CHAPITRE XXVII (LUCIE DE) L’AMÈRE MORT

Boris sent que la situation se détériore pour sa pomme. La douleur se diffuse mochement dans son ventre et sa jambe droite. Il n’ose porter la main à ses vêtements sanglants, mais il réalise progressivement le cheminement de la balle. Elle est entrée un peu plus bas que l’aine, dans le gras de la cuisse, elle a ricoché contre la tête du fémur, laquelle a dû déclarer forfait, car Boris ne peut plus poser le pied par terre ; et ensuite, le projectile s’est mis à vadrouiller dans ses tripes.

Le blessé gamberge froidement. Il lui faudrait l’hosto, dare-dare, seulement jamais Stevena ne l’y conduira. Mieux, s’il juge son pote sérieusement atteint, il lui pralinera la coiffe, ainsi l’exige le règlement de leur organisation. S’il pouvait au moins marcher ! Mais c’est devenu impossible. Foutu ! Il est archi foutu, le Boris. Là s’achève sa trajectoire de forban. Il a refroidi une chiée de mecs sans sourciller, parfois même avec plaisir ; et aujourd’hui son tour est venu. Il va crever dans cet entrepôt à pouilleries. Une mort sans gloire, presque accidentelle. Une fin à la con au bout d’une vie à la con. Gagné, perdu ! Pile et face ! Après le jour, la nuit ! Il considère le gros homme chauve étendu à ses pieds. Il le hait, certes, mais pas plus qu’avant.

Il a la haine endémique, Boris. Fortifiante pour ainsi dire. Sur le plancher, Achille Parmentier pousse des plaintes sourdes. Une vilaine plaie compose un emplâtre de sang au-dessus de son oreille gauche. Il ouvre les yeux pour contempler les chaussures de Boris. L’une ne touche pas le plancher car Boris se tient de guingois contre le fauteuil garni de cuir. Parmentier, lui aussi, sait que c’est fichu. Qu’ils vont le trucider sans pitié. Il voit une rigole de sang dégouliner sur le pied de son visiteur. Cela sourd de sous le pantalon, imbibe la chaussette et le surplus coule sur le talon du soulier avant de goutter lourdement. Le bruit du sang rythme un temps qui a perdu toute sa signification. Achille prête l’oreille. Il perçoit un mouvement dans ce qu’il appelle pompeusement le « hall d’exposition ». C’est « l’autre » qui bricole le vieux coffre-fort. On n’a pas encore tué Parmentier, au cas où il y aurait un problème d’ouverture, ou bien dans l’hypothèse où il aurait menti au sujet de la valise. Mais la valise métallique se trouve bel et bien dans le ventre d’acier, l’homme n’aura pas trop de mal à faire jouer l’ouverture du monstre, et alors tout sera dit. Il aura droit à sa balle entre les deux yeux.

Il se dresse sur un coude. Ses yeux rencontrent ceux de Boris, Parmentier y lit la tragédie de la mort. Il a touché son adversaire pour le compte. L’homme est en état de préagonie. On devine que d’horribles douleurs se rassemblent dans sa viande et se mettent à y croître. Très vite elles deviendront insoutenables. Du coup Parmentier reprend espoir. Si l’autre pouvait s’évanouir, au moins ! Il prendrait l’arme d’un de ses archers morts et ramperait jusqu’au hall d’exposition, s’y embusquerait pour abattre le deuxième visiteur.

Mais Boris comprend tout, il articule d’une voix pesante :

— Non, gros lard : je te flinguerai avant.

Déconcerté, Parmentier détourne son regard.

Boris ajoute :

— Dans tes couilles pour commencer !

« Un obsédé », songe l’antiquaire, un sadique.

Boris a dressé un plan d’action. Lui aussi a décidé de « tenter le tout pour le tout ». Il sait comment s’y prendre.

Rassemblant ce qui lui reste d’énergie, il crie à la cantonade :

— Ça vient ?

— Ça y est ! répond Stevena depuis l’entrepôt.

— Dépêche-toi, qu’on rigole un peu avec ce monsieur avant de filer.

Oh ! oui, son plan est prêt. Lorsque Stevena reviendra dans le bureau avec la valise, il l’abattra à bout portant. Puis il liquidera l’antiquaire. Ensuite, comme il ne peut plus bouger, il alertera la police, dira qu’il a trouvé la valise, histoire de se blanchir, puis se laissera conduire à l’hôpital. Il a hâte qu’on l’allonge dans des draps blancs et qu’on le prenne en charge. Il veut s’en sortir, absolument. Rien n’est plus important. Une fois hors de danger, il se débrouillera, qu’importent les tribunaux et les dirigeants de son organisation.

Mais soudain, les choses changent.

Загрузка...