CHAPITRE IV Y EN A QU’ONT DU COFFRE

— Froid aux yeux, moi ? Jamais, avec mes lunettes thermolactyles !

Allongé sur le lit de la Tzarine, je procède mentalement à une refonte de ma vie.

La Tzarine est une fabuleuse créature de quarante-cinq étés, blonde, ardente, avec un regard au bleu si intense qu’il semble noir. Une rencontre du troisième type, cette dame ! Ma plus récente ! L’une des plus magistrales. Un volcan d’or et de porcelaine, aurait écrit un romantique du siècle dernier. On s’est rencontrés simplement et elle n’a rien fait pour chercher à me plaire ; à preuve : elle a embugné sauvagement l’aile arrière gauche de ma Maserati. Une espèce de crime, en somme ! Elle drivait (si l’on peut dire) un cabriolet Mercedes. Son tort, ç’a été de vouloir, en même temps, contempler la boutique Dior, avenue Montaigne.

Deux actions aussi contradictoires et simultanées, ça ne pardonne pas. Quand j’ai vu sa gueule, je lui ai pardonné tout de suite. La confusion lui seyait à ravir. Une collision, on a toujours l’air con : collisionné ou collisionneur. Y a immanquablement cet instant d’effarement. On est contrarié et furieux. D’emblée protestataire.

La Tzarine est descendue de sa calèche, moi de la mienne. Son capot tordait le nez, mon aile ressemblait à du papier chiottes. Je l’ai illico baptisée « la Tzarine » à cause de son manteau de cuir noir à col de vison blanc, de ses cheveux blonds, de sa noblesse et de tout ce saint-frusquin de merde qui fait que tu as envie de sauter sur une dame pour lui expliquer le coup du lapin agile. Elle a considéré les dégâts sans trop s’émouvoir, puis m’a regardé, et alors mon sourire capiteux l’a dégoupillée.

— Comment, vous ne m’apostrophez pas ? a-t-elle demandé.

— Pourquoi vous apostropherais-je, madame ? Etre contacté par une femme telle que vous ne peut que combler un homme digne de ce nom. Vous avez tant de charme que mon aile froissée me paraît bien plus belle ainsi et que je me propose de la laisser dans cet état en souvenir d’un instant inoubliable.

Elle a apprécié, bien que ce fût gros comme ces brins de ficelle servant à amarrer les navires. Et puis voilà que j’ai présentement la joue contre son ventre palpitant. Le fabuleux oreiller n’ose bouger pour ne pas troubler ma songerie.

Repu d’amour, donc ayant accompli mon présent de la meilleure façon qui se puisse, je me tourne vers l’avenir. Me dis que ça commence à bien faire, la Rousse. Depuis la mise à pied de Béru et le départ du Vieux, tout a basculé, je ne sais plus ce que j’y cherche. J’ai envie d’autre chose : d’évasion, de liberté. Peut-être de me foutre à mon compte après tout ? J’aimerais voler de mes propres ailes. Alors, quoi, l’import-export ? L’édition ? Le journalisme ? Rien ne me botte vraiment. Je pressens ce dont j’ai besoin, sans parvenir à le cerner. Toujours est-il, qu’article premier ÇA VA CHANGER. Do you pigez, les gars ?

On perçoit un bruit dans l’appartement : un murmure de voix.

— Bonté divine, il y a du monde chez vous, ma souveraine ! m’exclamé-je en abandonnant son séant pour me dresser sur le mien.

La Tzarine soupire :

— Mon époux, sans doute.

Sans plus s’alarmer que s’il était question du livreur de chez Fauchon venu lui apporter les premiers rutabagas amenés d’Australie par jet spécial.

On toque à la porte. Elle répond « Oui ? ». Un monsieur aimable apparaît, bien fringué, plus tout jeune. Il nous avise, murmure « Pardon » et referme.

Mais sans claquer la lourde. Un vrai gentil, conciliant en plein.

Je regarde la Tzarine.

Elle s’amuse de mon anxiété.

— Ne faites pas cette tête, chéri, Mathieu n’est pour moi que le plus merveilleux des amis. Nous avons déjà divorcé deux fois, mais six mois après nos divorces nous nous remarions, tellement nous sommes désemparés.

En femme discrète, elle s’était abstenue jusque-là de toute confidence quant à sa vie privée, chose appréciable entre toutes, car rien n’est plus déprimant que ces dames adultères qui se croient obligées de dauber sur leur conjoint entre deux étreintes et de faire passer leur mari pour plus con qu’il n’est cocu.

Quand je suis rafistolé, la Tzarine me guide au salon où son monsieur caresse leur caniche royal en regardant la télé.

Présentations fort urbaines. Il me presse la louche cordialement.

— Ravi de vous connaître, m’assure-t-il avec tant de spontanéité que je le crois sincère. Ma femme m’a beaucoup parlé de vous, avec un enthousiasme qui vous honore. Il paraît que vous êtes un commissaire fort brillant ?

— Votre épouse est trop indulgente, réponds-je.

Comme tu le vois, nous sommes entre gens de bonne compagnie.

Il sourit.

— Je crois que vous allez avoir l’occasion d’exercer vos talents, mon cher.

— Pour quelle raison ? lui demandé-je.

Mais au lieu de me répondre directo, il s’adresse à la Tzarine :

— Ma Choute, tu tenais beaucoup à ta parure de diamants, n’est-ce pas ? Je veux parler de celle que ma mère t’a offerte à notre premier mariage.

— Pourquoi cet imparfait ? s’écrie l’épouse en alerte.

— Parce que M. Spaggiari a fait école et qu’on vient de détrousser la salle des coffres de la G.D.B. Hélas, le nôtre figure sur la liste de ceux qui ont été visités.

La Tzarine pâlit à l’extrême, son regard bleu sombre s’agrandit, ses lèvres fort heureusement fardées s’écartent sous l’empire du courroux et de la déception.

— Quelle horreur ! s’écrie-t-elle.

A cet instant, le bip-bip dont nous sommes sophistiquement affublés depuis dorénavant, nous, les poulets de haut niveau, se met à glaglater.

Cela signifie que le big boss me hèle d’urgence.

— Me permettez-vous de téléphoner ? demandé-je à mes hôtes.

Mais comment donc ! Que je veuille bien passer dans le bureau du maître de maison (la maîtresse de maison étant également la mienne).

Je lance mon coup de turlu. Le « nouveau » parle comme un qui a mangé des moules pas fraîches et qui n’en finit pas de les restituer.

Vous… brahoug… connaissez la nounou… la brahoug… nouvelle, Santantonio ?

— Oui, dis-je : on a pillé la salle des coffres de la G.D.B. et, si j’en crois votre émotion, monsieur le directeur, la fameuse valise compte parmi le butin des chevaliers du chalumeau ?

— Exactement ! C’est catastrophique ! La délégation américaine chargée de recouvrer cette foutue valise arrive demain. Nous sommes bafoués, déshonorés.

— Il y a pire, objecté-je.

Mon directeur rubicond (qui ne va pas tarder à le franchir, du train où vont les choses) lance une plainte d’alcoolo en manque.

— Comment, pire ?

— Si les malfrats qui ont monté l’opération ont le malheur de dévisser les couvercles de ces foutus bocaux, les conséquences seront incalculables. Des dizaines de milliers de personnes périront. Il faut lancer un appel immédiatement sur les radios et les télévisions, monsieur le directeur.

— Vous êtes fou, Santantonio ! ce serait déclencher la panique ! Et révéler à l’organisation du dénommé Kalel que nous avons monté le coup du faux incendie !

— Tout est préférable à ce qui arriverait si l’on ouvrait les bocaux ! riposté-je sèchement.

Mais il pleutre à bloc, le violacé.

— Non, non, ergote-t-il. On ne peut pas… Et d’ailleurs qui vous dit que les pilleurs de coffres n’abuseraient pas de la situation pour rançonner le gouvernement lui-même, en apprenant qu’ils détiennent une pareille arme !

Argument valable. Je ne moufte plus.

— Je vais en référer, dit-il, mais sans plus attendre, mobilisez nos effectifs, Santantonio, et retrouvez-moi cette valise, je vous en conjure. Faites tout donner, mais que ça ne transpire pas ! Surtout que ça ne transpire pas !

En attendant, c’est lui qui transpire, crois-moi.

Je vais rejoindre la Tzarine et son mari à répétition.

— Les événements s’emboîtent à la perfection, leur dis-je : je viens d’être chargé de l’enquête à propos du pillage des coffres.

Ma douce amie m’écrie, dans un élan sublime qui mériterait qu’elle me joue ça vêtue d’une robe à crinoline :

— Oh ! de grâce, récupérez ma parure, mon grand fou, c’est un bijou unique au monde. Si vous me le rapportez, je… je…

— Tu, quoi ? demande doucement l’époux. Je pense que tu ne peux guère promettre au commissaire davantage que tu ne lui as déjà donné.

Après quoi, plus prosaïquement, il me propose un scotch. Mais non, merci, j’ai école ; et puis surtout, j’aime pas le whisky. Je préfère tirer un coup avec sa dame que d’en boire un avec lui.

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