PREMIER ÉPILOGUE

Le président achève la lecture de Minute au moment où je pénètre dans son cabinet particulier, dit « Bureau à la Rose ». Il le tend à son secrétaire étrange aux Affaires particulières.

— Très intéressant, lui dit-il, j’adore l’édito de François Brigneau.

Il me présente sa superbe main d’écrivain qu’on ne piège pas avec les subjonctifs les plus retors, même ceux de certains verbes du troisième groupe franchement abominables…

— Salut, commissaire. Vous, quand on vous en donne les moyens, vous employez les grands moyens !

Il se met à chantonner « Si Venise la belle a d’immenses lagunes ». Son secrétaire fait « tchi tchi » pour le rappeler à l’ordre. Alors, bon, le Pommier des Français revient à son bélier (moi).

— Combien de morts au cours de cette affaire, commissaire ?

— Je n’ai que dix doigts, monsieur le président, objecté-je.

Il soupire :

— Ce qui me chicane, ce sont nos amis américains. L’un est devenu unijambiste, m’a-t-on dit ?

— Le second, manchot, et le troisième n’a plus de testicules sauf le respect que je vous dois, monsieur le président.

Le Septenneur joint les mains.

— Quelle horreur ! fait-il, enfin je préfère que cela lui soit arrivé plutôt qu’à moi ; un Américain c’est un Américain, n’est-ce pas ?

— Exactement ce que je pensais, monsieur le président.

— Des testicules donnés à ces gens-là, c’est de la confiture donnée à des diabétiques. Où en sommes-nous ?

— Plein succès.

— Vous trouvez ?

— Si l’on excepte les désagréments ci-dessus dont ont souffert nos amis yankees, nos effectifs à nous sortent indemnes de l’aventure.

— Bon, c’est déjà ça.

— Tous les vilains y ont laissé leurs os.

— Ma foi, il ne fallait pas qu’ils y aillent !

— Exactement.

— Officiellement, l’invention a disparu et les services secrets U.S. pourront toujours la chercher…

— Elle a été désintégrée par l’explosion sur l’autoroute.

— Qu’ils se rangent à cette version si le cœur leur en dit !

— Le gaz toxique ne craint pas de contaminer, mes chères Françaises ni mes chers Français ?

— En aucun cas, monsieur le président.

Je baisse le ton.

— Monsieur le président, pourrais-je demeurer en tête-à-tête quelques instants ?

— Mais nous sommes en tête !

— Non, fais-je en désignant le secrétaire d’un hochement de menton.

Le président hoche la tête, puis soupire :

— Soit.

Et, à l’intéressé, pâle d’humiliation :

— Cher ami, voulez-vous aller me chercher le Figaro Magazine, je vous prie ?

Le gars sort. Je raconte la vérité à mon illustre interlocuteur. Les gaz dans le laboratoire du professeur Badablum.

— A présent, grâce à ce qui s’est passé, nous allons pouvoir les conserver, purement et simplement, puisque les trois Ricains, malgré les tracasseries physiques dont ils furent victimes, peuvent témoigner de notre bonne foi.

Tu connais notre président ?

C’est pas le genre d’hommes qui se marre tellement. Quand il lui arrive de sourire, on dirait la pube des pilules Trucmuche pour les maux d’estom’, la photo illustrant « avant » la prise du remède. En comparaison, Buster Keaton a l’air d’un joyeux drille !

Mais alors là, il éclate d’un rire franc et massif, crois-moi. A se claquer la cuisse, à cogner sa tête contre son sous-main (qu’il a repris en sous-main à son prédécesseur).

Il s’étrangle, il trépigne.

Et puis, tu sais quoi ?

Il me tend sa dextre : la plus belle, celle avec laquelle il signe les accords internationaux et le livre d’or de l’Arc.

— Ma-gis-tral ! pouffe notre roi à tous. Bien joué ! Superbe ! Vous méritez les deux oreilles et la queue ! J’aime les gens qui font preuve d’initiative. Ça vous dirait d’être Premier ministre ?

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