La mer

Ensuite nous arrivons au port de Nice qui est la plus belle ville du monde, nous restons la nuit près de l’escalier, et le matin Sœur Simone, c’est comme ça qu’elle s’appelle, nous apporte du café dans un thermos et des tartines de pain. Mais la nuit les loubards viennent sur les quais, ils nous attaquent et Béchir a un bras cassé et je me souviens que c’est pareil pour moi au cimetière de l’Ouest quand je rencontre Vicky. À l’hôpital on soigne Béchir, on lui donne du sang parce qu’il n’en a pas beaucoup, mais moi je ne peux pas donner mon sang à cause de la saloperie Σ que m’a filée Zobeide, même si c’est il y a très longtemps mon sang n’est pas bon. Je crois, Béchir est mort à cause du coup qu’il reçoit sur la tête, la nuit où les voyous le tabassent, parce qu’une autre nuit il meurt en dormant, le sang coule à l’intérieur de son crâne, mais je ne peux rien dire à ce sujet parce que je ne suis pas docteur.


C’est la fin du voyage. Je n’ai plus besoin de marcher, jamais. Je reste sur le port, à ma place entre les conteneurs, j’écoute le vent dans les agrès, le bruit des camions qui apportent le ciment, le grincement des monte-charge, certains jours les cris des enfants qui attendent l’arrivée des ferrys. Béchir lui non plus ne voyage pas. Là-bas, de l’autre côté, dans son bled à la frontière de Tlemcen, sa famille l’attend mais il est mort. Il est mort sur le port, sans rien dire, couché sur son carton, avec son bonnet de laine sur les yeux, et son sac en papier troué pour respirer, mais il ne respire pas. Je ne crie pas son nom, je ne dis pas : Bichir ! Je ne souffle pas dans sa bouche. Il est mort comme mon papa, avec la peau de son visage qui est toute blanche, ses yeux ouverts qui ne voient plus, sa bouche sèche et noire, et le froid dans ses mains, dans ses jambes, même les poils gris de sa barbe sont immobiles.

À la femme de la police, je dis : « Béchir est mort, madame. » Elle me regarde et elle dit : « C’est qui, ça, Béchir ? » Je dis : « Il est là-bas sur le port, il ne bouge pas, il est froid. » Elle dit : « Montre-moi. » Elle dit : « C’est ton copain ? » Je dis : « Non, madame, je n’ai pas de copains. » Elle vient avec moi sur le quai. Je dis : « Béchir doit aller dans sa famille. » Elle me regarde encore : « Eh bien, ton copain, il n’ira pas voir sa famille. » Elle dit ça avec une voix triste, vraiment triste. Ou bien elle s’en fout, c’est juste pour dire quelque chose. La voiture bleue de la police arrive, et aussi une camionnette blanche avec les infirmiers. Ils soulèvent Béchir sur une civière, et nous allons tous à l’hôpital, et j’attends dans le couloir à côté de Béchir, vu qu’il n’y a pas de lit pour lui. Je garde le sac à dos de Béchir avec mon sac Kestrel, et ensuite je m’en vais. Je passe devant le bureau de l’accueil, je sors dans la rue, et personne ne m’arrête. Dehors le soleil brille, le vent froid fait tomber les feuilles, les buissons ont des feuilles rouges, c’est déjà l’hiver qui arrive. Ensuite on envoie Béchir à la fosse commune, c’est comme ça pour ceux qui n’ont pas de famille. On met le corps dans un cercueil en planches, et puis on coule de la chaux vive. On n’écrit pas de nom sur une pierre ni rien du tout. Pour moi aussi c’est pareil. Ça ne fait rien, un tombeau à quoi ça sert ? Là-bas, à Maurice, au cimetière Saint-Jean, au cimetière de l’Ouest, les grands dimounes oublient leurs morts, ils ne vont pas les voir, ils ne réparent pas les dalles, ils ne brossent pas les joints avec une brosse à dents trempée dans l’eau salée pour faire partir la mousse, ils ne repassent pas les noms au crayon noir. Alors Missié Zan prend sa peintire grise, sa foutue peintire, et il barbouille les noms, les Mlle Sterkers, les Missié Raboam, les Fe’sen, Mme Laros. Ça sert à rien une tombe.


Dans le sac à dos de Béchir, il n’y a rien. Seulement des papiers, un gros livre vert écrit dans sa langue, même s’il ne croit pas en Dieu il a toujours ce livre avec lui, il me le montre quelquefois, mais je ne sais pas ce qu’il contient, je ne connais pas les prières d’Allah. Il a aussi une carte avec une photo, mais ce n’est pas lui sur la photo, un homme maigre avec une moustache noire, une carte de l’armée française, ça dit que c’est un ancien soldat et c’est tout, et la date c’est 1958. Je crois c’est le papa de Béchir, un harki, il n’est pas mort à la guerre, mais en France dans un camp où on enferme tous les anciens soldats. Dans son sac il n’y a pas de casse, pas de passeport, rien qui peut servir. Dans un petit sac en papier, dans du coton, je trouve une balle de fusil, un peu sale et noire, il me la montre aussi quelquefois, c’est la balle qui est entrée dans sa joue autrefois en Algérie, à l’hôpital militaire on enlève la balle et on la lui donne, et il la garde toute sa vie dans son sac, enveloppée dans du coton comme une dent perdue. Alors c’est peut-être pour ça qu’il est mort, la balle voyage dans son cerveau, mais peut-être tout ça Béchir l’imagine, dans le sac c’est juste une balle qu’il trouve par terre, mais maintenant il est mort et je ne peux pas lui poser la question. Après ce qui est arrivé, je ne reste pas la nuit sur le port, je vais à l’asile près du marché chez Sœur Henri, c’est comme ça qu’elle s’appelle, mais il ne faut pas arriver après six heures du soir sinon elle n’ouvre pas, même si tu frappes à la porte et si tu cries : « Mame ma Sœur Henri, ouvre-moi ! » Elle ne répond pas. Alors quand c’est trop tard, je reste à la gare des cars, ou bien sous les colonnes de l’église, parce que là tu trouves toujours beaucoup de clochards avec leurs chiens. Mais à Nice tu ne peux pas, il ne faut jamais rester sur la plage la nuit, parce que les loubards viennent rôde-rôder pour taper les clodos, et tu es fin mort.


Au port, j’aime bien le soleil qui chauffe les bancs en vieille pierre. Les bancs sont doux, ils ont des petites marques. Mais ce n’est pas toujours propre, une fois je vois des morpions qui courent vers moi, je les tape avec ma godasse. Le soleil est doux, blanc, c’est toujours le cachet d’aspirine, pas le soleil de ma Louise. Après le café de Sœur Simone, je me promène sur le port entre les conteneurs, personne ne me demande ce que je fais là. Sœur Simone, elle n’a pas le temps de causer. Mais elle me dit un jour qu’elle est de l’Italie, de Pantelleria, c’est une île aussi il paraît au milieu de la mer d’Afrique du Nord. Sœur Simone est vieille, elle a un grand nez, elle ne s’habille pas comme les sœurs du couvent de Bonne Terre, elle a un pantalon bleu, des chaussures d’homme parce qu’elle a de grands pieds, et un pull en laine même s’il fait chaud. Mais on connaît qu’elle est une sœur parce qu’elle a toujours un foulard, et elle porte une petite croix jaune autour du cou, mais ce n’est pas de l’or.

Au bout des quais je vais au bassin d’eau qui sert à donner à boire aux chevaux quand on les débarque de la Corse, avant de les emmener à l’abattoir pour les tuer, et chaque fois qu’ils passent en courant sur les quais ça me fait mal au cœur parce que j’aime beaucoup les chevaux. Chaque matin, avant le jour je me lave à l’eau froide, par petits morceaux pour faire vite. Les lampes sur les quais sont jaunes. Quelquefois les bateaux des thoniers arrivent dans la nuit, les marins sortent les bacs de thons et ils coupent les poissons avec des hachettes, maintenant je les aide à couper les thons, et ils me donnent des billets, ils viennent de tous les bouts du monde, des Arabes, des Espagnols, et même des Chinois. Ils n’ont pas peur de moi, ils ne me demandent pas mes papiers, et je leur dis mon nom, alors quand ils arrivent au port ils m’appellent : « Hé-hon, Dodo ! » Ils me donnent aussi des tranches de thon dans du papier journal, mais moi je ne mange pas le thon, parce que je ne peux pas manger la viande rouge, ni le sang, ni le bœuf, ni le cochon. Je donne les tranches de thon à Sœur Simone, pour ses clodos, en échange elle me donne des fruits, des oranges, du raisin. Depuis que Béchir est mort, je n’ai plus d’amis. Les gens me parlent, mais je n’ai rien à leur dire. Je veux juste rester au soleil doux, sur mon banc. Quelquefois je pense à Vicky, ou à Honorine, c’est très loin et pourtant je me souviens de chaque instant, c’est comme ça quand tu ne dors pas, tout est attaché, ta journée n’en finit pas, tu ne fais jamais de rêves.


À Nice, je le croise tous les jours sur le port. C’est un vieux, plus vieux que moi, très grand et très maigre, toujours bien habillé, costume noir avec des raies bleues un peu râpé mais élégant, col dur avec une petite cravate mince, il a beaucoup de cheveux renvoyés en arrière, bien noirs, la barbe bien taillée aux ciseaux, et des lunettes rondes. C’est bizarre, parce qu’il est blanc et pourtant il a la peau foncée d’un malbar. Il arrive à grandes enjambées en faisant tinter le bout ferré de sa canne, mais il ne s’en sert pas pour s’appuyer, sauf pour monter les marches des escaliers, ou bien pour pousser quelque chose à terre, un caillou, une boîte vide, une boulette de papier. Il vient s’asseoir sur le banc en pierre à côté de moi, et il fume. Pas les cigarettes de tabagie, non, il roule lui-même ses cigarettes, dans une petite machine avec une bande de caoutchouc noir, il met une feuille de papier maïs, il sème les brins de tabac et il roule la cigarette, et avant de la fumer il mouille le papier du bout de la langue, et il plie chaque extrémité pour que le tabac ne s’échappe pas. Il a les doigts jaunes et aussi les dents, parce qu’il allume une cigarette à l’autre, il roule une cigarette pendant qu’il fume une autre. Il me dit : « Tu veux une cibiche ? » C’est la façon de parler des vieux avant la guerre. Moi je dis non, mais il oublie et plus tard il m’en offre encore. Il n’est pas mon ami, pourtant presque chaque jour il vient ici, vers onze heures du matin, pour se chauffer au soleil pâle. Il s’assoit sur le banc et il parle, pas vraiment à moi, il parle sans me regarder, il tient sa cigarette de la même façon que Papa, entre le pouce et l’index. Il ne dit pas son nom, mais ensuite je connais qu’il est de mon île, à cause de son accent, il parle de tous ces coins : « La Ma’tiniè’, Flo’éal, ’iche en Eau, Saint-Piè’, Savinia, Moka… » Avec son accent qui chante, je l’écoute et j’ai mal à l’estomac, ça me serre et ça me fait mal, j’ai envie de lui dire : « Arrêtez de causer, fout’ moi la paix avec vos histoires de l’île et de vos quartiers des hauts, moi je suis d’en bas, de la route de Saint-Paul, de la Caverne, là où habite la vieille Honorine. » Mais ça me fait du bien aussi, quand il dit les oh, et les et qu’il oublie les r, qu’il dit Le Po’, ou Quat’ Bô’ne, ça remue en moi, j’ai envie de larmes. Je me souviens de la musique du vieux Hirschen, je n’ai pas besoin de comprendre, ça vient tout seul et ça me fait trembler. Et lui, le vieil homme couleur de bronze, j’imagine qu’il sent ça aussi, parce qu’il s’arrête un moment pour tirer sur son mégot, et la fumée entre dans ses yeux et le fait pleurer. Il parle du temps longtemps, avant la guerre, il prend un grand bateau et il voyage dans le monde, jusqu’en France, et à c’t’heure il est ici, sur le banc près de l’abreuvoir, à côté de moi. La vie c’est cocasse, non ?


Il me dit « tu » et je lui réponds « vous » parce que nous ne sommes pas du même bord, lui et moi, du même côté de l’île, il est du côté des grands mondes, avec son costume foncé rayé, et sa chemise blanche qui sort de chez le Chinois, et ses mains fines aux ongles bien soignés, même si le bout du pouce et de l’index est jaune. Et moi je suis avec mes habits usés, pourtant je les lave souvent dans l’abreuvoir avant le lever du soleil et je les mets à sécher sur les cannes pour les filets, j’ai honte d’être en langouti et je me cache derrière les cabanes des outils de pêche, un jour le gardien du port vient, il dit c’est interdit, mais il me laisse faire parce que je ne bois jamais d’alcool et que je cause poliment.


Le vieil homme parle tous les jours, s’il ne parle pas il dessine sur un carnet, les bateaux du port, les cargos, les chalutiers, les thoniers, il a un petit crayon de charbon, et aussi une boîte de couleurs, il remplit un godet à l’abreuvoir et il peint l’eau et le ciel, mais ça ne ressemble pas à ce qu’il voit, les couleurs sont fortes, la mer très bleue et les voiles des bateaux rouges, les nuages blancs ou le ciel couleur de cyclone, parce que ce qu’il peint c’est notre île, là-bas à l’autre bout de toutes les mers. Une fois il me montre son vieux carnet, je regarde les dessins et les peintures, je lis les noms qui sont écrits au bas de la page, c’est écrit très fin, très joli, avec une date, Tonneliers 1912, Fanfaron 1914, Pointe aux Sables 1917, Tour Koenig, et aussi la ligne des montagnes que je vois depuis le carrefour de la Louise, Signaux, Le Pouce, Montagne Ory, Pieter Both, 1917, et je ne dis rien mais ça me fait mal, et le vieux est content, il pense que je ne connais pas tout ça, il dit : « Tu vois, tu crois que j’exagère, mais ce sont les vraies couleurs, si tu fermes les yeux tu vois le violet partout, partout. » Il reprend le carnet, il dit encore : « Du violet pa’tout, pa’tout. » Et moi je ne peux pas fermer les yeux mais je sais qu’il n’a pas menti. C’est violet partout.


Alors à ce moment-là, ici et là-bas, c’est la même chose. Je ne le sais pas avant de voyager jusqu’en France. Les gens croient qu’ailleurs c’est différent. Mais ailleurs c’est pareil, il y a des grands et des petits, il y a des importants, les présidents, les directeurs, les banquiers, les Armando, les Escalier, les Robinet de Bosses, les Ramchetty, les Singh, les Ming Soo, Pak Soo, Dong Soo, les North-Tombs, tout bann zan-là. Et il y a les autres qui ne valent pas une roupie, les oubliés, les écrasés, ils n’ont pas de carte de visite, ils n’ont pas de carte de crédit, ils n’ont rien dans les poches, juste quelques billets en lambeaux et quelques sous rouillés. Et maintenant je le sais, parce que quand Béchir est fin mort, il reste sur le brancard dans le couloir de l’hôpital, et les toubibs en blouse blanche et les infirmiers en blouse verte passent devant lui sans le regarder, alors moi je pars sans rien dire et je marche dans la nuit, et dans le sac à dos de Béchir je ne trouve rien qu’une carte de soldat et son gros bouquin vert.


Le vieil homme, c’est un Fe’sen, je n’ai pas besoin de lui demander, j’en suis sûr, je connais sa façon, comme un prince au bout du monde, même ici sur ce banc en pierre à côté d’un clochard. Si je lui dis : Moi c’est Fe’sen Coup de ros, est-ce qu’il s’en souvient ? Il s’en fout, des Coup de ros. Il a la peau plus bronzée que moi, mais c’est à cause du diabète, quand il boit son café il met un grain de saccharine sur sa langue, il dit : « Est-ce que ça n’est pas un peu drôle, un fils de sucrier qui est diabétique ? » J’aime bien regarder ses dessins et ses peintures dans son carnet, les paysages, les filaos penchés par le vent, les lagons, le ciel avec des petits nuages ronds parce qu’il n’y a qu’au pays Maurice que les nuages sont petits en troupeau de moutons, et ça me donne envie d’être là-bas, ça me donne envie de larmes mais j’ai les yeux secs et pour ça je dois les mouiller avec le bout de ma langue. Le vieux Fe’sen guette ça, il dit : « Eh bien, toi tu es un vrai phénomène ! » en allongeant la bouche, c’est ce que nous faisons dans l’île. Je lui dis : « Moi, avec le coup de langue du lézard je suis capable de gagner aussi bien que n’importe qui, à la loterie de Missié Scamburlo. » Et ça aussi ça le fait bien rire. Est-ce qu’il se souvient de son enfance, quand il se bat dans les champs de cannes, lui et ses cousines, avec des sabres en bagasse ? Est-ce qu’il connaît la maison derrière les bambous, de l’autre côté du ruisseau, là où je suis petit, là où mon papa est mort ? Est-ce qu’il est là quand les Armando pilent la case d’Artémisia, et qu’elle se met à quatre pattes pour ramasser sa vieille poupée qui n’a qu’une jambe ? Je veux m’envoler dans les images, je suis un oiseau qui s’échappe par la fenêtre. Lui, le vieux Fe’sen, il roule sa cigarette dans sa petite machine, il l’allume et le bout en papier prend feu. Il demande une fois : « Tu sais qui je suis ? » Je lui dis : « Oui, Missié Ziz. » Je dis ça parce qu’il a l’air sérieux de mon papa. Ça le fait rire : « Moi, un juge ? Non, tu te trompes, je suis un docteur. » Il attend un peu et il dit : « Mais je ne travaille pas, je n’en ai pas besoin, ma femme est riche. » Il dit aussi : « Maintenant, nous avons tout perdu pendant la guerre, et de toute façon je suis trop vieux pour être docteur. » Je lui pose la question : « Dites, pourquoi je suis comme ça ? » Il me regarde, il comprend la question, au sujet de mon visage où il n’y a plus de nez, plus de paupières, juste une grande bouche et une langue trop longue. Avec le bout en fer de sa canne il dessine par terre, dans la poussière, la lettre maudite de ma maladie, c’est un bon docteur, ou peut-être qu’il connaît déjà mon histoire, les gens des îles sont nés malins. Je penche un peu la tête vers le sol, je guette là où il dessine la lettre Σ. Je lui demande : « Qu’est-ce que je peux faire ? » Il dit : « Tu ne peux pas changer ta destinée. » Ensuite il se lève, il reste debout devant le soleil, il est grand et maigre, habillé de noir, il ressemble à mon papa quand il revient du bureau à la fin de la journée, et qu’il dit : « Behave ! » Je suis revenu dans le temps d’Alma, j’attends mon papa, j’écoute ses pas craquer dans l’allée de gravier. Le vieux Fe’sen se retourne une fois avant de s’en aller. « Salam ! — Salam, Missié Fe’sen ! » Je ne sais pas s’il entend, il se retourne et il enlève son chapeau, et j’imagine que je suis un grand dimoune. Et c’est la dernière fois que je le vois.


Ensuite je demande à Sœur Simone : « Qu’est-ce qui arrive au vieux ? » Elle me dit : « Il est tombé par terre et sa jambe est cassée, alors on lui coupe la jambe, ça arrive aux gens qui ont le diabète. » Je ne sais pas si le vieux Fe’sen est mort, ou s’il est vivant et il regarde le coucher de soleil sur la mer par la fenêtre du sixième étage de son immeuble, nous autres dans l’île nous aimons toujours voir le soleil boire l’eau de la mer avant de dormir. Je connais Béchir, je connais la fille aux cheveux bleus, je connais Missié Fe’sen, et ensuite ils disparaissent. Je crois que c’est parce que je ne dors pas, quand tu dors, dans tes yeux fermés la nuit pé vini et tu es fin mort.

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