XXXII

Marcel appelant d'un palace de Biarritz, Fred d'un bistrot de Longpont et marquant tous deux la même sorte d'émotion que pourrait soulever chez un habitant du quinzième la disparition de la tour Eiffel ; Mme Daroux, arrivée tout juste pour nouer la mentonnière et Mme Glais, suivant de peu pour entreprendre avec elle la toilette funèbre ; Baptiste, survenu la barbe au vent et courant chercher son chevalet pour s'installer devant la défunte et achever son portrait ; Blandine, un peu blanche, un peu effrayée d'avoir à recoucher dans cette chambre, mais récupérant aussitôt son appareil au fond de sa valise pour photographier sa grand-mère sur son lit de mort ; Bertille, méticuleuse et froide, répondant à tous : Mme Rezeau est décédée ce matin à neuf heures, sans dire une seule fois « ma belle-mère », mais veillant à tout, sortant des draps brodés, rajoutant des flambeaux, recomptant trois fois devant témoins les cinquante mille francs en coupures de cinq cents qui accompagnaient le billet d'avion, puis disposant d'autorité autour des mains jointes le précieux chapelet des anges trouvé au fond du sac ; Jeannet, contraint ; Aubin, rentré le dernier, anormalement silencieux ; les Bioni, à mains moites ; des voisins, à dos courbes ; quelques amis, dont Arnaud Maxlon, incapable de s'empêcher de murmurer : Mort d'un personnage ; Flormontin, frottant sa calvitie près du confrère chargé de signer le permis d'inhumer… Images, démarches, paroles, formalités s'embrouillaient les unes dans les autres. Ça remue toujours beaucoup autour de ceux qui ne bougeront plus ; et je n'oublie pas les Pompes funèbres, représentées par le classique quadragénaire portant le deuil comme un uniforme, placier en bières et monuments assez habile pour ne pas marquer sa déception de ce que la famille eût un caveau à Soledot, Maine-et-Loire, mais s'emparant immédiatement du transport qui toutefois, au-dessus de trois cents kilomètres, monsieur, la loi l'exige, après choix du modèle 8 chêne clair, poignées et crucifix d'argent, capiton de satin et rabat de dentelle, nécessitait le double cercueil plombé en présence du commissaire.

Pourtant l'étonnant, pour moi, ce ne furent point ces allées et venues autour d'un gisant, ce rituel cocasse et désolant, ces formules consacrées (les seules à ne pas changer, tant les gens ont la frousse du léthifère). Ce ne fut pas, durant deux jours d'attente, la raideur de Mme Rezeau, vainement agacée de gouttes d'eau par les visiteurs maniant la branche de buis. Ce ne fut pas la cérémonie légale de la soudure en fin de quoi, une fois la défunte déposée avec précaution dans son coffre, les sels discrètement glissés à ses côtés, la dentelle rabattue, entrèrent en action les chalumeaux fixant le couvercle avec des bruits métalliques et des giclées de fusible évoquant tout à fait le travail d'un couvreur en zinc. Non, ce qui m'impressionna le plus, ce fut une première visite à ma petite-fille, quelques heures après sa naissance. Les nouveau-nés sont souvent ridés comme de petits vieux et ne se défripent qu'en deux ou trois jours. Quand je me penchai sur l'enfant, je fus si saisi que je ne pus retenir une exclamation :

— Oui, dit Jeannet, ça m'embête un peu. Il a fallu qu'elle choisisse ce huitième de sang là.

Rien de corse. Rien des Arbin ni des Rezeau. Mais des cheveux blond cendré, des yeux verts, un bout de menton en galoche fendu par le milieu… Les gènes Pluvignec, qui m'ont si fort marqué et qui, avec Jeannet, avaient sauté une génération, montraient une fois de plus leur virulence. Monique, c'était une vraie réduction de son aïeule, sitôt morte, sitôt ressuscitée.

* * *

Elle fut portée en terre, l'aïeule, au troisième jour : portée au sens propre, à bras, par quatre fermiers. Le fourgon était parti de la veille pour déposer le cercueil sous le catafalque au centre du transept de l'église de Soledot. De Gournay nous prîmes la route vers six heures pour arriver juste à temps sur la place des tilleuls. Une dizaine de voitures, pas plus, y stationnaient sous le soleil. Le glas brassait dans l'air, autour du clocher, une grande foule de choucas apeurés ; mais il y avait peu de monde en dessous à s'être endimanché pour la messe des morts. Il faisait trop beau : de tous côtés ronronnaient les batteuses. Les Rezeau, quoi ! ça faisait des années qu'ils n'avaient plus assez d'importance dans le canton pour déranger les gens en pleins travaux d'été. Le notaire, qui nous attendait sur le parvis, me souffla :

— J'ai des ordres. Mme Rezeau m'avait laissé une note au sujet de ses obsèques : Ni fleurs, ni couronnes, ni tentures, ni corbillard. Une messe basse, le brancard et hop ! dans le trou. Excusez-moi, ce sont ses propres termes. Elle m'a même précisé, de vive voix : Quand on n'est plus rien, mieux vaut que ce soit voulu que subi. Mlle Salomé n'est pas là ?

J'entrai sans répondre. Vieilles (dont une encore avec la coiffe à ailes), sœurs de l'hospice ou des écoles, les Jobeau, les Huault, les Argier, le vicomte maire U.D.R. dans la stalle du château, l'adjoint centriste garagiste, quelques commerçants du bourg et un petit nombre de tenanciers à moustaches grises — debout, cramponnés au dos des bancs de bois plein — composaient l'assistance, avec deux enfants de chœur et le curé, asthmatique, sous la chasuble noire. Nous n'étions pas encore installés que la clochette tinta… Je regardais les vitraux — barbouille sur verre du siècle dernier — payés par la famille au temps de sa splendeur : saint Jacques, patron de plusieurs aînés successifs, lapidé par des gosses, était méconnaissable ; mais saint Michel terrassait toujours gaillardement un dragon aux ailes de chauve-souris, à queue repliée autour de ses bottes. La clochette tintait… Il me sembla que l'office allait très vite : si vite que Fred sans sa femme arriva pour l'évangile, Marcel avec sa femme pour l'offertoire. Au moment de l'absoute, alors que le curé tournait autour du catafalque en faisant cliqueter à petits coups l'encensoir sur sa chaîne, un tac-tac de talons aiguilles sur les dalles fit se retourner tout le clan : flageolante et les yeux battus, arrivait Salomé.

La Berrichonne lui prit le bras pour sortir, avec un coup d'œil significatif au cercueil que les porteurs, bricoles en sautoir, descendaient par la grande allée. J'entendis murmurer : Je suis crevée, je n'ai pas dormi : le décalage horaire… Le glas, trop régulier pour être de sonneur, sûrement électrique, venait de recommencer et Mme Rezau reprenait la route de Vern mille fois longée dans la poussière du bas-côté lors des rentrées dominicales à La Belle Angerie, qui la voyaient rarement s'arrêter à la grille du cimetière pour rendre visite à feu son époux. Sur notre passage les gens s'avançaient sur les seuils, certains serviette au cou et remâchant une dernière bouchée. De la fenêtre du secrétaire, au-dessus de la mairie où se décollait une affiche gaulliste, tombaient des informations sur le lancement de la fusée Titan III. Nous avions tous très correctement le nez en bas, mais j'éprouvai — comme je l'ai d'ailleurs éprouvé toute ma vie — cette sorte d'humiliation que d'autres peuvent avoir en portant des guenilles. Les enterrements avec crêpe, yeux rouges, femmes soutenues par leurs proches sont parfois ridicules. Mais les enterrements secs ont quelque chose d'odieux.

Un soleil de midi y ajoutait encore, à cette sécheresse. Il n'y avait pas un souffle d'air ni le plus petit mouton dans le ciel, du plus beau bleu ceinture de la Vierge. Jaune, veinée de blanchâtre et farcie de morceaux de schiste, la glaise accumulée autour d'une autre fosse, pas encore refermée, était littéralement cuite. Rouges et suants, les porteurs cordèrent rapidement et Mme Rezeau se retrouva soudain avec M. Rezeau pour une vie commune bien plus longue que la précédente. Dans la paix, peu connue des vivants, mais qu'ils réputent abondante à deux mètres au-dessous d'eux. Les assistants goupillonnèrent : les fermiers traçant bien leur croix, les citadins transformant le geste en chasse-mouche. La Société n'étant pas venue (et j'en connaissais le responsable), il n'y eut qu'un défilé de paysans aux cravates toutes faites tournant sur l'élastique, aux cals sensibles dans la poignée de main (je pensais : quelle bonté de reste ! La défunte qui n'a jamais rien fait de sa vie, c'est de ces cals, c'est de leur travail qu'elle a vécu). Le curé était déjà reparti quand le notaire, passant le dernier, transforma ses condoléances en considérations :

— Je ne vous emmène pas à mon étude : le testament de Mme Rezeau n'est pas encore enregistré. Mais je peux tout de suite vous en donner la teneur, qui est inattendue : Mme Rezeau institue légataire universelle Mlle Joséphine Forut, dite Salomé, sa petite-fille par alliance.

— Quoi ? dit Fred. Elle nous déshérite ? C'est illégal.

— Non, dit le notaire. Comme il y a trois réservataires, la part de Mlle Forut se trouve seulement réduite à la quotité disponible, c'est-à-dire au quart. Mme Rezeau aurait d'ailleurs très bien pu léguer expressément à Mlle Salomé cette quotité disponible : cela revenait au même. Elle a certainement voulu, en l'instituant légataire universelle, exprimer autre chose.

— Elle doit s'amuser en ce moment, dit Solange. Elle s'est bien fichue de vous.

— Il faut avouer, dit Marcel, que ça ressemble à une dernière brimade.

— A un coup de pied au cul, oui ! dit Fred.

Ils étaient rouges et regardaient sans aménité Salomé, toute blanche :

— De toute façon, dit-elle, je refuse.

— Vous ne pouvez pas, reprit Mr Dibon et vos parents n'ont pas le droit de le faire à votre place : vous êtes mineure.

— Mais je suis émancipée ! protesta Salomé.

— Vous pouvez acquérir, mais non aliéner. Il est question de transformer l'article 776 pour donner aux mineurs émancipés pleine capacité civile, mais le texte n'est pas voté. Vous héritez de Mme Rezeau, bon gré, mal gré : ce qui est une façon de parler, d'ailleurs, car n'ayant aucun lien de parenté avec elle vous allez payer des droits exorbitants.

— Nous avons trouvé cinquante mille francs dans le sac à main de Mme Rezeau, dit Bertille, horriblement gênée, pressée de racheter le legs fait à sa fille par un acte de probité.

— Je vous serais obligé de me les faire tenir, fit le notaire. Mais, continua-t-il en se tournant vers moi, je crains que Mme Rezeau ne se soit procuré cette somme à vos dépens. Je le tiens des Jobeau : il y a trois semaines, peu après mon coup de téléphone au sujet de la fuite d'eau, Mme Rezeau a fait une apparition éclair et vendu ce qui restait comme boiseries ou meubles de valeur.

— Ça demande à être prouvé, dit Fred, égal à lui-même.

— Quand comptez-vous faire l'inventaire ? demanda Marcel.

— Vous avez revendu La Belle Angerie meublée, précisa le notaire. Le nu-propriétaire est désormais chez lui. L'important, ce sera l'ouverture du coffre, à la B.N.P.

— Je pensais à l'appartement de Paris, dit le P.D.G.

— Quel appartement ? fit le notaire. Mme Rezeau ne possédait rien à Paris. Elle y descendait chez Mlle Forut.

— Pure dissimulation ! dit Fred. On voit tout de suite qui a payé.

— Cette fois, monsieur, c'est à vous de le prouver, dit le notaire.

— Oh là là, j'en ai jusque-là J'espère que tu vas liquider tout ça en vitesse ! s'écria brusquement Jeannet qui n'avait consenti à venir que sur les instances de Marie, restée seule en clinique.

Il s'éloignait à grands pas vers le village. Je saluai et le suivis avec tous les miens.

* * *

Mais il fallait passer à La Belle Angerie où nous avions à recenser les dégâts.

Ils n'étaient pas minces. Plafonds crevés, papiers délavés, décollés, moisis, parquets gonflés, les chambres récemment remises à neuf étaient de nouveau à refaire. Les caissons peints du rez-de-chaussée avaient beaucoup souffert. Dans le salon et la salle à manger l'arrachage des boiseries laissait à nu des plàtres pustuleux, griffonnés par endroits de vieux calculs de métreurs. Le pillage des antiquaires n'avait épargné ni la chapelle ni la chambre de Madame Mère d'où la glace, la commode, les chaises mêmes — sauf une — avaient disparu. Plus rien dans les immenses placards, vidés aussi par le fripier. L'armoire anglaise et la table, toutes deux sans valeur, le vieux fauteuil crasseux, le lit, le poêle bourré de papiers brûlés et responsable d'un dernier enfumage, c'est tout ce que Mme Rezeau avait consenti à garder. Mais sur le rebord de la cheminée — sans pendule ni flambeaux — avaient été posés un cahier et, sur ce cahier, un petit porte-plume en or. Hommage ? Défi ? Simple oubli ? Impossible à dire. Le porte-plume, je le connaissais bien : il venait de ma grand-mère, lauréate de je ne sais plus quel concours de poésie. Le cahier, je n'en soupçonnais pas l'existence.

— C'est curieux, venait de dire Bertille, ta mère aura bradé en un rien de temps ce qu'elle défendait depuis des années.

Pas explicite, mais diffuse, la réponse était dans le cahier, qui contenait des coupures de journaux collées, des citations recopiées, agrémentées ou non de commentaires et de-ci, de-là, quelques traits personnels : ceux du début, d'ailleurs, très différents de ceux de la fin. Mme Rezeau n'avait pas épargné d'abord l'injure ou le mauvais jeu de mots. Sous une photo de presse on pouvait lire : De Brasse-Bouillon à Brasse-couillons ! La citation : Tout le monde ne peut pas être orphelin devenait : Tout le monde ne peut pas être orfrelin (petit de l'orfraie, en patois, par confusion d'orfraie avec effraie, comme dans Rousseau et Balzac). Ça se hissait à un autre niveau avec cette fausse charade : Mon premier, c'est mon premier ; mon second, c'est mon second ; mon troisième, finalement, c'est mon troisième ; et mon tout, c'est rien ! J'aimais bien aussi : Dieu a créé les hommes : ils le, lui ont bien rendu, suivi du commentaire : Les mères aussi, ça leur arrive. J'aimais mieux encore cette citation d'origine inconnue : A-t-on de l'estime pour une poule parce qu'elle pond ? Non, elle fait de l'œuf à la coque. Pour nous attendrir il faut encore qu'elle glousse. Un aveu l'illustrait : Faut pouvoir… Je n'aimais pas du tout, au contraire : L'hectare embourgeoise : c'est un tour à lui jouer ; ni certains satisfecit du genre : Notre génération est la dernière qui ait tenu. Mais le ton changeait brusquement ; on en arrivait à cette coupure : La famille, ils n'en sortent pas ! Ils n'ont pas compris que, basée, sur la lutte des âges, sur les fantaisies de la vie et de la mort, elle est — par définition — vouée à l'échec. On glissait vers la désillusion : J'ai été ici la gardienne de quoi ? Enfin on ne s'occupait plus que d'une grande découverte : Quand je l'ai vue, j'ai eu l'impression de faire un enfant par les yeux. Je passe sur beaucoup d'autres, mais je ne saurais omettre celui-ci : Cœur de laitue, tout m'est vinaigre : ce que c'est dur d'être tendre ! Ni ce dernier trait, après la fuite de Salomé : Ça, on m'aime ! Il se pourrait qu'à mes obsèques certains aient les joues humides, s'il pleut.

Il n'avait pas plu.

J'y songeais en redescendant vers la salle à manger où Bertille m'avait précédé pour improviser un casse-croûte. Je tombai sur un vrai conseil, réunis autour de la table (trop grande pour avoir tenté quiconque), sur diverses chaises bancales provenant de bric et de broc. On m'attendait. Lorsque j'entrai, Jeannet encourageait vivement sa sœur à se défaire de l'appartement de la rue de Choisy. Je n'entendis que sa péroraison : Nous avons bonne mine ! et la réponse de Salomé :

— Je regrette, mais j'en ai besoin. Nous sommes partis parce que nous ne pouvions pas vivre à trois et qu'il fallait mettre de la distance entre Gramie et nous. Je me demande même ce que nous aurions fait si elle nous était arrivée sur le dos, à Montréal. Maintenant nous rentrons : Gonzague reprendra sa médecine et moi, un travail.

— Tu veux te marier ? dit Bertille.

— Non, dit Salomé. Je n'en vois pas la nécessité.

Fille libre, mais prudente, ménagère entendue, petite bête à plaisir, elle nous regardait, plus jolie que jamais, la poitrine palpitante, mais les yeux grands ouverts. Bertille essaya de ne pas avoir l'air contrariée :

— Au moins, reprit-elle, tâche d'oublier les calomnies de Mme Rezeau.

— C'est un détail, dit Jeannet. La vérité est que personne n'aurait dû remettre les pieds dans le coin. Vous n'allez pas y rester, non ?

— J'ai certainement eu tort d'y pousser ton père, dit Bertille.

Un regard circulaire me renseigna : ils avaient déjà débattu la question. Jeannet restait contre, Blandine s'était ennuyée, Bertille ne pardonnait pas, Salomé se savait l'objet de cent ragots et, si la moue d'Aubin exprimait des regrets, ils ne trouveraient en moi aucun renfort. Je m'en voulais de plus en plus. Ce rachat de La Belle Angerie, c'était un retour à qui, à quoi ? A rien. J'avais peut-être cédé aux illusions de Bertille, mais aussi aux pressions du moins sympathique de ceux qui m'habitent : un relaps, tenté de revenir sur ses abjurations au nom d'une nostalgique complicité d'origine. D'une complicité qui supposait une complexion, mal dominée par de longs refus : si peu qu'il reste de terre héréditaire, si révoltés qu'en soient les hoirs, les seuls glaiseux peuvent dire ce que ça peut recoller aux pieds.

Je l'avouai. J'ajoutai que de toute façon nous ne pouvions plus remeubler cette immense baraque ni soutenir de nouvelles réparations ; que par ailleurs, si je n'avais plus de rente à payer, l'avance d'hoirie devenait remboursable et que ma part de succession n'y suffirait pas. Que resterait-il en effet de la fortune de Mme Rezeau, peu importante au départ, sûrement très écornée par ses dépenses finales et dont il faudrait encore distraire le legs de Salomé — pratiquement jeté au fisc ?

— En somme, pour nous en tirer, il faut revendre ? dit Bertille.

Il n'y eut pas de vote, mais un consentement tacite. Jeannet repartit aussitôt avec Salomé qui ne savait plus où se mettre et à qui pourtant je ne reprochais rien — sauf peut-être de ne pas avoir ou de ne pas oser montrer plus de chaleur pour celle qui l'avait préférée à tout. Quelques instants plus tard je pus m'apercevoir que d'autres avaient déjà fait les mêmes calculs que moi ou interprété l'exclamation de Jeannet à la sortie du cimetière. Par le chemin de la ferme arrivait le notaire, marchant à petits pas en compagnie de Félix Jobeau et d'un autre paysan. Ils pointaient l'index sur certains bâtiments, marchaient à longs pas d'un mètre pour mesurer la cour, se concertaient, traçaient apparemment une ligne de démarcation entre le parc et la ferme. Quand je les vis monter vers les prairies, je pris le parti de les rejoindre. A mon approche un corbeau perché sur un piquet de clôture s'envola, bec béant sur un croassement d'alerte ; et tous les corbeaux des alentours en firent autant… Mais les trois hommes s'avancèrent poliment.

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