7.

En cette première semaine du mois de septembre 1793, le nom et l’exemple de Marat sont sur les lèvres et dans les têtes des ouvriers du bâtiment, et des fabriques d’armes, qui se rassemblent faubourg Saint-Antoine.

Les chaleurs d’un été torride étouffent encore Paris sous une brume moite et fétide.

Un sans-culotte, bonnet rouge enfoncé jusqu’aux sourcils, sabre au côté, est debout sur une borne.

Il agite un exemplaire du Père Duchesne, comme s’il s’agissait d’un drapeau rouge annonçant l’émeute, la fusillade et le massacre.

Il tonne. Il dénonce les accapareurs, les agioteurs, les gens suspects, les égoïstes, les hommes qui se sont enrichis depuis la Révolution, les pillards de la République, quels que soient leurs masques.

Et pendant que ceux-là s’engraissent et complotent, les citoyens, les patriotes ont faim.

Car les boulangers qui manquent de grain ne cuisent plus que deux fournées par jour !

Il faut exiger le maximum des prix, se rendre à l’Hôtel de Ville, à la Convention, imposer cette mesure.

Et Chaumette, le procureur de la Commune, est prêt à soutenir les vœux des sans-culottes.

« Eh, moi aussi j’ai été pauvre, a-t-il répondu à une députation, et par conséquent je sais ce que c’est que les pauvres.

C’est ici la guerre ouverte contre les pauvres ! Ils veulent nous écraser, eh bien il faut les prévenir, il faut les écraser nous-mêmes, nous avons la force en main ! »


On applaudit la déclaration de Chaumette.

On écoute le sans-culotte lire l’article d’Hébert. On l’interrompt souvent pour l’approuver.

« Marat ! Je profiterai de tes leçons. Oui, foutre, ombre chérie, je te jure de braver toujours les poignards et le poison et de suivre toujours ton exemple. Guerre éternelle aux conspirateurs, aux intrigants, aux fripons ! Voilà ma devise, foutre !

« Tiens ta parole, m’a dit le fantôme de Marat ! Oui, foutre, je la maintiendrai, nous la maintiendrons ! »

Il vocifère, sort son sabre, gesticule, fend l’air de grands coups de lame, vocifère encore.

« Pour les accapareurs, sangsues impitoyables, engraissées de la substance du peuple, point de quartier, point de retard et de suite à la guillotine ! »

« À la guillotine », reprend la foule.

« Pour les agioteurs : la guillotine.

« Pour les gens suspects, l’heure du lever du peuple est celle de la mort : à la guillotine !

« Pour les égoïstes : voici le chemin des frontières et de la défense de la patrie, ou celui de la place de la Révolution où vous attend la guillotine !

« Et pour les fripons, la guillotine. »

« La guillotine ! La guillotine ! » scande la foule.


À la Convention, au club des Jacobins, on ne veut pas, on ne peut pas rompre avec le peuple des sans-culottes.

On sait qu’il se prépare pour le 5 septembre, avec Chaumette et Jacques Roux, qui a été libéré de prison, avec Hébert et l’Enragé Leclerc, un grand rassemblement devant la Convention.

Et comment l’Assemblée pourrait-elle résister à ces sans-culottes qui vont se présenter et l’investir en armes ?

Robespierre à la tribune des Jacobins leur a déjà donné raison :

« Le peuple réclame vengeance, elle est légitime. Et la loi ne doit point la lui refuser ! »

Et Barère à la Convention a rappelé la situation de la patrie. « Jamais l’armée n’a été en plus fâcheux état de désorganisation. »

Ce sont les mots mêmes de jeunes officiers sortis du rang, patriotes, tels que Jourdan et Soult, Berthier, Bonaparte ou Carnot, membre du Comité de salut public.

Et Barère poursuit :

« La République n’est plus qu’une grande ville assiégée… Ce n’est pas assez d’avoir des hommes… Des armes, des armes et des subsistances ! C’est le cri du besoin ! Des armes, des manufactures de fusils et de canons, voilà ce qu’il nous faut pendant dix ans ! »

Le 5 septembre, la foule envahit la Convention. Les députations des sections se succèdent à la tribune, menacent ceux qui tardent à frapper avec le couperet de la loi, interrogent brutalement les députés :

« A-t-on livré aux tribunaux révolutionnaires les ministres perfides, les agents du pouvoir exécutif qui n’ont pas étouffé, dès le principe, le noyau de contre-révolution dans les départements de l’Ouest et du Midi ? »

« A-t-on puni les traîtres ? Non ! »

« Et nous sommes trahis partout, foutre ! »


On dit qu’un complot se trame pour faire évader la veuve Capet. On a trouvé sur elle un billet, qu’un visiteur avait glissé dans un œillet et auquel elle a répondu, en perçant à l’aide d’une aiguille un morceau de papier, en écrivant ainsi qu’elle ne perdait pas espoir !

« Et les traîtres restent impunis, foutre ! Pas un conspirateur n’a mis “la tête à la fenêtre” [dans la lunette de la guillotine], n’a été raccourci. On n’a jugé jusqu’à présent que les valets et les maîtres se sont échappés ! » On compte mille cinq cent quatre-vingt-dix-sept détenus dans les prisons de Paris, et ces aristocrates corrompent leurs gardiens, paient en numéraire le pain et les chapons, le vin et leur libération !

« À la fenêtre leur tête !

« Une misérable cuisinière s’est avisée de crier : “Vive le Roi !” Le lendemain elle a été raccourcie, c’est bien fait, elle le méritait, foutre ! Mais pourquoi, citoyens jugeurs, n’expédiez-vous pas aussi promptement les grands scélérats ? Pourquoi cet infâme Brissot, le plus cruel ennemi de la patrie, celui qui nous a mis aux prises avec toute l’Europe, qui a causé la mort de plus d’un million d’hommes, qui avait la patte graissée par tous les brigands couronnés pour mettre la France à feu et à sang, pourquoi foutre, ce monstre vit-il encore ? »

On réclame la mort pour la veuve Capet, pour les députés girondins proscrits, pour le général Custine, accusé de trahison, pour Barnave, le Feuillant, pour le ci-devant Philippe Égalité, duc d’Orléans.


On veut que « la Sainte Guillotine aille grand train tous les jours ». Et Hébert, qui conduit les sans-culottes, répète, commande :

« Législateurs, placez la Terreur à l’ordre du jour ! »

Et à la fin de cette journée du 5 septembre 1793, Barère, au nom du Comité de salut public, monte à la tribune de la Convention et déclare, reprenant mot à mot les exigences des sans-culottes et les propos d’Hébert :

« Plaçons la Terreur à l’ordre du jour, c’est ainsi que disparaîtront en un instant et les royalistes et les modérés, et la tourbe contre-révolutionnaire qui vous agite.

« Les royalistes veulent du sang ? Eh bien ils auront celui des conspirateurs, des Brissot, des Marie-Antoinette. »

Et un proche d’Hébert, Vincent, l’un des principaux orateurs du club des Cordeliers, chef de bureau au ministère de la Guerre, ajoute à la liste des traîtres qui mettront « la tête à la fenêtre » le nom de Danton.

« Cet homme sans cesse nous vante son patriotisme mais nous ne serons jamais dupes de sa conduite. »


Qui n’est pas suspect aux yeux des sans-culottes conduits par les Enragés et les « hébertistes » ?

Et ils ne se contentent pas de ces mesures que la Convention, cédant à leur pression, à leur présence, à leurs cris, à leurs menaces, vient de leur accorder : la rétribution, à raison de trois francs par jour, des membres des Comités révolutionnaires, et l’épuration de ces Comités afin qu’ils arrêtent sans délai les suspects ; la création d’une armée révolutionnaire de six mille hommes et douze cents canonniers ou cavaliers pour « assurer les subsistances de Paris, et épouvanter l’ennemi intérieur » qui pourrait être tenté de faire un coup de force sur la ville.

Et la Convention décrète le maximum général des salaires et des prix des denrées.


Car la disette n’a pas cessé de serrer les plus pauvres à la gorge.

« L’affluence aux portes des boulangeries est toujours la même. Elles sont assiégées nuit et jour. Tout s’y est néanmoins passé aujourd’hui un peu plus paisiblement qu’hier à quelques coups de poing près donnés par-ci par-là et fidèlement rendus. On y a même volé quelques pendants d’oreilles, mais enfin personne n’a été ni tué, ni estropié et chacun a eu du pain tant bon que mauvais… »


Mais cela ne suffit pas aux « sectionnaires » enragés. Il faut, exigent-ils, frapper les suspects.

Ils s’indignent. Pendant ces quatre mois de l’été 1793, de juin à septembre, le Tribunal révolutionnaire n’a jugé que deux cent deux accusés, dont cent trente-neuf ont été acquittés ! Il faut remplir les prisons si l’on veut mettre « les têtes à la fenêtre » de la Sainte Guillotine. Elle ne doit pas rester ses bras de bois vides, comme un arbre sans fruit planté place de la Révolution.

Enfin, capitulant devant les revendications des sans-culottes, le 17 septembre, la Convention vote la loi des suspects.

Maintenant que le couperet de cette loi est tombé, plus aucun citoyen n’est en « sûreté ».


Chacun le sait, le sent, le voit. On peut sur un soupçon, une dénonciation, devenir un suspect, car la loi est si générale dans ses termes que l’envieux, le jaloux, le voisin mécontent, peut vous faire basculer dans la catégorie des « gens réputés suspects ».

Ce sont, dit la loi, « ceux qui soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou par leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté ».

Ce sont « ceux qui n’auraient pas justifié de l’acquit de leurs devoirs civiques ou obtenu leurs certificats de civisme ».

Ce sont « ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ».

Ce sont « tous les émigrés à dater du 1er juillet 1789 »…

Et ce sont les comités de surveillance qui « sont chargés de dresser, chacun dans son arrondissement, la liste des gens suspects, de décerner contre eux les mandats d’arrêt et de faire apposer les scellés sur leurs papiers ».

Où sont les juges, les tribunaux impartiaux ?

Il faut devenir gris, invisible, se faire oublier, et cela ne suffit pas. Il faut manifester son adhésion à cette loi, à tout ce que les comités de surveillance décident.

Et puisque le 21 septembre la Convention a décidé que toutes les femmes devront porter la cocarde tricolore, il faudra l’arborer.


« Hier et avant-hier il y a eu quelques démêlés au sujet de l’arrêté qui ordonne aux femmes de porter la cocarde. Dans quelques quartiers celles qui n’y avaient pas encore obéi ont été honnies, décoiffées, fouettées, etc. Les citoyennes s’empressent de se décorer de ce signe sacré de liberté, et nous ne doutons pas que l’ingénieuse élégance de nos petites maîtresses n’en fasse bientôt un objet de coquetterie. »


Des rixes se produisent entre femmes.

« Les femmes des sociétés révolutionnaires voulaient forcer toutes les femmes de Paris à porter des bonnets rouges, après cela, des habits de laine. Les femmes de la Halle s’y sont opposées et il y a eu des batteries sérieuses entre elles… Les femmes de la Huile ont demandé que tous les clubs de femmes soient supprimés… Le mercredi 30 octobre, l’Assemblée a décrété et il est défendu aux femmes de s’assembler en sociétés populaires sous quelque dénomination que ce soit. Ainsi voilà les clubs de femmes supprimés. »

Les députés ont décidé. Et ils vont débattre de cette affaire de cocarde.

L’un dit que toute femme qui ne la porte pas doit être traitée en contre-révolutionnaire, et donc en suspecte.

L’autre fait remarquer qu’une femme peut avoir perdu sa cocarde ou oublié d’en mettre une, « ce n’est pas là un crime ! ». Mais il y a des femmes royalistes, « cette branche de contre-révolutionnaires peut beaucoup sur l’opinion ». Il faut « l’atteindre ».

Alors on vote : la première fois qu’une femme sera trouvée sans cocarde, elle sera punie de huit jours de clôture ; la seconde fois, regardée comme suspecte et enfermée jusqu’à la paix.


Ainsi la peur de devenir suspect taraude la plupart des citoyens. On tente de devancer les soupçons en se montrant plus patriote encore que les sectionnaires.

Les artistes de l’Opéra s’en vont quérir le commissaire de police, « indignés de ce qu’il existe encore dans leurs archives des objets ayant trait à la royauté et au régime féodal. Ils ont brûlé en face de la salle de l’Opéra une immense quantité de papiers, parmi lesquels étaient les règlements de ce spectacle intitulé : “Académie royale de musique” »…

Et sur la place de Grève, quelques jours plus tard, on a brûlé la garde-robe de Louis Capet, consistant en un chapeau, plusieurs habits, redingotes, vestes et culottes de diverses étoffes. Les chemises ont été conservées : on a seulement ôté la marque.


Et c’est avec une détermination sombre, qu’on allume ici et là des brasiers pour y brûler des archives qui rappellent que durant des siècles la France fut un royaume.

Et on brise les statues des rois.

On va chercher au plus profond de la terre et de la mémoire, afin de les extirper, de les détruire, les reliques des souverains.

On se rend à l’abbaye de Saint-Denis, et dans les églises, « sous prétexte d’avoir du plomb pour les armées, écrit le libraire Ruault, on a exhumé tous les cadavres déposés dans les caveaux des églises. Mais c’était pour qu’il ne reste rien de noble en France, pas même la poussière de ces morts.

« On a creusé à Saint-Denis une grande fosse dans laquelle on a jeté pêle-mêle tous les ossements des rois, des princes, des princesses, etc., depuis le roi Dagobert et Mathilde sa femme qui vivaient au VIIe siècle, jusqu’à Louis XV et les enfants du comte d’Artois. Le procès-verbal de la municipalité de Saint-Denis en fait foi… »

Ruault a refusé de le publier dans Le Moniteur.

Il est à la fois accablé et terrorisé.

« La Révolution trouble la paix des morts et les poursuit jusqu’au fond de leurs tombeaux… Elle porte avec elle ce triste intérêt de la destruction absolue de ce qui a existé de plus grand en France pendant onze siècles.

« Tous ces monuments de la grandeur et de la vanité humaine ont été détruits, brûlés dans la chaux…

« Quel triste temps que celui où les vivants et les morts sont également persécutés pour des votes et des opinions. »

Et les premiers succès remportés, contre les Anglais à Hondschoote le 8 septembre par le général Houchard, la capitulation de Bordeaux, où les représentants en mission Tallien et Ysabeau organisent la terreur contre les aristocrates et les fédéralistes girondins, et le siège de Lyon, la grande ville contre-révolutionnaire dont la chute ne saurait tarder, semblent montrer que la répression, la dureté impitoyable paient.

Le Comité de salut public, chaque jour, grâce au télégraphe optique de Claude Chappe qui relie les grandes villes de France à Paris, peut établir un état de la situation d’un bout de la nation à l’autre.

En Vendée, l’armée de Mayence commandée par le jeune général Kléber et le général Marceau engage le combat contre les Vendéens et défait à Cholet la grande armée catholique et royale.

Elle n’est pas détruite. Elle passe la Loire à Saint-Florent dans l’espoir de gagner la côte vers Granville, de faire sa jonction avec – on l’espère, on le rêve – des corps de débarquement anglais et émigrés.

Barère à la tribune de la Convention répète :

« La Vendée, et encore la Vendée ! Voilà le chancre politique qui dévore le cœur de la République ! C’est là qu’il faut frapper. »

Ils sont quarante mille Vendéens, accompagnés d’autant de femmes et d’enfants, à tenter d’échapper, dans « cette virée de Galerne » aux Bleus.

Dans la foule se trouvent quatre ou cinq mille prisonniers républicains qu’on commence à massacrer, puis qu’on épargne par peur des représailles.

L’armée catholique et royale marche donc vers le nord, commandée désormais par La Rochejaquelein.

Et le représentant en mission, Carrier, arrive à Nantes, pour épurer ce pays chouan.

Le garrot s’est donc un peu desserré autour du cou de la nation. Le général Jourdan et le représentant en mission Carnot ont remporté le 16 octobre la victoire de Wattignies, sur les Autrichiens qui lèvent le siège à Maubeuge.

Reste Toulon, livrée aux Anglais et aux Espagnols.

Le jeune capitaine Napoléon Bonaparte vient d’être désigné par les représentants en mission Saliceti et Gasparin, pour prendre le commandement de l’artillerie dans l’armée du général Carteaux qui assiège le grand port.

Il faut arracher cette tumeur comme on a commencé d’éradiquer le chancre vendéen.

Et il faut pour y parvenir montrer qu’on est impitoyable.


On va juger les députés girondins, arrêtés le 2 juin. Mais cela ne suffit pas. Le 3 octobre, Billaud-Varenne, au nom du Comité de salut public, monte à la tribune.

« La Convention nationale, dit-il, vient de donner un grand exemple de sévérité aux traîtres qui méditent la ruine de leur pays. Mais il lui reste encore un décret important à prendre. »

Il s’interrompt et, dans le silence pesant qui s’est établi, il poursuit, détachant chaque mot :

« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit expier enfin ses forfaits sur l’échafaud. »

Billaud-Varenne énonce déjà le verdict avant que le procès ait commencé.

Il explique que des rumeurs assurent que Marie-Antoinette a été blanchie par le Tribunal révolutionnaire.

« Comme si une femme qui a fait couler le sang de plusieurs milliers de Français pouvait être absoute par un jury français ! Je demande que le Tribunal révolutionnaire se prononce cette semaine sur son sort ! »


Et comment, alors qu’on exhume les ossements des rois pour les réduire en cendres, pourrait-on accepter que survive, fût-ce emprisonnée, « la louve autrichienne » ?

Marie-Antoinette n’est plus qu’une femme malade, sujette à des hémorragies répétées, enfermée dans l’ancienne infirmerie de la Conciergerie dont on a obturé toutes les issues.

L’accusateur Fouquier-Tinville, le substitut du procureur Hébert, le président du Tribunal Herman interrogent le dauphin.

Son gardien le cordonnier Simon l’a surpris à se masturber. Et l’enfant accuse sa mère, sa tante Élisabeth, de lui avoir enseigné ces pratiques. Il couchait entre elles, dit-il.

« Il nous a fait entendre qu’une fois sa mère le fit approcher d’elle, qu’il en résulta une copulation et un gonflement à l’un de ses testicules pour lequel il porte un bandage et que sa mère lui a recommandé de ne jamais en parler… Que cet acte a été répété plusieurs fois de suite. »


À l’audience, la reine est assistée d’un avocat nommé d’office, maître Chauveau-Lagarde.

C’est Hébert qui l’accuse d’inceste, en rappelant la déposition du dauphin.

Marie-Antoinette ne répond pas mais un des jurés insiste pour qu’elle s’explique.

« Si je n’ai pas répondu, dit-elle, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui sont ici. »

La voix de cette femme aux cheveux blancs, aux traits affaissés, mais au port de tête droit, est digne. Et l’émotion, la compassion, la honte saisissent le public avide qui se presse dans la salle.

L’on suspend les débats.


En fait, le verdict a été rendu avant même que le procès s’ouvre. Marie-Antoinette est accusée d’avoir été « l’instigatrice de la plupart des crimes dont s’est rendu coupable ce dernier tyran de France, Louis Capet ».

Elle est condamnée à mort.

Elle rentre à la Conciergerie, vers quatre heures trente du matin ce mercredi 16 octobre 1793.

Elle n’a que le temps d’écrire une lettre à sa belle-sœur, Élisabeth.

« Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère, comme lui – innocente.

« Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien, j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants, vous savez que je n’existais que pour eux… »


On ne la laissera même pas se changer de linge sans témoin. Le bourreau, Samson, lui attachera les mains derrière le dos et coupera ses cheveux, puis, liée à lui par une longue corde, il la fera monter dans une charrette.

Elle se tient droite, tête un peu levée, mèches en désordre s’échappant de son bonnet.

Elle refuse de parler au prêtre constitutionnel qui l’accompagne. Et elle ne se confessera pas.

La foule immense contenue par trente mille soldats crie : « Vive la République ! À bas la tyrannie ! Mort à l’Autrichienne ! »

En montant à l’échafaud, d’un brusque mouvement de tête, Marie-Antoinette fait tomber son bonnet.

Et Samson montrera sa tête ensanglantée au peuple ce 16 octobre 1793, à midi et quart.


La foule crie : « À bas ! À bas ! », « Vive la République ! ».

« Cette sottise prolongée a tout troublé », note le journaliste Goffroy, qui se prétend lui aussi héritier de Marat et de son Ami du peuple.

D’autres journaux reviennent sur le procès, les accusations d’inceste.

« Les regards de l’Autrichienne étaient arrogants et non pas tranquilles. Elle a répondu d’un ton dramatique et a fait même une interpellation aux mères de famille. Elle a rougi d’abord à ces reproches d’inceste, mais l’on voyait facilement sur son visage que la cause de cette rougeur était en effet non pas de la pudeur ou de l’innocence mais du désagrément d’être découverte. »

« Ses flatteurs n’en ont même pas été dupés. »

Alors qu’elle meure !

« Seuls quelques esprits faibles parurent douloureusement affectés de l’exécution de la veuve Capet, en ne la considérant que sous le titre de mère et de femme malheureuse, lit-on dans Les Révolutions de Paris. Mais comme reine de France, tout le monde s’accordait à convenir de la justice du trop doux châtiment qu’elle subissait. »


Et Hébert, qui a assisté à l’exécution, au pied de l’échafaud, exulte, exprime les sentiments de ces sans-culottes, de ces patriotes enragés, que la passion révolutionnaire emporte.

« J’ai vu tomber dans le sac la tête de Veto femelle, écrit Hébert dans Le Père Duchesne.

« Je voudrais, foutre, pouvoir vous exprimer la satisfaction des sans-culottes quand l’archi-tigresse a traversé Paris dans la voiture à trente-six portières. Ses beaux chevaux blancs si bien empanachés, si bien enharnachés ne la conduisaient pas, mais deux rossinantes étaient attelées au vis-à-vis de maître Samson et elles paraissaient si satisfaites de contribuer à la délivrance de la République qu’elles semblaient avoir envie de galoper pour arriver au plus tôt au lieu fatal.

« La garce au surplus a été audacieuse et insolente jusqu’au bout.

« Cependant les jambes lui ont manqué au moment de faire la bascule pour jouer à la main chaude, dans la crainte sans doute, de trouver après sa mort un supplice plus terrible que celui qu’elle allait subir.

« Sa tête maudite fut enfin séparée de son col de grue et l’air retentissait des cris de “Vive la République !”. »


« Qu’elle ait été seule dans ses derniers moments, sans consolation, sans personne à qui parler, à qui donner ses dernières volontés, cela fait horreur, écrit quelques jours plus tard le comte de Fersen. Les monstres d’enfer ! Non ! Sans la vengeance, jamais mon cœur ne sera content. »


La douleur de Fersen est d’autant plus grande qu’il sait bien que parmi les rois et les princes, les émigrés et les royalistes restés en France, personne n’a tout tenté pour sauver la reine. Danton lui y a songé, mais très vite, il a mesuré les risques immenses qu’il courrait.

Les hébertistes le rangent parmi les « pourris » de la Convention.

On découvre que certains de ses proches ont, l’un – Robert -vendu du « rhum accaparé », et l’autre – Perrin – trafiqué dans les fournitures de guerre.

On accuse l’entourage de Danton d’être composé non seulement de corrompus mais d’« endormeurs ». En somme, les dantonistes sont de nouveaux Girondins.

Et Vincent, l’hébertiste, ne cesse de répéter ses attaques contre Danton, accusé de s’être abouché avec « Dumouriez dans l’affaire de la Belgique ». Et Danton comprend que cette accusation peut conduire à l’échafaud.

Le général Houchard, vainqueur à Hondschoote, a été arrêté, jugé, condamné à mort, parce qu’il n’a pas su exploiter sa victoire et que dès lors on le soupçonne sans preuve d’avoir ouvert des pourparlers avec l’ennemi.

On va juger Philippe Égalité et Danton fut proche du ci-devant duc d’Orléans.

Alors, Danton préfère quitter Paris. Il prétend qu’il est malade et se retire dans sa propriété d’Arcis-sur-Aube.

Danton est sans illusion.

« En conduisant Marie-Antoinette à l’échafaud, dit-il, on a détruit l’espoir de traiter avec les puissances étrangères. »

Mais le plus grave, le plus dangereux n’est pas dans cette exécution, mais dans le procès qui s’ouvre, contre les députés girondins, devant le Tribunal révolutionnaire.

Ils sont vingt et un, qui comparaissent à compter du 24 octobre.

Robespierre a fait écarter un décret qui renvoyait devant les juges soixante-treize députés qui avaient protesté contre les manifestations des journées des 31 mai et 2 juin. Générosité de sa part ? Ou bien habileté ? Maximilien veut que les « chefs de la faction » soient condamnés à mort, et ce sera d’autant plus aisé qu’ils seront isolés, promis à la guillotine puisque la Convention a décidé de raccourcir la durée des débats en les limitant à trois jours.

Danton, à Arcis-sur-Aube, est sombre.

« Des factieux, les girondins ? s’interroge-t-il. Est-ce que nous ne sommes pas tous des factieux ? Nous méritons tous la mort autant que les Girondins ! Nous subirons tous les uns après les autres le même sort qu’eux ! »

Pour Robespierre au contraire, Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Carra, Valazé, et ceux qui sont encore en fuite, Pétion, Roland, Barbaroux, Condorcet, constituent « la faction la plus hypocrite dont l’histoire ait jamais fourni l’exemple ».

Et il n’oublie pas Manon Roland.


Mais le plus fanatique des accusateurs est Hébert, qui laisse éclater sa joie de voir comparaître les Girondins ce jeudi 24 octobre devant le Tribunal révolutionnaire, dont on sait bien qu’il les condamnera à mort.

« Voilà foutre le sort qui vous était réservé, lâches, déserteurs de la sans-culotterie qui avez préféré de barboter dans le marais et vous couvrir de boue plutôt que de gravir la Sainte Montagne où la gloire vous tendait les bras. Vous avez voulu péter plus haut que le cul, vous avez voulu faire fortune et vous n’avez pas réfléchi que la guillotine était au bout de la route que vous preniez pour y arriver.

« Te voilà enfin sur la sellette, infâme Brissot…

« Eh, vite donc, Maître Samson, graisse tes poulies, et dispose-toi à faire la bascule à cette bande de scélérats que cinq cents millions de diables ont vomis sur la terre et qui auraient dû être étouffés dans leur berceau, foutre. »


Les jeux sont faits.

Hébert, substitut du procureur de la Commune de Paris, désigne Brissot comme le chef de la « faction du tyran et vendu à la Cour », coupable « d’avoir voulu en allumant la guerre universelle anéantir la liberté en livrant la France aux despotes ».

« C’est par vos manœuvres lâches et méprisables, coquins, que les patriotes de Marseille, de Bordeaux, de Lyon, de Toulon ont été égorgés ! C’est vous qui avez allumé la guerre civile de la Vendée…

« La France entière vous accable ! Vous n’échapperez pas au supplice que vous avez mérité. »

Le verdict tombe le mercredi 30 octobre vers onze heures du soir.

L’un d’eux, Valazé, se poignarde au cœur devant le tribunal.

Les autres crient :

« Nous sommes innocents ! Peuple on vous trompe ! »

Vergniaud qui portait sur lui une fiole de poison a renoncé à l’utiliser pour mourir aux côtés de ses amis. Tous chantent :

Contre nous de la tyrannie

L’étendard sanglant est levé.

On les entraîne. On les enferme. C’est leur dernière nuit.

« Ils se réunirent tous dans une seule chambre pour souper. Ils se firent servir un très bon repas de tout ce qu’on put rassembler à cette heure-là dans le quartier du Palais, en rôtis, pâtisseries, vins délicats et liqueurs. Ils élurent un président qui leur proposa de mourir à l’instant même. “Je me sens assez de courage pour vous tuer tous, moi le dernier et nous éviterons ainsi l’échafaud et la mort publique.”

« Cette proposition fut reçue diversement par la bande des condamnés qui se mirent à boire et à manger.

« Au milieu du repas on agita longtemps la question de l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Dix-sept sur vingt et un reconnurent l’une et l’autre et se refusèrent à mourir de la main du président. »


Grande foule le jeudi 31 octobre 1793, place de la Révolution, lorsque les Girondins arrivent vers une heure. Aux vingt et un députés on a adjoint douze autres condamnés.

Les Girondins crient : « Vive la République ! Plutôt la mort que l’esclavage ! »

Et la foule répond : « Vive la République ! À bas les traîtres ! »

Il fallut trente-huit minutes au bourreau Samson pour exécuter les trente-trois condamnés.

Hébert est une nouvelle fois au pied de l’échafaud.

Chacun a pu constater l’attitude courageuse des Girondins.

Hébert écrit dans Le Père Duchesne :

« Plusieurs ont fait contre mauvaise fortune bon cœur et quelques-uns se chatouillaient pour rire, mais foutre, ce n’était que du bout des lèvres… À chaque tête qui roulait dans le sac tous les chapeaux étaient levés en l’air et la place retentissait des cris de “Vive la République !”.

« Ainsi finirent les brissotins, ainsi passeront tous les traîtres. »

Загрузка...