CHAPITRE V

Une neige épaisse et pure étouffait le jardin de l’église. Les branches des sapins ployaient sous leur charge étincelante. De raides buissons de sucre se haussaient en désordre derrière les fils de fer givrés. Dans le matelas de mousse blanche qui capitonnait le siège des bancs, un gamin avait tracé ses initiales. On voyait, au creux des lettres, luire le bois craquelé. Un vent léger agita la cime des arbres. Des flocons palpitèrent, descendirent dans l’air limpide, et Volodia sentit leur caresse fraîche sur ses lèvres.

Il goûta, d’un coup de langue, cette eau glacée, qui avait le parfum du muguet. Deux femmes passèrent, la tête recouverte de châles. Volodia les regarda cheminer à petits pas vacillants dans l’allée neigeuse, contourner un massif, reparaître, plus loin, sur les marches de l’église. Depuis trois jours, il se postait à la même heure, devant cette même église, que Svétlana lui avait dit fréquenter assidûment. Et, depuis trois jours, pas une seule fois il ne l’avait vue. S’était-elle moquée de lui ? Elle en était bien incapable. D’ailleurs, elle n’imaginait certes pas qu’il eût l’audace d’utiliser ce pieux renseignement à des fins vulgaires. « Je perds mon temps. Elle n’est pas venue. Elle ne viendra pas. Ou, si elle vient, elle se fâchera de me voir aux aguets, comme un potache. Ces fillettes-là se font de la prière une idée si haute, si étrange… » Un instant, il eut envie d’aller boire du porto et grignoter des amandes chez Maxime. Il connaissait là-bas une servante très drôle. Puis, il se reprocha cette prédilection pour les conquêtes faciles. De petites vieilles frileuses et bavardes le dépassèrent. Par la grille du square, les fidèles affluaient en groupes noirs et pressés. Tout à coup, Volodia recula prudemment et se cacha derrière un sapin aux branches haillonneuses : elle venait ! Enfin ! Son visage était celui d’une enfant studieuse. Lorsqu’elle se fut éloignée, Volodia compta jusqu’à cent et, à son tour, se dirigea vers l’église.

C’était une petite église aux murs roses, aux coupoles d’or glacées de neige. Sur les marches, quelques mendiants tendaient leurs sébiles. Une odeur forte de cire et d’encens annonçait l’entrée du saint lieu. Volodia se mêla à la foule qui, debout, sous la haute voûte décorée de fresques, traversée de nuages, d’auréoles et d’inscriptions slavonnes, écoutait le chant profond du chœur. Soudain, toute l’assistance se prosterna, rejoignit la terre. Volodia s’agenouilla, lui aussi, inconsciemment. À côté de lui, un cocher frappait les dalles du front et se signait le ventre en murmurant des paroles ardentes. Avait-il tué quelqu’un, ou perdu son fils, ou trompé sa femme ? Volodia jugeait cette extase anachronique et barbare. Comme les fidèles se relevaient, il songea au mot de Voltaire : « La messe est l’opéra du pauvre. » Un bel opéra, certes, où les gens humbles pouvaient se soûler de musique, de parfums, de mystère. Lui, ne marchait pas. Il admirait cela de loin, en sceptique. Tout au plus cherchait-il un sens ésotérique à l’entrée, à la sortie du prêtre, au transport des éléments du sacrifice de l’offertoire à l’autel, aux génuflexions du diacre, tenant l’Évangile contre son front. Ce lent cérémonial byzantin ne manquait pas d’une certaine noblesse. Et il était normal que des âmes simples fussent impressionnées par la liturgie. Mais Svétlana ? Était-elle aussi crédule que ce cocher, que cette vieille femme en fichu, qui multipliaient leurs saluts au tabernacle ? Il était plaisant de penser que cette fillette croyait au paradis avec ses nuages de carton, à l’enfer avec ses feux de Bengale, aux saints administratifs, aux miracles du pain et du vin. La ferveur qu’elle dédiait aux martyrs l’enrichissait à son insu d’une grâce touchante. On avait envie de la défendre, de la détromper, de la cajoler, de la salir un peu. Où diable était-elle cachée ? Eh ! parbleu, le plus près possible d’une icône. Sous un buisson de cierges allumés. Jouant des coudes, Volodia se rapprocha d’elle et toussota discrètement pour attirer son attention. Elle leva la tête. Il tressaillit, à voir de si près le joli visage éclairé par les flammes dansantes. Les yeux étaient grands, lucides, les narines menues avaient des transparences roses vers le bord. Un étrange chapeau à plumes – cadeau de Marie Ossipovna – oscillait sur son front.

— Je m’excuse de vous troubler, dit Volodia.

Mais elle porta un doigt à ses lèvres, baissa les paupières et se tourna vers l’iconostase brillante. Visiblement, elle ne voulait pas être dérangée. Il fallait attendre la fin de la messe pour lui parler. Or, la messe était interminable. À demeurer debout, parmi cette foule immobile, Volodia se sentait gagné par la fatigue. Ses mollets devenaient de bois. L’odeur de l’encens lui donnait la nausée. Il admirait que cette frêle fillette supportât mieux que lui la discipline de l’Église.

Tout à coup, un mouvement de reflux parcourut les fidèles, et la foule s’agenouilla de nouveau en soupirant, comme un bétail. Pour se distraire, Volodia détaillait du regard les cheveux follets qui bouclaient sur la nuque de Svétlana, et que la lumière des cierges transformait en filigranes de feu. Le pied gauche de la jeune fille était à portée de sa main. Sous sa jupe retroussée, il voyait une semelle étroite, usée, un talon pointu. Cette pauvreté soigneuse était émouvante. Volodia releva le front. Autour de lui, s’étalait une chaussée de crânes inclinés, un grand chemin de têtes soumises, qui s’en allait, de bosse en bosse, vers l’autel et ses prêtres d’or. Et Svétlana n’était plus soudain qu’une pierre entre toutes les pierres de la route. Le prêtre dressait un bras solennel pour bénir cette voie humaine, nivelée au passage du Christ. Un torrent de musique traversait les nuages troubles de l’encens. Le chœur chantait :


Je vois ton trône, mon Sauveur


À gauche, des voix plus douces répliquèrent :


Transperce de rayons l’enveloppe de mon âme,

ô source de lumière


Svétlana chantait avec le chœur. Volodia distinguait sa voix dans l’ensemble, comme un fil d’argent. Et il en suivait les méandres avec délices, les yeux mi-clos, le cœur noyé de gratitude. Il lui sembla, brusquement, que l’office était dédié à la beauté, à la bonté de Svétlana. C’était elle qu’adorait cette foule obéissante. Volodia se signa rapidement et sortit de l’église, car la tête lui tournait un peu.

La messe tirait à sa fin. Par la porte ouverte, les fidèles se dispersaient lentement, et on entendait la plainte monotone des mendiants, assis à croupetons sur les marches, et le tintement des monnaies dans leurs sébiles. Svétlana parut enfin. Volodia vint à sa rencontre. Avant même de lui dire bonjour, elle s’écria :

— Le père Sabel a été admirable !

— Meilleur que jamais, dit Volodia avec une conviction hâtive.

— Je ne savais pas que vous fréquentiez cette église, reprit-elle.

— Mais si…

— Comment se fait-il donc que je ne vous y aie jamais rencontré ?

— Il y a tant de monde !…

— Oui, tant de monde ! C’est bien. On prie mieux ainsi. Et moi qui vous croyais moqueur, incrédule…

— C’est un air que je me donne, dit Volodia. Comme ça, on me laisse en paix. Dans notre monde, vous savez, il ne sied guère de paraître pieux.

Elle l’approuvait avec tristesse.

— Je joue donc au libre penseur, poursuivit Volodia. Mais, en secret, je viens prier ici…

Il hésita, chercha un terme plus noble.

— Je viens ouvrir mon âme à Dieu, dit-il enfin. Je passe un long moment, caché à l’ombre d’un pilier, dans le murmure des prières.

— Il ne faut pas se cacher, dit-elle gravement. Il faut être fier de sa foi. Surtout un jour pareil !

— Un jour pareil ?…

— Le 13 décembre est le jour de saint Eustrate, martyr, de saint Eugène et de saint Orest…

— Quel est donc le jour de votre sainte patronne ?

— Le 20 mars, dit-elle. En même temps que les sept vierges martyres Alexandra, Claude, Euphrasie, Matrone, Juliana, Euphémie et Théodosie.

— On vous assimile aux sept vierges martyres ? dit-il en riant.

— Pourquoi riez-vous ?

— Pour rien. J’ai encore beaucoup à apprendre. Savez-vous que j’ai failli me trouver mal à l’église ?

— Oui, l’office a été très long, dit-elle.

Ils firent quelques pas dans l’allée. Volodia n’osait prendre le bras de la jeune fille et se sentait un peu ridicule à ses côtés, comme un novice.

— Bientôt viendront les grandes fêtes, dit-elle. J’aime tant les préparatifs de la Noël. Il y a un tel mystère dans la nuit froide qui annonce la naissance du Christ ! Je ne crois pas que la Noël puisse être aussi belle en France, en Italie, où il n’y a pas de neige. Il faut de la neige, beaucoup de neige.

Elle ramassa de la neige dans ses mains, la modela un peu, la toucha du bout de la langue. Volodia sentit qu’il allait dire des bêtises.

— Je… vous reviendrez dans cette église ? balbutia-t-il.

— Mais oui !

— Moi aussi. Mais il ne faudrait pas dire à Marie Ossipovna que vous m’y rencontrez.

— Qu’y a-t-il de mal à cela ?

Elle ouvrait ses grands yeux candides.

— Rien, rien, dit-il. Mais Marie Ossipovna est si étrange. Simplement pour nous contrarier, elle pourrait vous interdire de me voir. Et j’en serais très malheureux…

Elle ne répondit pas et baissa la tête.


Chaque jour, il vint la rejoindre à l’église, et elle ne semblait pas surprise de le voir aussi ponctuel dans ses dévotions. Les génuflexions nombreuses de Volodia, ses largesses aux mendiants, ses achats massifs de cierges et d’hosties le rendaient même, de jour en jour, plus sympathique à Svétlana. Jadis, elle avait peur de lui. Elle se disait qu’il cachait un naturel pervers sous des apparences affables. Maintenant, elle croyait le comprendre et s’étonnait de l’avoir si longtemps redouté. C’était un brave garçon, honnête, pieux, travailleur et solitaire. Bien qu’il ignorât inexplicablement certains détails de la liturgie, sa foi paraissait ardente et méritait d’être encouragée. Leurs tête-à-tête, dans le square de l’église, étaient consacrés à des conversations édifiantes. Svétlana éprouvait du plaisir à lui parler de son enfance et des vertus de la religion. Lorsqu’elle se séparait de Volodia, elle se sentait légère et chantante, et elle remerciait Dieu d’avoir envoyé sur sa route une âme de cette qualité.

Quelques jours avant les fêtes, Volodia lui offrit une promenade en ville, et elle accepta gaiement sa proposition. Jamais encore, il ne l’avait accompagnée dans la rue. Et, à la veille de Noël, Moscou avait un visage si amical et si joyeux, que c’était un péché de le méconnaître. Ils louèrent un traîneau à une station proche de l’église. Volodia cria au cocher :

— Va toujours. On t’arrêtera.

Les chevaux s’élancèrent à travers les rues blanches.

— Moins vite, dit Svétlana. Je ne peux rien voir.

Le traîneau ralentit. Volodia s’était rapproché de la jeune fille et lui serrait la main sous la couverture de drap. Volontairement, il se désintéressait du spectacle mouvementé de la rue et n’observait que Svétlana, si menue, si rose dans l’air gris. Il s’attendrissait sur la qualité fine de sa peau, sur les minuscules veines bleutées de ses tempes, sur la fraîcheur fruitée de ses lèvres. Tout à coup, elle se mit à rire en désignant une fillette qui avait laissé échapper son ballon rouge. Le ballon rouge montait en se dandinant, aspiré par l’abîme mauve du ciel. Il fut un point écarlate dans l’immensité sans rives où fermentaient de lourdes fumées. Svétlana le regardait encore, la tête renversée, les yeux écarquillés, et le sang chauffait ses joues duveteuses. Puis, le ballon disparut, éclaté dans un courant d’air pathétique.

— Oh ! dit-elle d’une voix triste.

Mais, aussitôt, elle tendit la main vers un magasin aux vitrines illuminées :

— Regardez ! Regardez !…

Ils descendirent de voiture. Autour d’eux, dans la ville engloutie sous la neige, mille indices annonçaient l’approche de Noël. Des bosquets de sapins s’accotaient aux murs des maisons. Les acheteurs les palpaient, dépliaient leurs branches raidies, payaient le marchand et s’en allaient avec un arbre en travers de l’épaule. Des arbres, on en voyait d’énormes, qui encombraient de riches voitures aux carrosseries de laque bleue, et de tout petits qui dodelinaient de la tête au fond d’un misérable traîneau. Une forêt ambulante coulait à travers les rues. Sur la place du Théâtre, des aiguilles vertes ponctuaient la neige. Un parfum de résine flottait dans l’air et se mêlait au parfum de la pâtisserie. Les enfants s’écrasaient le nez contre la glace des devantures où gîtaient pêle-mêle des angelots en sucre, des pères Noël, flanqués de pétards en dentelle, et des poupées de luxe, couchées, avec leur trousseau, dans des boîtes d’argent. Des dames très élégantes regardaient les passants à travers leur lorgnette. Un monsieur sortit du magasin de jouets de Mamontoff, accompagné de deux commissionnaires, à casquettes rouges, qui portaient des brassées de colis légers. Chez Siou et chez Abrikossoff, une nuée d’employés se démenaient dans l’odeur chaude et grasse du chocolat. Les bijoux de la maison Fabergé scintillaient sur des montagnes de velours bleu. Le fourreur Mikhaïloff avait exposé un renard empaillé dans une forêt en papier de zinc. Et Mme Aurélie avait installé une constellation de chapeaux dans des nuages de violettes.

Les réverbères s’allumaient çà et là, en sifflant. Le pont Kouznetsky était un carrousel de têtes. Tant de monde. Tant de joie. Tant de cadeaux. On ne voyait plus les pauvres. Svétlana, ivre, lasse, avoua qu’elle avait faim. Volodia arrêta un traîneau et se fit conduire aux « Rangées » qui bordent la place Rouge. Là, ils descendirent quelques marches de pierre glissante et pénétrèrent dans un restaurant où on leur servit des pâtés en croûte, gonflés et brûlants, avec du gruau gris. Dès les premières bouchées, Svétlana déclara qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle était repue :

— C’était si beau ! J’ai la tête qui tourne. Je ne veux plus penser à rien.

Il s’attendrit. Il l’appela :

— Petite fille !

Secrètement, il regrettait de ne lui avoir rien acheté pour les fêtes. Il eût aimé la combler de cadeaux et jouir de sa confusion. Mais il n’en avait pas le droit. Il la connaissait à peine. Et puis, Michel, Tania, Marie Ossipovna l’apprendraient tôt ou tard – Svétlana était naïve, si maladroite – et en profiteraient pour compromettre leur idylle. Volodia tapa du plat de la main sur la table.

— On ne peut jamais faire ce qu’on veut, dit-il.

— Que vouliez-vous faire ?

— Vous rendre un peu plus heureuse.

— Mais je le suis.

Il devint rouge.

— Voulez-vous m’accompagner dans un magasin ? J’aimerais avoir votre opinion sur un cadeau.

Et il l’entraîna dans le premier magasin venu, parmi les innombrables boutiques des « Rangées ». Il avait besoin de dépenser son argent pour elle. Devant le comptoir de papeterie, il hésita quelque peu et finit par demander un coupe-papier. On lui en montra de toutes les sortes, en écaille, en nacre et en ivoire. Le coupe-papier en ivoire recueillit les suffrages de Svétlana.

— Je ne sais à qui vous voulez l’offrir, disait-elle, mais moi je le trouve joli. Surtout les petites fleurs qui sont peintes dessus !

Volodia acheta le coupe-papier, un encrier de cristal avec une plume d’oie toute rose, et une petite statuette en bronze, représentant un patineur et une patineuse qui se tenaient par la main. Tandis qu’il payait ses acquisitions à la caisse, Svétlana ne le quittait pas des yeux et murmurait :

— C’est si cher !… Si cher !…

Volodia l’entendait et avait envie de pouffer de rire, de l’embrasser, de la rouler dans la neige. Ils sortirent, escortés par le vendeur qui faisait des courbettes. Dans la rue, Volodia se rapprocha de la jeune fille, lui tendit le paquet et dit d’une voix sourde :

— Voilà… C’est pour vous… En souvenir de la promenade…

Le visage de Svétlana s’était enflammé d’un coup. Elle respirait vite. Ses yeux cherchaient un conseil sur les figures des passants. Elle finit par bredouiller :

— Mais je ne comprends pas… Mais ce n’est pas possible…

— Ne sommes-nous pas des camarades, des amis ?…

Cette pensée la rassura. Deux fossettes jouèrent aux commissures de ses lèvres.

— Oui, des amis, dit-elle.

— Alors, en gage d’amitié, vous allez accepter ce présent trop modeste…

— Et moi, je ne peux rien vous donner, dit-elle.

Il voulut répondre une galanterie, mais se retint, le cœur battant, la gorge sèche. Brusquement, elle ouvrit son sac à main, fourragea parmi des mouchoirs, des carnets, et remit à Volodia une minuscule icône en plomb, barbouillée de couleur jaune.

— Je la portais toujours sur moi. Elle me protégeait. C’est saint Nicolas.

Volodia prit l’image de plomb, l’appliqua à ses lèvres et la glissa dans la poche de son manteau. Il était lâchement ému. Il toussota. Elle le regarda droit dans les yeux, si fort, si loin qu’il dut baisser les paupières.

— Et maintenant, que faisons-nous, dit-il.

Elle proposa de rendre visite à la chapelle de la Vierge ibérienne.

— Nous avons déjà été à l’église, dit-il prudemment.

— Et alors ?

— Rien. Je suis d’accord. Je vous suivrai partout.

Sur le parvis, se pressaient des nonnes quêteuses, vêtues de noir. Elles tenaient à la main le livre des offrandes. Leurs visages étaient marbrés par le froid. De leur groupe montait une plainte monotone :

— Pour un saint refuge dans la misère… Pour redorer l’icône miraculeuse… pour relever les murs d’un monastère…

Volodia tendit deux roubles à une nonne grelottante.

— Elles restent là, dans la neige, pendant des heures, à rassembler quelques kopecks, dit Svétlana tristement. Et vous avez dépensé tant d’argent pour moi !

Ils entrèrent dans la chapelle et s’agenouillèrent côte à côte. Les mèches des cierges charbonnaient. Les faces des fidèles oscillaient dans une buée rougeâtre. Svétlana priait. Volodia regarda sa montre et toucha le bras de la jeune fille :

— Il est temps de rentrer. Marie Ossipovna s’inquiéterait de votre longue absence.

Le ciel était sombre. Il neigeait doucement. Dans le traîneau qui les ramenait, Svétlana était songeuse.

— Plus tard, je veux être comme ces nonnes, dit-elle. Me sacrifier, me sacrifier jusqu’à la limite des forces.

Volodia lui pétrissait les doigts. Et elle se laissait faire, absente. Ils s’arrêtèrent à la porte Nikitskaïa. Svétlana sauta à terre, sourit vaguement, agita la main et se dirigea à petits pas rapides vers la maison des Danoff. Elle avait très peur d’être en retard. Mais, dès le vestibule, elle oublia ses craintes. Michel Alexandrovitch venait de rentrer à l’improviste, après son long voyage d’affaires à Astrakhan et en Pologne. Toute la famille était en liesse. Les domestiques couraient dans les corridors. Et Marie Ossipovna attendait, devant la porte de son fils, qu’il eût pris son bain et voulût bien la recevoir.

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