CHAPITRE XIII À N’Y PAS CROIRE

Une odeur de vapeur d’eau au pin des Vosges et d’embrocation m’accueille. L’endroit est d’une grande élégance. On devine que le massage doit coûter aussi chaud que le bain qui le précède. C’est laqué, vitré, nickelé. Couleurs claires. Quelques plantes vertes peu banales, pas du tout de l’espèce caoutchouc poussiéreux.

Une ravissante en blouse blanche, blonde de partout, j’espère, m’accueille. Il y a des parements vert Nil à la blouse, un badge épinglé sur le sein gauche indique le nom de sa propriétaire : « Gaëtane », pas moins. Elle me sourit dans les tons cyclamen ; ses dents brillent comme ce que tu voudras : nacre, tessons de bouteilles, neige au soleil, etc.

— C’est pour un abonnement ? me demande la belle enfant.

— J’aimerais une séance préalable pour essayer, que j’y réponds ; faire mon siège, si vous voyez ce que je veux dire ?

Elle voit parfaitement.

— Sauna, bain d’algues, massage, culture physique avec moniteur, thalassothérapie ?

Sa nomenclature continue.

J’écoute religieusement les délices proposés ; puis j’opte pour un bain d’algues et un massage classique.

La Gaëtane sonne et une autre toute belle vient me prendre en charge. Même blouse à parements verts. Même badge, sauf qu’elle se prénomme « Loïca », ce qui n’est pas dégueulasse non plus, tous les lecteurs de la Collection Bouffon t’y diront.

Elle est également blonde, voire davantage que la ravissante préposée à la réception. Formes éloquentes. Son petit dargif dur comme un poing de composteur de timbres me fait de l’œil en se déplaçant.

Loïca me pilote par un couloir vitré, agrémenté, côté mur, de photos plastifiées représentant une plage bordée de cocotiers, jusqu’au vestiaire. J’ai droit à une cabine pour me dessaper. J’y trouve un peignoir de couleur saumon et des sabots style japonouille (encore un kamikaze, c’est l’vitrier qui passe…).

— Lorsque vous serez prêt, vous n’aurez qu’à sonner, m’avertit Loïca.

Je me dessaboule sans me presser.

Et vais mettre ce léger temps mort à profit pour te révéler quel détail m’a fourni Francine Chocote, hier soir, entre deux steeple-baise.

Lors de sa partie de jambons avec son séducteur, elle se serait étonnée qu’il fût bronzé. « Vous arrivez des Tropiques ? » lui aurait-elle demandé. Il aurait souri en guise de réponse. Au restaurant russe, lorsqu’il a dégainé son larfouillet pour cigler la douloureuse, miss Francinounette, qui, comme la majorité absolue des gonzesses, a toujours un œil qui traîne et l’autre qui regarde, a aperçu une carte d’abonnement à un fitness-club : L’Apollon Institut, une brème jaune, avec en brun et en relief la silhouette du jumeau d’Artémis.

Et alors, il comporte comment t’est-ce, le Sana ? Il vient remoucher ce club hautement chic.

C.Q.F.D. !

Lorsque je suis prêt, dans mon coquet peignoir, mam’selle Loïca me reprend en charge. Mon bain étant coulé, il faut faire trempette. Je me glisse avec volupté dans l’eau chaude où macèrent des végétaux, en ayant un peu l’impression de me livrer à une marinade. Qu’ensuite on me fera cuire en civet. Auquel cas, si tu fais partie du festin, je te recommande la queue, comme dans le cochon.

D’aucuns, et même d’aucunes vachement salopiotes que je sais, vont s’imaginer que l’Apollon Institut s’inspire des méthodes thaïlandaises ; il n’en est rien. C’est la taule snob, grand chic et sans équivoque.

Loïca se contente de manier un jet avec maestria ; elle en fouette habilement mon corps, côté pile, côté face, sans saluer mister Tienfume du moindre regard. Un confus regret m’empêtre le sensoriel, porté comme je le suis sur la membrane magique. Quand je pense que des tauliers de boîte de noye poussent leurs entraîneuses à la prostitution et qu’au contraire, le patron de l’Apollon Institut exhorte ses amazones à la chasteté, je déplore que ces deux attitudes contradictoires ne soient pas interverties. Mais enfin, la vie est ce qu’elle est, les cons ce qu’ils sont et on va pas en faire un fromage.

Quand j’ai été bien aspergé, giclé, briqué, séché, la Loïca me pilote jusqu’à la salle de massage. Là, je me dis qu’il va m’être most difficult de conserver mon innocence de jeune fille. Sitôt que la sublime portera les mains sur mon épiderme, le Belge sortira du tombeau, comme dans la Brabançonne.

Surtout lorsque cette fifille atteindra la région équatoriale de ma personne. D’accord, j’ai conservé mon slip, mais Coquette-à-deux-roues ne s’est jamais laissé brimer par quelques centimètres carrés de cent pour cent coton.

Je m’allonge sur la table. Elle étale sur moi une grande serviette de bain et puis vaque. Quinze secondes plus tard, un gonzier grand comme l’Arc de Triomphe, mais un peu plus trapu, vient me rejoindre.

Lui aussi porte un badge sur la poitrine. Il a un prénom composé, voire composite ; il se prénomme Albain-Michel, ce qui m’incite à méditer.

Plus velu que sa pomme, ça existe, mais au zoo seulement et ça se masturbe en public.

— Bonjour, bonjour, il me fait ; tout joyce, en me présentant une main grande comme un Super-Etendard (sanglant élevé) faisant du rase-mottes. J’hasarde ma dextre dans cette tétine de vache fendue et mise à plat.

Un instant, je me fais l’effet de l’étourdi qui veut rattraper son monocle tombé dans le broyeur à ordures de sa cuisine. Et puis bon, King-Kong (plus Kong que King, ou alors King des Kongs) se met à me malaxer et alors, de lièvre en marinade que j’étais naguère, me voilà devenu pâte à millefeuille.

— C’est la première fois que vous venez à l’Apollon ? me demande ce belvédère ambulant.

Je confirme.

— Vous avez raison, approuve-t-il. On vit des temps qu’il faut se ménager ou alors on craque.

Je joins mon approbation pleine et entière à cette définition massive.

Bon, je suis tombé entre les pattes d’un bavard. Rien de plus chiant que d’être massé par quelqu’un qui jacte, et donc déconne, sans arrêt. En l’occurrence, je dois tirer profit de ce défaut.

J’explique au roi des Kongs que j’ai lié connaissance, en avion, avec un client de l’institut. J’ignore son nom. On a bavardé. Il m’a tellement vanté les mérites de ce club que j’ai eu envie de le pratiquer à mon tour.

Ça ne rate pas, le surpoilu veut savoir absolument à quoi ressemblait cet habitué enthousiaste.

Là, en policier compétent, je place une description minutieuse de l’homme qui me précéda dans les miches de Mlle Francine Chocote.

— Mais c’est M. Prince !

Et d’ajouter :

— Justement, il est là, il fait de la lampe, vous allez pouvoir lui dire bonjour !

Je ferme les yeux sur le bonheur brutal qui me pénètre de partout. Décidément, t’auras beau dire, Dieu existe. Dieu merci.

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