UN EFFET DU TONNERRE

— Quels sont tes projets, ma chérie ?

— M’enfermer dans ma chambre avec l’annuaire des téléphones, rétorque Marie-Marie.

— Pour ?

— Pour téléphoner à tous les hôtels d’Abidjan et de la région afin de m’assurer que les dames de Chultenmayer ne se trouvent pas dans l’un d’eux. Si elles n’y sont pas, c’est qu’on les a kidnappées et qu’on les garde en otage afin de pouvoir manipuler le vieux.

— A moins qu’elles ne soient descendues chez des amis ?

— Pourquoi elles et pas pépère, en ce cas ?

— Tu te rends compte qu’on tourne en rond ?

Elle hausse les épaules.

— Faut savoir échapper à la force centrifuge, mon ami.

Elle se hisse sur la pointe des pieds et me cloque un baiser dans le cou. Puis, effarouchée par son audace, se précipite vers les ascenseurs.

Juste comme elle a disparu, j’éprouve à nouveau (et au même endroit, c’est curieux) l’impression d’être scruté par-derrière. Je pivote. Oui : on me zyeute bel et bien. Et c’est la ravissante femme de chambre du morninge, celle qui baise français. Elle se trouve comme embusquée au tournant de l’escalier. Elle se réjouit de ma retournance, car son visage s’éclaire, si tu veux me permettre cette image (en négatif) et elle m’adresse un appel péremptoire de la tête d’abord, puis, pour confirmer ce muet message, de l’index et du médius rassemblés en crochet.

Je m’engage donc courageusement dans l’escalier. A cœur vaillant rien d’impossible ! La fille fait demi-tour et grimpe idem devant moi, s’assurant que je lui file bien le train et m’y incitant par de fréquents sourires. Elle longe le couloir pour disparaître par une porte marquée « Service », mais qu’elle ferme incomplètement, n’ayant pas lu Musset, ce afin de m’indiquer qu’elle m’espère au-delà de cet huis.

J’obtempère, drôlement intrigué.

La friponne a déboutonné deux boutons du haut à sa blouse de service. Ses loloches sont en train de jouer la belle (et moi pas loin, du coup, de jouer la bête).

— Tu veux me parler, ma jolie ?

— Oui, je veux. Tu t’intéresses toujours au vieux du 148 ?

— Bien sûr.

— Ça te plairait que je te dise quelque chose de lui ?

— Beaucoup.

Elle trémousse du bustier, et poum ! ce qui doit arriver m’arrive contre : un nichebraque dur comme le poing droit de Carlos Monzon au goût étrange venu d’ailleurs. évadé, ce vilain. Un cabochon violet, de toute beauté, la couronne plus mahousse que mon pouce. Oh, dis donc, pour résister à ce truc, faut avoir des nerfs d’acier et une bite en caramel mou !

— Qu’est-ce que tu me donnes si je te cause de ce que je sais ?

Je file ma main au larfouillet, prêt à l’arrosage. Dans notre civilisation en cours, tu peux pas éviter de semer ta fraîche, comme des grains de riz dans des mariages américains. Par poignées. A tout vent ! Pour faire parler, pour faire taire, pour acheter du pain, du cul, des consciences, du temps et ton salut éternel.

— Non, non, dit-elle, donne-moi pas des sous. Donne-moi plutôt un baiser français.

Est-ce plus économique ? Enfin, puisque c’est son prix. Elle a de grosses et belles lèvres, d’une sensualité délirante. Le seul truc pas affolant c’est le rouge pas rouge dont elle les enduit (en erreur).

Je m’en passerais volontiers. Par contre, ses dents éclatantes feraient la fortune des mecs de chez Colgate, Gibbs ou Fluocaryl.

Je lui biche son Nestor en vadrouille pour mettre plus de liant dans ce périlleux exercice, et j’y vais d’une galoche taillée franche et massive, que même en douze films pornos tu trouveras pas l’identique.

Ce qu’elle est vorace ! Brûlante ! Ardente ! Fougueuse ! Me v’là avec ses jambes enroulées aux miennes. Et ses mains partoutes-à-la-fois. Une muflée feu-d’artificière, mon lapin. La grande bouffée de gueules, du genre à te remplacer les globules rouges par des étincelles !

Quand on disjoncte, le bruit, tu croirais qu’on débouche une boutanche de Dom Pérignon.

— Toi, y faut que tu viens me baiser français ! dit-elle avec des yeux comme deux pansements express.

— J’irai ! promets-je pour parer au plus compressé.

Puis, donnant, donnant, n’est-ce pas, j’ajoute :

— Qu’avais-tu à me dire à propos du vieux ?

— Ah, oui y a un moment, j’suis retournée dans sa chambre pour changer sa corbeille de fruits. Le téléphone a sonné. J’ai répondu. Un monsieur a demandé contre lui. J’ai dit qu’y n’était point là. Alors on m’a dit de lui faire une commission, comme quoi, s’il voulait causer à sa dame, fallait qu’il se trouve dans sa chambre à six heures ce soir exactes. Et puis on a raccroché. Et alors voilà, faudrait que tu me fasses un mot pour laisser sur la table du vieux quand il rentrera, vu que je sais pas écrire complètement, à part mon nom que je fais une croix à la place, et une autre pour mon prénom qui est Murielle. Et que je peux pas aller demander ça à la réception puisque nous autres on n’a pas le droit de répondre au téléphone des clients, tu comprends ?

Elle sort un petit bloc-notes à en-tête de l’hôtel ainsi qu’un crayon pour que je lui rédige le message.

Tu me fixerais un pinceau au braque, je pourrais te l’écrire contre un mur, cré bon gu, tant tellement elle m’a foutu dans un état, la gueuse.

— Tu sais, me dit-elle, en guise de merci, je finis mon service dans dix minutes. Si tu veux me rejoindre chez moi, j’ai de l’huile de palme et des feuilles de kakikoku pour baiser français. Et personne qui vient me voir aujourd’hui. Et ce sera très très bien comme à Paris.

* * *

Ce soir, six heures !

Bon, j’ai du temps devant moi. Et même de côté. En attendant, c’est quoi, la vie ? Cette trique monstre dont je ne parviens pas à me défaire et qui me permettrait de tenir droit quand bien même mon cerveau serait défaillant ! Je me fais l’effet d’un trépied de photographe, ma pomme ! Mais qu’a-t-elle donc cette petite friponne pour, d’un baiser, d’un seul, me tendre Nestor comme la corde d’un arc ?

J’efforce de songer à l’affaire. Ce Sterny, assassiné par M. Benjamin, probably. Pour quelle raison. ? Et cette voiture officielle qui sert à kidnapper la Pinaudière et à véhiculer Chultenmayer. Et ce flic, le Jean Mathieu (qui n’a plus qu’une dent, mais de taille) et qui allait me planter comme un reblochon mûr, merde, ce sale con ! Sans préavis ni cérémonie. A la fulgurante !

Pour l’instant, j’ai ballepeau à me foutre sous la dent, moi. Je ne suis pas comme l’inspecteur Mathieu ! Si je tenais au moins le père Chultenmayer pour une converse au sommet ! Mais tu penses « qu’ils » ne vont pas me le laisser à disposition… Rentrera-t-il seulement un jour de sa balade en voiture ? Seul point positif : cet appel tubophonique devant intervenir à six plombes. Il sera présent à l’appel, l’Antonio, fais-lui confiance !

Ma… tension physique prend le pas sur ma tension morale. Est-ce le climat africain qui me vaut ce surcroît de zanzibar ? Je me dis que je vais pas pouvoir tenir commako toute la journée. Va falloir me faire décapsuler le broc-à-braque, briquer le braque à broc. Et dard-dard encore ! Sinon je vais violer, moi, tellement que ça champignonne dans mes hardes. Plus tenable ! Un cas ! Une maladie !

Oh, quine ! Je vais rendre visite à Murielle, qu’elle me finisse une bonne fois !

* * *

Eh ben, son logement, c’est pas du tout le taudis que je subodorais. Il n’est pas cradingue, ne pue pas la tanière. Non, il s’agit d’un délicieux studio, surgarni de meubles en contre-plaqué, similiacajou, de tapis africains, de statuettes que ça représente la tour Eiffel, le Sacré-Cœur et la Grotte de Lourdes avec, au bord d’elle, la délicate Bernadette, cousine à Paul Guth, comme j’ai eu l’occase de te le révéler guère plus avant. Des choses de bon ton, comme tu peux le vérifier. Et même un canapé-lit, style cosy-corner des années folles, qui a survécu à l’humidité du pays.

Miss Murielle m’accueille d’un sourire grand comme une tranche de pastèque.

Elle savait que je viendrais. Ne marque aucun orgueil de sa victoire. Ses yeux avertis (qui n’ont pas besoin d’en valoir deux car ça lui en ferait quatre) vont droit au point de tension de mon bénouze.

Le puissant renflement qui s’y manifeste en raconte plus sur mon état de santé qu’un bilan clinique signé par une sommité médicale.

— Je t’attendais, elle gazouille. Tu ne pouvais pas tenir mieux longtemps, parce que tu sais pourquoi ? J’avais mis sur ma bouche, avant de t’embrasser, de la poudre de capharnaüm sauvage mélangée à de la poudre d’escampette bleue. Et alors quand tu goûtes ça, le monsieur, y te vient la bananade géante. Et pour te l’arrêter, si tu veux pas baiser français ou autre, tiens !

Elle se passe le bout des doigts sous le menton, en un geste exprimant « la nique », ce qui est tout à fait opportun.

— T’es une vraie petite garce, fulminé-je.

J’aimerais bien tourner les talons, mais mon cas de force majeure me retient. J’irais où ? Déjà que dans le taxi et pour traverser la rue m’a fallu me protéger la décence à l’aide d’Abidjan Soir ! Non, vrai, c’est la fin de section. L’instant vercingétorixien où je dois déposer mon arme à répétition aux pieds de Césarine, ou tout au moins dans son frifri. Après, j’aurai les idées plus claires et il me sera loisible de lui dire ce que je pense de son procédé machiaphallique.

— Tu veux la belle séance française ou seulement la bibique ivoirienne, chéri ? questionne la poulette.

En v’là une, je te jure, c’est grand dommage qu’elle ait largué sa précédente profession. Boutique-son-cul, ça lui convenait idéalement, presque mieux encore que la présidence de la République française à M. Giscard. Destin, te dire !

Bien que j’aie grande hâte qu’on éteigne mon incendie, étant d’esprit curieux, je m’enquiers de la différence des techniques.

Elle m’apprend :

— Baiser ivoirien, c’est juste une pipe et puis tac-tac dessus-dessous. Baiser français, ça tu connais : l’huile de palme et les feuilles de…

Je l’interromps.

— Restons français, dis-je sobrement, en vrai patriote.

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