’a rien voulu toucher à l’architecture des lieux, bien que l’infrastructure de sa crémerie ne corresponde plus du tout aux normes hôtelières actuelles. Elle veille à ce qu’il soit repeint et bien tenu, mais elle lui garde son rococo, ses fromageries plâtreuses, ses miroirs solennels, ses plantes vertes jaunissantes et tout ce qui contribue doucettement à le faire classer bientôt par les Beaux-Arts. Ce parti pris porte ses fruits, car les Ricains de passage se battent pour y loger, estimant qu’il exprime parfaitement la vieille Europe loqueteuse, et bavochante qui chie sous elle et que tu vas voir les Russes : Hop ! par ici le bon bortsch !

Nos collègues flanellent vachement des guiboles. On sent qu’ils ont fait leur vide pour un moment. Le ratissage opéré par les donzelles a été total. Ecrémés jusqu’à la moelle, les gonziers de la C.I.A. ! Sus aux vitamines, mes frères ! Beaucoup de viande rouge et de laitages pour eux !

Je leur confirme qu’on tient la piste fumante, la vraie, l’unique, la toute formide, celle qui va leur permettre de faire enfin une grosse bibise à cette valise fantôme.

Ils paraissent contents, mais sans plus. Pas enthousiastes. Leurs pensées traînassent encore dans leurs slips. S’ils me gratulent, ces cons, c’est pas pour l’exploit policier, mais pour les gerces bien somptueuses qu’on leur a fournies. Ils m’annoncent qu’ils vont les épouser rapidingue. Ils ont déjà, entre deux fringants coïts, tubophoné à l’ambassade U.S., qu’on prépare les papelards de ces jolies ravissantes, avec plein de tampons définitifs. Des occases pareilles, ils ne peuvent laisser passer, les abandonner sur la terre merdeuse de l’Europe en digue-digue. Y a bon Etats-Zunis, Floride is good for you ! Ils insistent pour que je me rende aux noces. Ils m’invitent aux frais de la C.I.A. Je promets d’aviser. Alors, bon, en route. Je les affranchis dans la bagnole, tandis que Béru, Pinuche et Lurette déjà sont à pied d’œuvre boulevard Gouvion-Cinq-Sires. Un forban antiquaire a piqué leur chère valoche. Il exige beaucoup d’auber pour la rendre, n’hésite pas à tuer. Seulement moi, je hume des complications inextricables, comme quoi d’autres pèlerins sont également sur le coup : ceux qui ont buté le motard et enlevé son équipier. Donc, on doit se pointer en force, les rapières à dispose et pas chichiter si ça castagne. Feu à volonté ! Ils rigolent à outrance. Me traitent de « French baby ! » La castagne, c’est leur spécialité. Le « French baby » leur pisse à la raie ; faudra les voir à pied d’œuvre, ces joyeux queutards.

Pas besoin d’avoir un cil de lynx pour découvrir mon trio illustre, planqué sur le boulevard. Y en a un qui renouche la vitrine d’un marchand de tires d’occase spécialisé dans l’américaine surchromée ; un autre qui mijote au volant de la tire stationnée en double file, et le troisième qui lit le journal, assis sur une vieille caisse tombée d’une poubelle.

Cela dit, tout paraît simple et tranquille.

Just a moment ! fais-je à mes Ricains.

J’opère une première exploration, passant devant l’établissement d’Achille Parmentier, mains aux poches, en tirant un peu la jambe, ce qui justifie la lenteur de mon déplacement.

J’avise un putain de capharnaüm qui évoque la salle des ventes un jour d’enchères. Un type brun est occupé devant un coffre-fort qui ressemble à celui de M. Law avant sa banqueroute.

Ayant retapissé le gars, je continue mon parcours et contacte discrètement chacun de mes péones.

— Regroupement à droite de l’entrée ! je leur dis-je.

Puis je ramasse les trois Ricains qui sont encore en train de se remettre Coquette en place, à l’issue (de secours) d’un aussi grand dévergondage. Ben mon vieux, tu la leur copyright ! Y a eu goinfrage de culs, comme ils savaient pas que c’était réalisable, messieurs les Ricains made in Hong Kong ou Killary-Bay. Du surchoix, on leur a branché ! De la pute haute noblesse, ayant pignon sur chatte et les loloches armoriées. Des surexpertes classées V.I.P. Des ratisseuses de glandes diplômées, et qui s’étouffent pas à l’oral, espère !

— Votre bon Dieu de valise est là, je leur désigne. Seulement, ça doit grouiller de méchants sur le qui-vive. Dites-vous que nous sommes plus ou moins attendus.

— On a de quoi rendre visite ! m’assure l’Irlandais.

Il dégage son veston pour me découvrir le manche à gigot d’un pétard gros comme ma cuisse.

— Ben, dites donc, béé-je, ça doit vachement faire drelin drelin quand vous passez par le tunnel de sécurité des aéroports.

Il hausse ses épaules d’enfonceur de portes blindées.

— C’est du matériel qui nous a été fourni à l’arrivée.

— O.K., les gars. On plonge. Tous les sept en même temps, faut investir les lieux en un clin d’œil. Et pas craindre d’embaumer les grelus qui se prendraient pour des résistants afghans. Vous y êtes ?

— Je nous sont ! répond en bon français l’ancien Chinois en mutation.

Je lève le bras. T’as vu Bonape au pont d’Arcole en train de faire « Tiens, sus », aux Autrichiens ? Moi ! Mes sbires cavalcadent éperdument. On se rue comme des folingues dans l’entrepôt à tabac du sieur Parmentier.

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