Il ne pourchassait pas seulement le toucan Tamon, l’ornithologue. C’est bourré de cages zoizeleuses dans le véhicule. Et elles-mêmes sont pleines d’oiseaux aux couleurs flamboyantes. Y a des zozo-élyzéens tricolores, des grands-ducs de Gérolstein, des paons à flûte, des jacamars André, des colibris coleurs, des casoars de Cinq-Sirs, des tétras Logie, des milans Sans-Rémo, et d’autres, tant d’autres que je me rappelle plus les noms…
Les zoizeaux, si tu veux mon avis, c’est joli mais c’est braillard. Tu jurerais une manif du M.L.F., cette Range-Rover. Ça jacasse, ça caquette, ça pépie, ça cuicuite, ça glapit à t’en pulvériser les étiquettes.
Mais je finis par oublier ce concert pour élever mon âme et remercier chaleureusement la Providence. Là, pardon, elle m’a consenti une drôle de fleur, tu diras pas le contraire ! Être expulsé d’un avion et se recevoir dans un filet, alors que parfois, au cirque, même des acrobates chevronnés tombent à côté de l’épuisette, si c’est pas une gracieuseté de la Providence, ça, je te rembourse la boîte de pilules de ta bonne portugaise !
Une piste sinue dans la magnifique forêt ivoirienne. Comme le jour décline, plus vite que ta santé, j’ivoiriens.
L’avion a dû rejoindre sa base. Ont-ils virgulé les femmes du père Chultenmayer, comme ils l’en menaçaient ? Ou bien le vieux a-t-il cédé à la menace après la sévère démonstration dont je fis les frais ?
Probablement pas. Qui donc pourrait résister à pareille menace ? Voir sa femme, sa fille, n’importe qui d’ailleurs, jeté depuis un kilomètre d’altitude. Tomber en tournoyant comme la feuille morte, laquelle a le privilège, du moins, d’être morte avant de tomber !
Bon, admettons qu’il ait cédé.
Alors ?
Un léger frisson me gribouille les pines d’or sale.
Si c’est le cas, demain…
Il ne faut pas.
Je suis encore là, moi, Santonio, pour tout empêcher.
Et même…
Maman est en train de préparer son foutou en écrasant dans un mortier aussi propre que les chiottes d’une gare afghane des bananes vertes, du manioc et de l’igname.
Comme cet exercice la surmène, elle se soulage par des rots fracassants dont est agité le rideau de perles séparant son antre de l’extérieur.
— Encore toi ? elle me dit avec son beau rire gingival qui met superbement en valeur une ultime dent noire.
— Je voulais savoir si tu as revu Benjamin, Maman ?
Elle accentue son rire radieux, et je dévisage ses amygdales crémeuses en réprimant un incoercible frisson, comme on écrivait puis dans les romans de dames d’autrefois.
— Il vient juste d’arriver avec une grande malle, me répond (et chaussées)-t-elle. Et même qu’il a envoyé chercher Bokono pour l’aider à la remporter jusqu’à la voiture qu’est là dehors.
Je tombe à tu sais quoi ? Non pas à trèfle ! A pique !
Le pittoresque, c’est que la grosse vieille qui connaît pourtant la chambre de son locataire et la chétivité de ses hardes, ne s’étonne pas qu’il ait de quoi emplir une malle et besoin de main-d’œuvre pour, ensuite, la coltiner. Non, c’est comme ça. Et même comme ci !
— Dis à Bokono de ne pas se déranger, je vais l’aider, moi.
Et je retourne dans la piaule du gars.
Il n’avait seulement pas bloqué la porte, te dire sa confiance dans l’inertie ambiante ! Il cloque le cadavre à Sterny dans une vieille malloche d’osier, toute déglinguée, suant et soufflant vu la lourdeur du défunt.
— Attends, fils, je vais t’aider !
A peine s’il tressaille, ce paf ailé ! Ma venue le surprend tout juste. Il est vrai qu’il n’a pas assisté à mon parachutage express et qu’il peut donc envisager mon éventuelle libération.
Il me dit merci.
Je lui réponds : « Pas de quoi », parce que c’est vrai : y a pas de quoi, quoi ! Si on ne se rendait pas de menus services, les uns les autres…
Lorsque le couvercle est rajusté, je lui déclare que bon, le mort est en boîte, mais qu’on va laisser son cercueil d’osier sur place pour l’instant. Il répond que pas du tout, il veut aller le flanquer à la mer. Je réaffirme que non. Il insiste que si. Et, fatalement, prend mon poing en pleine théière. Tu voyais une autre solution, toi ?
Son regard tourne comme sur le cadran des Chiffres et des Lettres. Et c’est le 88 qui sort. Des yeux brouillés, autrement dit. Il chute. Je le fouille pour s’il aurait une arme. Il en possède deux, plus un troisième truc bizarre. Les armes sont : un poignard ivoirien, dans le genre de celui que le flic souhaitait me planter dans la besace, et un vieux revolver un peu déchromé, mais convenablement garni. Quant au truc bizarre, il est en acier bleui, lui. Avec en son milieu une lentille épaisse de six centimètres, curieusement taillée. Il forme équerre, possède un pétafineur judéo-maçonique de convexion moldave, plus, à sa base, un clivoir bisextile à peaufinage neutre. Tu mords le topo ? L’ensemble n’étant pas plus gros qu’un glotmouille moyen.
Pensif, j’enfouille le blot.
De même que la somme rondelette d’un million de francs suisses (les meilleurs).
Benjamin a tout perdu, sauf ses esprits. Il les récupère. Ce sera tout.
Je lui montre le schmilblick.
— C’est ça que Sterny apportait, n’est-ce pas ?
— Voui, patron.
— Et tu devais le donner au groupe « Panthère Bleue » dont tu m’as parlé dans la fourgonnette ?
— Oui, patron.
— Et tu ne l’as pas donné parce que ça aurait prouvé que tu avais rencontré Sterny ?
— Oui, patron.
— Si bien que Sauveur Linduré croit que c’est Chultenmayer qui n’a pas voulu donner ce truc ?
— Sûrement, patron.
Misère ! Alors les femmes ont été jetées hors de l’avion. Chultenmayer ne pouvait pas donner cet inestimable bitougnot puisqu’il ne l’avait plus et ignorait ce qu’il était devenu. Le cruel Linduré n’aura pas hésité, j’en suis certain. Je repense à Margarette, à Rose-Mary. Ces jeunes dames si jolies, si mignonnes. J’imagine leur valdingue, ayant tous les éléments pour.
— Espèce de fumier, tu es responsable de la mort de deux filles. L’adresse du groupe « Panthère Bleue » ?
— C’est un immeub’ neuf. Avenue Pierre-Grimblat, patron. Le seul immeub’ neuf. C’est au reste-chaussé ! Sur la porte, y a marqué : un port espère.
— Pardon ?
— Un port espère, avec un tiret entre Import et Export.
— J’espère que tu as apporté des cordes pour attacher la malle ?
— Non, patron : du fil de fer.
— Ce n’en sera que mieux, assuré-je en lui filant entre les deux yeux le coup de boule du siècle. De quoi en choper la migraine ! Personnellement je reluque une alignée de chandelles dont certaines, peut-être parce que je suis catholique, me semblent romaines.
Cette fois, mon petit pote est reparti aux quetsches. Tu vas trouver qu’il est constant dans ses réactions, le Benjamin (d’ailleurs, il se prénomme Adolphe[8]).
Je l’enferme dans la malle avec sa victime après l’avoir ligoté.
Faut une justice, non ? Autrement ça irait où, tout ça ?
Taxi.
Un baveux y traîne : Abidjan-Soir. Du jour.
A la une, quelques manchettes sur les turpitudes internationales. Plus un éditorial de mon ami Jean Dutour relatif à la sagesse du président Houphouët-Boigny qui a su faire de son pays ce que nous savons.
A l’intérieur, en page 3, on annonce que demain matin, dès l’aube, à l’heure où blanchit la montagne, le ministre Sauveur Linduré inaugurera le nouveau barrage de Rhâmi-na-Grôbi’s.
Le S’en-fout-la-mort freine à outrance devant une maison neuve d’une troisaine d’étages.
— Et voilà ! il exclame.
A toi de jouer, San-Antonio !