X. L’UNI-PRIX[88] DES RÊVES

M’man Donzert pleura. De soulagement, d’attendrissement. Depuis un an que cela durait, la maison était écrasée sous le poids d’un secret, le poids du silence sur ce que chacun savait. Et voilà que Martine annonçait son mariage avec Daniel Donelle ! M. Georges baisa les mains de toutes les femmes et Cécile, les joues en feu, les yeux humides, regardait Martine comme si elle ne l’avait jamais vue.

A l’Institut de Beauté aussi, l’annonce des fiançailles avait fait sensation… Mme Denise fit apporter du Champagne. Il y avait déjà trois ans que la petite Martine était entrée dans la maison et l’on n’avait qu’à s’en Jouer. Mais qui était l’heureux élu ? On grillait de curiosité[89]. Étudiant ?

Il sera ingénieur-horticole. Il s’occupera de roses ?… C’est extraordinaire ! Et c’est une famille où c’est comme ça de père en fils ! Son fiancé apprenait à créer des roses nouvelles comme on crée des robes, expliquait Martine. Dieu, que c’est étrange… On trouvait aussi que Daniel Donelle était un joli nom. Et à quand le mariage ? Déjà cet été ? « Vous m’inviterez bien à la noce ? » dit Mme Denise au comble de la gentillesse.

Le lendemain, Martine reçut une immense corbeille de roses venant du fleuriste le plus chic de Paris, avec une carte portant les signatures de tout le personnel de l’Institut de Beauté.

Depuis toujours Martine rêvait avoir pour mari Daniel. Lui ou personne. Mais c’était son seul rêve chimérique. Tous les autres rêves de Martine étaient modestes et réalisables. Maintenant qu’elle avait Daniel, elle rêvait d’un petit appartement moderne dans une maison neuve, aux portes de Paris. Comme Daniel devait, après École d’Horticulture, travailler chez son père à la pépinière, cet appartement n’avait aucun sens, disait-il. Mais Martine insistait : ne pas avoir de logis à Paris, voulait dire s’enterrer à la campagne pour toujours ! Il fallait, pour ne pas la désespérer qu’ils aient un appartement bien à eux, ni à M. Donelle père, ni à M’man Donzert, à eux. Il fut décidé en conseil de famille que M’man Donzert, M. Georges et Cécile achèteraient pour Martine un appartement, cela serait leur cadeau de mariage. Et Daniel regardait avec stupéfaction pleurer Martine qui avait raté un appartement, le dernier qui était disponible, dans une maison qui lui plaisait. Pleurer pour un appartement ! Voyons, toi, perdue-dans-les-bois, qui ne pleures jamais, pour un appartement ! Quelle fille étrange !

Elle rêvait d’un mariage à l’église… « Écoute, Martine, disait Daniel, tu ne dis pas cela sérieusement. Déjà la mairie, c’est bouffon[90], mais alors l’église ! Voyons, si tu étais croyante ! Tu vis comme une païenne, selon la nature, ma douce enfant, qu’est-ce qui te prend maintenant ? Tout cet argent à des curés, quand on pourrait se payer un petit voyage, une lune de miel[91] un peu plus longue, écoute, je n’ose pas demander au paternel de l’argent pour une noce ! »

Au dîner chez M’man Donzert, où Daniel avait été invité au titre officiel de fiancé il avait trouvé à ce sujet une entente parfaite : Cécile parlait sans arrêt de sa robe de demoiselle d’honneur[92], rose, bien sûr, ah, mais cette fois-ci Martine serait en blanc et non en bleu ciel ! Le voile irait divinement à Martine… Et lorsque Daniel, courageusement, proposa un mariage civil seul, et le départ immédiat, sans noces et banquet… Mme Donzert posa sa fourchette et se précipita dans la cuisine, pour cacher ses larmes. M. Georges se mit à parler de l’attitude qu’un galant homme devait avoir vis-à-vis des femmes… Puisque les femmes rêvaient à la solennité de l’église, un galant homme se devait de leur donner cette joie…

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