Chapitre XXI

Malko s’engagea dans la dernière chicane, l’estomac contracté. Il bénéficiait de l’effet de surprise, mais pas pour longtemps. La piste de latérite rouge sinuait devant lui, bordée, comme chez les Marines de hauts talus de terre. Il aperçut soudain un mirador de bois sur sa droite, avec un homme muni de jumelles qui se mit à agiter les bras. Cinq mètres plus loin, il tomba sur les premiers rouleaux de barbelés qui auraient arrêté une voiture normale.

Le moteur de la benne ronfla, mais elle passa, entraînant les barbelés dans son sillage. Il restait encore deux « S » à franchir avant la dernière ligne droite menant au hangar des ULM.

Plusieurs miliciens armés surgirent devant lui, épaulant leurs Kalachnikov. Coup de chance, aucun ne possédait de RPG 7. Malko plongea sous son volant au moment où ce qui restait du pare-brise achevait de se volatiliser. Les coups sourds des impacts ébranlèrent la lourde carrosserie. Une balle ricocha sur le volant, le brisant net.

Malko fut obligé de risquer un œil, vit un homme, le visage crispé, le Kalach à la hanche, tirant contre l’avant de la benne à ordures ; il se baissa de nouveau, il y eut un choc et il devina plus qu’il ne vit que l’homme avait été renversé. Encore quelques raclements contre la caisse et il se redressa : le plus dur était passé. Les gardes de la chicane étaient derrière lui. Il entendit des rafales tirées dans son dos, mais les tôles épaisses de la benne le protégeaient. Il ne pensait même plus à la charge mortelle recelée dans ses flancs et qui pouvait exploser sous un impact. Il n’avait plus qu’une idée : les ULM.

Brusquement, il y eut une détonation violente, un nuage de fumée devant lui, il faillit perdre le contrôle de son véhicule : un RPG 7 tiré, il ne savait d’où, venait de le rater.

Son front saignait, sûrement un éclat de verre. Il restait vingt mètres de ce tunnel en plein air, puis c’était l’espace découvert. Il se demanda si les deux chars auraient le temps de réagir. D’un seul coup de canon, ils le réduisaient en bouillie, mais la charge explosive partirait et le but serait atteint. La vision de son château et du visage sensuel d’Alexandra le troubla pendant une fraction de seconde, puis il aperçut le hangar et les trois ULM devant.

L’un d’eux roulait déjà. Il décolla aussitôt, s’élevant d’une dizaine de mètres au-dessus du sol. Des hommes s’affairaient autour des deux autres. Le regard de Malko photographia tout : les miliciens en train de courir, les tourelles des deux chars qui tournaient, l’animation autour des deux autres ULM prêts à décoller. Quarante mètres avant le hangar, Malko se baissa, trouva à tâtons la languette métallique du plancher et la souleva. Puis il appuya le pied à fond sur l’accélérateur et fit pivoter la languette. Lorsqu’il releva le pied, celle-ci maintint l’accélérateur écrasé au plancher et la benne s’élança lourdement en avant. Droit vers les ULM. Il vérifia la course, les roues étaient bien dans la ligne. D’un coup d’épaule, il ouvrit la portière et abaissa l’interrupteur déclenchant la minuterie.

Abu Nasra regardait la benne à ordures jaune foncer sur les ULM, le cerveau paralysé, ne pensant même plus au risque qu’il courait. Les coups de feu, les cris ne l’atteignaient plus. Comme un automate, son Kalachnikov à bout de bras, il se mit en route vers son adversaire. Comme si la seule force de sa volonté avait pu le stopper. Son cerveau lui disait qu’il allait mourir, mais l’information n’était pas transmise au centre qui gouverne la peur.

Et puis, il vit le conducteur de la benne sauter en marche et l’engin continuer à foncer sur lui, comme un gros coléoptère maladroit.

Alors seulement, il leva son Kalachnikov et se mit à vider son chargeur, essayant d’arrêter le monstre. Il tirait encore quand le lourd pare-chocs le heurta à la taille, lui écrasant le bassin. Projeté à terre, il ne vit pas l’essieu avant lui fracasser le crâne.

Malko ressentit un choc violent à l’épaule et à la tête, roula sur lui-même, aperçut la masse jaune de la benne foncer vers le hangar. Presque du même élan, il bascula dans l’énorme excavation rectangulaire pleine d’eau croupie qui ressemblait à une fosse commune. Des rafales firent jaillir la boue autour de lui, puis il tomba au fond dans une gadoue jaunâtre pour s’apercevoir qu’il avait perdu son 357 Magnum dans la chute !

À chaque seconde, il s’attendait à voir surgir des miliciens venant l’achever à bout portant.

Il se redressa, chercha à remonter le long de la paroi. Il avait franchi deux mètres quand l’explosion se produisit. Un fracas de fin du monde, qui lui sembla durer une éternité. Les tympans écrasés par la brusque surpression, il hurla. Le souffle ne le frappa que faiblement, mais une nuée de débris commença à retomber autour de lui. Quelque chose de lourd fit un « splash » terrifiant dans la boue, continuant à brûler : la tourelle d’un des chars, avec encore plusieurs moitiés de corps humains à l’intérieur … Il lui semblait que le bruit ne s’arrêtait pas mais c’était seulement dans ses oreilles. En réalité, il régnait un silence de mort.

Comme un animal, il grimpa le long de la paroi jaunâtre, respirant difficilement l’atmosphère chargée de poussière et l’odeur âcre de l’explosif. D’abord, il ne reconnut pas le paysage. Le hangar avait disparu, rasé par le souffle, le M113 brûlait, renversé sur le côté ; un des chars aussi et le second, éventré, n’avait plus de tourelle. Deux boules de feu se consumaient avec une fumée noire, ce qui restait des ULM. Il vit un bras détaché, tenant encore une arme, des corps étendus partout, des morceaux de chair innommables, une tête qui avait roulé sur le ciment. Un nuage de fumée blanchâtre flottait au-dessus de l’explosion. La carcasse de la benne jaune avait été projetée à plus de cent mètres, par-dessus le hangar.

Aucun signe de vie.

Malko fit quelques pas, trouva un Kalachnikov par terre et le ramassa. Les sirènes de plusieurs ambulances commençaient à couiner dans le lointain. À Beyrouth, on réagissait vite aux explosions.

Il se dirigea vers le fond du terrain, statue de boue jaune, titubante, sourde, sonnée, ne réalisant pas encore l’ampleur de la déflagration. Une pensée de l’Écriture lui passa par la tête : Qui frappe par l’épée périra par l’épée … Des Fous de Baalbek, il ne restait plus que des morceaux de chairs déchiquetées. Il avait vengé Neyla, John Guillermin, le colonel Jack et tous les autres.

L’énorme trou où il avait basculé l’avait protégé du souffle et des débris, mais l’explosion l’avait quand même choqué. Il se retourna en escaladant le mur de terre : un énorme champignon de fumée blanchâtre montait vers le ciel, surplombant des incendies rougeoyants. Combien pouvait-il y avoir de morts. Dix ? Vingt ? Plus ?

De la base terroriste, il ne restait rien que des cadavres et des ferrailles tordues. Il aperçut des silhouettes surgissant de la fumée, brandissant des armes : des miliciens de Amal qui accouraient. Des balles sifflèrent, trop loin pour être dangereuses. Il chercha à s’orienter, l’estomac retourné par l’angoisse. Soudain, un très faible bruit de moteur lui fit lever la tête. Il aperçut le troisième ULM qui après s’être éloigné vers l’ouest, virait, se dirigeant vers Baabda !

Hurlant de rage, il se mit à courir comme un fou vers le sud, là où se trouvaient les Marines. Le troisième appareil qui avait échappé à la destruction, suffisait à remplir l’objectif des Fous de Baalbek.


* * *

Robert Carver, debout sur le toit de la villa voisine de la résidence de l’ambassadeur examinait le quartier chiite à la jumelle, sans rien voir de suspect. Il avait fait placer des sentinelles autour mais personne ne lui avait encore signalé la benne jaune. Pas de nouvelles non plus de Malko. Trois walkies-talkies posés près de lui, le reliaient aux principaux postes américains. Six hélicoptères des Marines, des « gun-ships » se tenaient prêts à intervenir. À côté de lui, une batterie de quatre mitrailleuses lourdes renforçaient le dispositif existant. Il consulta sa montre. Huit heures dix. Ils avaient encore le temps. Soudain, un brouhaha de voix, venant du chemin en pente conduisant à la résidence de l’ambassadeur le fit s’approcher du rebord de la terrasse. Il aperçut trois soldats libanais en train de lutter avec un civil. Par sa radio, il appela un des Marines de garde devant la résidence et lui demanda d’aller voir. Quelques instants plus tard, la voix d’un sergent le renseigna :

— C’est un marchand ambulant qui vient presque tous les jours …

— Pourquoi l’ont-ils arrêté ?

— Ils disent qu’il a un drôle d’accent. Il n’a pas de papiers et parle comme un Iranien.

— Qu’on le fouille.

Du rebord de la terrasse, il assista à l’opération. L’homme se débattait furieusement. Les soldats le mirent pratiquement la tête en bas afin de pouvoir le fouiller sous toutes les coutures … Quelque chose tomba de son pantalon et il poussa un hurlement inhumain. Le sergent des Marines l’avait déjà ramassé. Sa voix éclata dans le récepteur :

— Sir, on dirait un petit émetteur radio …

Robert Carver n’eut pas le temps de faire de commentaires. Le prisonnier avait réussi à se dégager. Comme un fou, il fonça vers un M113 voisin, l’escalada, balaya d’une manchette le servant de la mitrailleuse et s’en empara. Le lourd « pom-pom-pom » de la 12,7 fit trembler les cyprès. Le sergent des Marines tomba, ainsi que deux soldats libanais. D’autres accoururent, tirant de toutes leurs armes sur le M113. Le civil, déchiqueté par les balles, rebondit sur le blindage et, de là, sur le sol boueux. Le chef de la CIA dégringolait déjà les escaliers. Il arriva à temps pour voir à travers le T-shirt déchiré du mort, un portrait de Khomeiny tatoué sur toute la largeur de sa poitrine !

L’Américain ramassa l’objet tombé de la main du sergent. C’était un petit « bip », comme ceux dont on se sert pour ouvrir les portes de garage à distance. Assez puissant pour déclencher une charge explosive. Première preuve que l’information de Malko était bonne. Si l’homme était là, c’est que l’attaque n’allait pas tarder … Il remonta à toute vitesse vers son PC, sur le toit de la villa. Le Palais présidentiel se trouvait à moins d’un kilomètre. Donc Amin Gemayel ne l’avait pas encore quitté. Il fallait retarder le rendez-vous, quitte à perdre la face. Il avait, certes, confiance en Malko, mais ne se sentait pas le courage de jouer à la roulette russe avec la vie du Président libanais et celle de son ambassadeur. Tant pis pour la face.

Il arrivait à la terrasse quand une énorme explosion se répercuta sur les collines de Baabda. La colonne de fumée monta tout droit vers le ciel gris, près de la voie de chemin de fer, dans la plaine près de l’aéroport. Puis l’onde de choc secoua les arbres et l’air trembla, malgré la distance. Une des plus grosses explosions que Beyrouth ait connu. Malko avait peut-être réussi. Mais où se trouvait-il ? Personne ne pouvait avoir survécu dans un rayon de cent mètres. Robert Carver était encore en train de se poser toutes ces questions quand une des radios grésilla.

— Ici, Fox One, lui dit une voix, nous venons d’apercevoir un objet héli-volant, près de l’explosion. Vitesse lente et très basse altitude. Il se dirige vers l’est. Over.

La communication venait du poste de Marines installé sur le toit d’une station-service, à la limite de Bordj El Brajneh. Le sang de Robert Carver se glaça : Malko n’avait pas réussi. Il empoigna l’autre radio et appela :

— Ici, Fox Leader. Que les sixgun ships[23] décollent immédiatement et se portent sur Baabda. Repérez un ULM qui vole à basse altitude. Abattez-le sans sommations.

Il y eut un léger silence, puis une voix demanda :

— Ici, Fox One pour Fox Leader. Répétez « sans sommations ».

— Ici, Fox Leader, répéta Robert Carver. Affirmatif, affirmatif, affirmatif : « sans sommations ».

Il prit ses jumelles et les braqua sur le champ des Marines. Quelques secondes plus tard, le premier des gun ships s’éleva au-dessus du camp, suivi des cinq autres et les appareils en formation, prirent la direction de Baabda.

L’Américain balaya la rue de ses jumelles, cherchant l’ULM signalé. Le nuage de fumée le gênait : de plus, si l’engin volait à une vingtaine de mètres du sol, les collines et les rideaux d’arbres le cacheraient jusqu’à la dernière seconde. Il se retourna vers les servants américains des mitrailleuses.

— Tenez-vous prêts ! Un appareil suicide est en train de se diriger vers nous, chargé d’explosifs. Tirez dès que vous le verrez.

Les doigts crispés sur la détente, les servants guettaient le rideau d’arbres. Mais la résidence étant en contrebas, ils risquaient de voir l’appareil trop tard, au moment ou l’ULM se laisserait tomber dans le jardin ou sur le toit de la maison de l’ambassadeur. Robert Carver composa sur son téléphone le numéro du diplomate. Dès qu’il l’eut en ligne, il avertit :

— Sir, descendez dans votre abri, un appareil suicide iranien se dirige vers nous. Je vous préviendrai dès la fin de l’alerte.

— My God ! fit le diplomate, bouleversé. Et le Président ?

— Je le préviens.

Il raccrocha et appela, sur ondes courtes, le Palais présidentiel. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant d’obtenir le colonel en charge. Robert Carver se fit connaître et demanda :

— Où est le Président ?

— Il vient de partir, annonça l’officier libanais.

Robert Carver eut l’impression qu’on lui donnait un coup de pied dans le ventre.

— Oh, no ! murmura-t-il.

Il raccrocha sans explication et appela aussitôt le convoi présidentiel. Ça ne passait pas. Il essaya à plusieurs reprises, sans plus de succès. Pendant ce temps, le Président se rapprochait de la zone dangereuse. Même sa voiture blindée et ses gardes du corps ne pourraient le protéger de l’ULM suicide. Et soudain, il se souvint : la fréquence radio présidentielle changeait tous les matins. Il l’avait oublié dans la panique des dernières heures. Il lui était impossible de joindre le convoi en route vers le lieu de l’attentat. Frénétiquement, il tenta de nouveau de joindre le Palais.


* * *

C’est un léger ronronnement qui l’alerta. Robert Carver se dressa sur la pointe des pieds, essayant de voir par dessus la cime des arbres et crut que son cœur allait s’arrêter. Un petit ULM d’une dizaine de mètres d’envergure, avec un seul homme dans le cockpit, grimpait le long d’une colline pelée comme un malfaiteur escalade un mur. Arrivé à la crête, il se laisserait retomber de l’autre côté, chez l’ambassadeur !

Derrière lui il aperçut six silhouettes se rapprochant, beaucoup plus grosses : les gun ships. Ils l’avaient découvert trop tard. Comme s’ils avaient pu l’entendre, il cria :

— Jesus-Christ ! Tirez, mais tirez donc !

Des traits rouges partirent de l’hélicoptère de tête. Une fraction de seconde plus tard, une colossale boule de feu remplaça l’ULM. La terre trembla, une déflagration effroyable assourdit tout dans un rayon d’un kilomètre et le souffle balaya les mitrailleuses et les servants. L’hélicoptère des Marines qui avait tiré, pris par la vague d’air brûlant, explosa à son tour, ainsi que le second et le troisième. Les arbres se courbèrent, des débris volèrent dans toutes les directions, tuant ou blessant ceux qui n’étaient pas à l’abri. Balayé, Robert Carver fut arrêté douloureusement par la rambarde de pierre et tomba, le bassin fracturé.

La boule de feu se dissipa et il ne resta de l’ULM suicide qu’une épave se consumant au flanc de la colline. Le vent amena l’odeur âcre de l’hexogène, dissipant peu à peu la famée blanchâtre. Les trois hélicoptères survivants restèrent à tourner au-dessus de la colline réclamant un secours inutile. Personne n’avait pu survivre au brasier.

— Alerte rouge ! Alerte rouge ! Alerte rouge ! cria dans sa radio le chef de patrouille.

Sur les ponts des porte-avions, les équipages se ruèrent vers les appareils et les hélicoptères. Partout dans Beyrouth, les gens se téléphonaient, se demandant ce qui avait bien pu exploser chez les chiites … Robert Carver se demanda où était le président Gemayel. Et ce qui était arrivé à Malko.

Malko glissa et tomba, se releva, couvert de boue. Il avait l’impression d’avoir été pris dans une essoreuse, mais surtout, il avait perdu le sens de la direction et il était sourd ! Il se retourna ; plusieurs miliciens couraient dans sa direction, tirant au hasard des rafales de Kalachnikov. Son cœur cognait contre ses côtes et une pointe aiguë lui perçait le flanc droit. Il n’en pouvait plus. Soudain, il vit ses poursuivants s’arrêter, lever leurs armes vers le ciel. L’un d’eux tomba. Il tourna la tête et aperçut une grosse « banane Sikorski », un hélicoptère aux grandes portes latérales rectangulaires occupées par des mitrailleurs.

Les Marines.

L’appareil s’immobilisa au-dessus de lui et lança une échelle de corde. Il essaya de la saisir, mais il était trop faible. D’après le recul du canon et les flammes, il vit qu’une des mitrailleuses tirait, mais il ne l’entendait pas.

Le Sikorski s’abaissa encore, touchant pratiquement le sol. Des Marines sautèrent à terre, l’aidèrent à se hisser dans la carlingue et l’appareil repartit, en crabe, tirant de toutes ses mitrailleuses, pour se poser cinq cents mètres plus loin, à l’abri des sacs de sable du PC, sur le toit de la station-service. Un officier s’approcha et cria à Malko :

— Sir, nous avons l’ordre de vous transporter chez notre ambassadeur !

Malko comprit le mot « ambassadeur » et hocha la tête.

Il se sentait dans du coton. On l’entraîna et de nouveau, il se retrouva en l’air.

La première chose qu’il aperçut dans le jardin de l’ambassadeur fut une civière avec Robert Carver qu’on venait de descendre de sa terrasse. En dépit de sa douleur, l’Américain lui adressa un signe joyeux. Malko s’approcha de lui, vit un homme se précipiter et lui secouer vigoureusement la main. Il réalisa enfin qu’il n’entendait pas.

— Je crois que je suis sourd, fit-il.

Il s’accroupit auprès de Carver qui l’agrippa aussitôt.

— We made it ! We made it ![24] exulta le chef de poste de la CIA. Vous avez réduit ces salauds en poussière, il paraît … Le dernier a sauté ici. Ils ne sont pas près de recommencer …

Un peu plus loin, il aperçut un homme qui sortait d’une longue limousine et qui se dirigeait vers l’intérieur de la résidence, entouré d’un véritable mur humain : le président Gemayel.

Malko sentit la tête lui tourner. Il revoyait Farouk et ses dollars, le dos déchiqueté, et la gorge tranchée de Neyla. Et aussi le visage las et calme de « Johnny ». Il se sentait fatigué, terriblement fatigué. Un voile passa devant ses yeux. Il voulait dire des tas de choses, mais n’arrivait pas à prononcer un mot.

On le prit par le bras, deux infirmiers soulevèrent la civière de Robert Carver. Il monta dans l’appareil qui l’avait emmené. De nouveau l’air. Trois gun ships escortaient la « banane volante ». Ils passèrent au-dessus de Hadeth. La fumée n’était pas encore dissipée. Des ambulances stationnaient tout autour. Le pilote se retourna et leva son pouce en guise de victoire.

Jolly good job ![25] hurla-t-il.

Malko regardait Beyrouth, noyé dans la brume matinale, si calme en apparence. Qui se réveillait en ayant échappé à une nouvelle catastrophe. Grâce à lui. Il aurait dû en être heureux. Pourtant, il craignait, hélas, de n’avoir fait reculer le sablier du destin que de quelques grains de sable.

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