Confondons pas : y a bruit et bruit, hein !
T’as le bruit catégorique, comme celui d’une détonation. Le bruit modeste d’un outil manié, ou d’un objet déplacé. Le bruit d’ambiance, comme par exemple celui de la rue, d’une route, d’une gare. Le bruit dont tu doutes parce qu’il est à peine audible et instantanément dissipé.
D’autres, bien d’autres.
Celui que j’allusionne à la fin du prodigieux chapitre précédent est du genre sporadique mais lancinant. J’entends par là qu’il est de faible intensité, très bref, mais qu’il se répète. Dans des cuisines bien équipées, t’entends ce genre de court zonzon qui s’escamote tout de suite pour reprendre à intervalles réguliers. Des machines à laver qu’on règle à convenance et qui font le boulot pendant que la ménagère va au chibroque.
Il se produit un truc, attends, bouge pas, comme : « tzzzzon ». Voilà attends : « tzzzzzon » ! Ça y est, c’est ça, fallait un « z » de plus. « tzzzzzon ». Et puis un arrêt de dix secondes. Et je pense tout de suite qu’il doit s’agir d’une machine au père Chultenmayer. Seulement, pourquoi fonctionnerait-elle puisque le savant est « out » ?
Moi, tu connais mon tempérament tracassiste, souvent ? Le combien ça peut me hanter, une connerie, même insignifiante. Tu sais tout bien comme, pas vrai, depuis le temps qu’on, tous les deux.
Alors t’étonne pas que l’Antonio batte illico, non pas la campagne, mais la maison. Il visite le labuche, et puis la resserre (bien lavé ça ressert). Ensuite, il descend au sous-sol, là que d’autres salles de recherches et d’expérimentations inquiètent par leur monstrueux appareillage que l’inquiétant est de pas piger à quoi il sert, tu comprends ? L’angoisse vient toujours de l’incompréhension. On ne redoute vraiment que ce que l’on ne comprend pas. Un danger très net, explicite, bon, on lui fait front carrément, on se disperse pas l’énergie en questions gigognes. Mais là…
Et c’est dans une petite boutique noire que je découvre le pot aux roses.
L’on dirait une salle de projection privée, ou, plus exactement, le coin de la visionneuse dans une salle de montage. Attends, si je t’explique pas un bout de bribe, t’es marron de la comprenette. Et faut que tu saisisses, pour une fois, quoi, merde ! Je vais pas te laisser canner idiot en plein !
Imagine un bloc noir, de la grosseur d’un gros téléviseur. Mais le cadran de ce faux poste tévé est à l’intérieur du coffrage, en recul d’une douzaine de centimètres, tu comprends ? Est-ce que tu comprends bien ? Dans la partie supérieure dudit coffrage, se trouve une sorte d’appuie-front, ce qui t’indique qu’on doit mater l’écran à bout portant ou presque. Un long tube métallique flexible part du côté gauche de l’appareil (ou du droit si t’es gaucher, moi, tu penses, pour ce que ça me coûte). Ce tube est long d’au moins trois mètres. Il est terminé par un petit chplaftz rond et plat qu’il faut presser pour déclencher le bouzin.
Suivi ?
Parfait.
En face du téléviseur bidon, est un siège pivotant, sans dossier, réglable donc, qui permet au visionniste de se placer à la bonne hauteur, n’importe sa taille.
Et alors, ce rapide tableau étant brossé comme un habit des dimanches ; ne reste plus qu’à te le compléter en t’informant que messire Béru est assis sur le siège, que son front taurin est posé contre l’appuie-tronche, qu’il a le chplaftz déclencheur dans la main, et qu’il reste immobile comme sans doute l’évêque Cauchon devant sa cheminée, les soirs d’hiver, après le turbin de Rouen : enfin, du moins, j’espère pour sa pomme.
J’appelle :
— Béru !
Mais il ne bronche pas.
Seul, le « tzzzzzon » de la visionneuse découpe l’épais silence en rondelles.
Santantonio se précipite. Saisit son aminche aux épaules et l’arrache à sa contemplation.
Un coup d’œil à l’écran.
Je comprends qu’il soit passionné par le programme, le Faramineux. Là là, quel documentaire ! Sur le minuscule écran, ça représente une dame ravissante, comme quoi elle ouvre aussi grandes les jambes que, jadis, le bon de Gaulle les bras, et qu’on lui voit tout le panorama, urbi et orbi, et que cette friponne, tu sais quoi ? Referme un peu le bouquin qu’on puisse pas lire par-dessus ton épaule, je voudrais pas avoir des turbins avec la censure rapport que des mineurs de moins de douze ans (car c’est ça la majorité légale, je crois bien, dorénavant, non ?) lisent des éhonteuseries. Eh bien, cette remarquable enfant de salope se carre in the bab’ un gode surdimensionné ; mais alors du braque de cauchemar pour pédoque hémorroïdaire, du braque pouvant servir d’enseigne à un boxon soudanais, du braque comme même dans les histoires d’O, d’eau de bidet, de vin de fesse, on n’oserait pas te le proposer à croire. Plus que féroce, le chibroque monstrueux, inacceptable, marteau-pilonneur, qu’abolirait la loi phallique. De la fausse bite démentielle, capable de servir de monture à une sorcière, voire à un apprenti sourcier. Or, la donzelle, contre : toute vraisemblance, vents et marées, mauvaise fortune bon cœur, pèterie, bande, pied, poids, proposition, ut et voie, parvient à se le stigmatiser dans l’effréneur de modulation, sans s’estropier le frifri, ni même se l’effractionner. Jusqu’à la garde ! Froutt ! Disparu ! Coucouchepanier !
Après quoi, elle le va-et-viente un brin, imiter le flux et reflux humain, très comme il faut. Et naturellement elle prend des mines, des révulsions, convulsions, trémulsions. Une imitation parfaite du beau coït qui attriste si fort l’animal. Quand elle redégaine le petit obélisque à tête fouineuse, elle le brandit en gros plan, montrer que sa pâmade, c’était pas de l’imitation de crocodile comme les portefeuilles de bazar. Et le filmet (car il ne mesure pas plus de trois minutes) cesse, pour réitérer séance tenante car il est sur boucle et la dame s’engode en permanence, ne laissant même pas le temps à la direction de vendre les sacro-saints esquimaux entre deux projections.
J’arrache le chplaftz de la main béruréenne. Le Gros se laisse faire sans rien dire. Il est tout sonné, dirait-on. Je presse le compulseur endémique de tractation, ce qui a pour effet de stopper le programme net. L’écran devient opaque comme un œud d’.
— Eh bien, Prosper, gouaillé je, car je suis terriblement gouailleur, si tu l’auras remarqué.
Y a pas plus gouailleur que moi. Je gouaille dans toutes les circonstances : en marchant, en dormant, et même en faisant l’amour. Gouailler est mon vice, ma raison d’être, ma seconde nature, mon n’hobby, la fleur de mon esprit, le trop plein de mon âme, l’éjaculation précoce de ma pensée, la flamme de mon subconscient. Je me gargarise de gouaille, m’en oins, m’en torche, m’en mets en torche, m’en affûte les extrémités auxquelles je suis amené. Je suis gouailleur professionnel, quoi.
Et donc, ici, penché sur l’hébétude de mon collaborateur, je trouve le moyen de lui gouailler mon inquiétude.
— C’est un brin de film érotique qui te file dans le coltar ?
Il me lève contre deux pauvres yeux rouges et proéminents comme des coquilles de protection contre les UV (en français épiscopal : ultraviolets, merci).
— C’est à quel sujet ? il me demande, le timbre plus pâteux que s’il l’avait trempé dans de la gomme arabique.
Holà ! Youyouille ! Qu’est-ce qu’il lui prend, tout soudain, au Dodu ? D’abord, c’est quoi, cette visionnette ? Le fait que son déclencheur soit au bout d’un long conduit de trois mètres ne me dit rien qui vaille. Ce, d’autant plus (ou moins, tu choisis, je t’en prie, t’es chez toi !) qu’à moins de deux mètres de l’appareil noir se trouve une sorte de paravent, attends que je le touche…
De plomb ! Un paravent de plomb, pis que chez les radiologues. Ce qui ramène à définir que de la chatte excavateuse de la dame du film, sortent également des radiations dangereuses. Et mon œuf de Béru qui, louftingue à bouffer de la bite de gorille en salade, vient tout planplan s’asseoir devant ce bigntz et se paie une auto-séance, l’Empaffé ! Rien laisser perdre quand y a une possibilité de connerie qui se profile à son horizon merdique ! En v’là un, je te jure… Comment il fait pour être encore vivant à notre époque, je me demande. Il a dû passer un pacte avec le Diable, ce gros Fausto.
— Tu m’entends, dis, tas de larves ?
— Eh bé voui. Bé voui ! bée-t-il. Mais qui vous êtes, m’sieur ?
Un frisson, assez léger au départ, comme une brise à la surface d’un plan d’eau me décarre de la raie culière et va s’égayer dans mon rectum de cérémonie avec une force de Beaufort 6.
Mon Dieu et cher Seigneur, l’interpellé-je. Se pourrait-il que cet engin de merde eusse détraqué la raison si pourtant solide de mon brave Sanchu Pançu ? Auriez-Vous permis une telle iniquité afin de lui punir la curiosité ? Est-ce là la rançon de trois petites minutes documentaires sur le godemiché considéré comme un des beaux-arts, bien qu’étant article de bazar ?
— Te foutrais-tu de ma tirelire, Alexandre-Benoît ? insisté-je avec l’aine air gît dû dé S poire (quand je ferai partie de lac anémie franc seize, je ne me permettrai plus ce genre de face et scie).
— Écoutez, m’sieur, marmonne l’Emplâtré, j’vous connais pas, j’n’ons point c’t’honneur. Et si v’voudrez me tutoillier, faudrait z’au moins m’donner vot’nom.
Hélas, hélas, hélas…
Oui : trois fois hélas.
Que dis-je : mille fois hélas, je ne vais pas lésiner avec un ami de toujours. Force m’est de me rendre à machin : Sa Majesté, à moins qu’elle ne simule, et ça m’étonnerait, a partiellement perdu la raison. Tu t’attendais à un coup de ce genre, tézig ?
Oui ?
Comment, oui ?
En ce cas, viens t’asseoir ici et déconne à ma place, mon ami : moi j’irai pointer à la tienne !