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Cher Christian,

Je t’ai attendu pour les vacances de Pâques. Ton lit était prêt, à côté du mien. Au-dessus, j’avais épinglé quelques images de footballeurs. J’avais fait de la place dans mon placard pour que tu puisses y mettre tes habits et ton ballon. J’étais prêt à t’accueillir.

Tu ne viendras pas.

Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas eu le temps de te dire. Je me rends compte, par exemple, que je ne t’ai jamais parlé de Laure. C’est ma fiancée. Elle ne le sait pas encore. J’ai prévu de lui demander de m’épouser. Très bientôt. Une fois que la paix sera là. Avec Laure, on se parle par lettres. Des lettres envoyées par avion. Des cigognes de papier qui voyagent entre l’Afrique et l’Europe. C’est la première fois que je tombe amoureux d’une fille. C’est une drôle de sensation. Comme une fièvre dans le ventre. Je n’ose pas en parler aux copains, ils se moqueraient de moi. Ils diraient que j’aime un fantôme. Parce que je ne l’ai encore jamais vue, cette fille. Mais je n’ai pas besoin de la rencontrer pour savoir que je l’aime. Nos lettres me suffisent.

J’ai tardé à t’écrire. J’étais trop occupé ces temps-ci à rester un enfant. Les copains m’inquiètent. S’éloignent de moi chaque jour un peu plus. Se chamaillent pour des histoires d’adultes, s’inventent des ennemis et des raisons de se battre. Je comprends mieux pourquoi mon père nous interdisait, à Ana et à moi, de nous mêler de politique. Il a l’air fatigué, Papa. Je le trouve absent. Distant. Il s’est forgé une épaisse cuirasse de fer pour que la méchanceté ricoche sur lui. Alors qu’au fond, je le sais aussi tendre que la pulpe d’une goyave bien mûre.

Maman n’est jamais revenue de chez toi. Elle a laissé son âme dans ton jardin. Elle s’est fissuré le cœur. Elle est devenue folle, comme le monde qui t’a emporté.

J’ai tardé à t’écrire. J’écoutais un florilège de voix me dire tant de choses… Ma radio disait que l’équipe du Nigeria — celle que tu soutenais — a gagné la Coupe d’Afrique des nations. Mon arrière-grand-mère disait que les gens qu’on aime ne meurent pas tant qu’on continue de penser à eux. Mon père disait que le jour où les hommes arrêteront de se faire la guerre, il neigera sous les tropiques. Madame Economopoulos disait que les mots sont plus vrais que la réalité. Ma prof de biologie disait que la terre est ronde. Mes copains disaient qu’il fallait choisir son camp. Ma mère disait que tu dors pour longtemps, avec sur le dos le maillot de foot de ton équipe préférée.

Et toi, Christian, tu ne diras plus jamais rien.


Gaby

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