XXIII


De forme sensiblement carrée, assez élevée de plafond, la chambre de Colin prenait jour sur le dehors par une baie de cinquante centimètres de haut qui courait sur toute la longueur du mur à un mètre vingt du sol environ. Le plancher était recouvert d’un épais tapis orange clair et les murs tendus de cuir naturel.

Le lit ne reposait pas sur le tapis, mais sur une plate-forme à mi-hauteur du mur. On y accédait par une petite échelle de chêne syracusé garnie de cuivre rouge blanc. La niche formée sur la plate-forme, sous le lit, servait de boudoir. Il s’y trouvait des livres et des fauteuils confortables, et la photographie du Dalaï-Lama.

Colin dormait encore. Chloé venait de se réveiller et le regardait. Elle avait les cheveux en désordre et paraissait encore plus jeune. Il ne restait, sur le lit, qu’un drap, celui de dessous, le reste avait voltigé dans toute la pièce, bien chauffée par des pompes à feu. Elle était maintenant assise, les genoux remontés sous le menton, et se frottait les yeux, puis s’étira et se laissa retomber en arrière et l’oreiller s’infléchit sous son poids.

Colin était étendu à plat ventre, les bras autour de son traversin, et bavait comme un vieux bébé. Chloé se mit à rire et s’agenouilla à côté de lui pour le secouer vigoureusement. Il se réveilla, se souleva sur les poignets, s’assit et l’embrassa avant d’ouvrir les yeux. Chloé se laissa faire avec une certaine complaisance, le guidant vers les places de choix. Elle avait une peau ambrée et savoureuse comme de la pâte d’amandes.

La souris grise à moustaches noires grimpa le long de l’échelle et vint les avertir que Nicolas attendait. Ils se rappelèrent le voyage et bondirent hors du lit. La souris profitait de leur inattention pour puiser largement dans une grosse boîte de chocolats à la sapote qui se trouvait au chevet du lit.

Ils firent promptement leur toilette, mirent des costumes assortis et se hâtèrent vers la cuisine. Nicolas les avait invités à prendre le petit déjeuner dans son domaine. La souris les suivit et s’arrêta dans le couloir. Elle voulait voir pourquoi les soleils n’entraient pas aussi bien que d’habitude, et les engueuler à l’occasion.

« Alors, dit Nicolas, vous avez bien dormi ? »

Les yeux de Nicolas étaient cernés et son teint plus ou moins brouillé.

« Très bien, dit Chloé, qui se laissa tomber sur une chaise, car elle avait du mal à se tenir debout.

– Et toi ? demanda Colin qui glissa et se retrouva assis par terre, sans faire aucun effort pour se rattraper.

– Moi, dit Nicolas, j’ai raccompagné Isis chez elle, et elle m’a fait boire, comme il se doit.

– Ses parents n’étaient pas là ? demanda Chloé.

– Non, dit Nicolas. Il y avait juste ses deux cousines, et elles ont absolument voulu que je reste.

– Elles avaient quel âge ? demanda Colin insidieusement.

– Je ne sais pas, dit Nicolas. Mais, au toucher, je donnerais seize ans à l’une et dix-huit ans à l’autre.

– Tu as passé la nuit là-bas ? demanda Colin.

– Euh !… dit Nicolas… Elles étaient toutes les trois un peu éméchées, alors… j’ai dû les mettre au lit. Le lit d’Isis est très grand… Il y avait encore une place. Je n’ai pas voulu vous réveiller, alors, j’ai dormi avec elles.

– Dormi ?… dit Chloé… Le lit devait être très dur parce que tu as bien mauvaise mine… »

Nicolas toussa d’une façon peu naturelle et s’affaira autour des appareils électriques.

« Goûtez ça », dit-il pour changer la conversation.

C’étaient des abricots fourrés aux dattes et aux pruneaux dans un sirop onctueux et caramélisé sur le dessus.

« Est-ce que tu pourras conduire ? demanda Colin.

– J’essaierai, dit Nicolas.

– C’est bon, ça, dit Chloé. Prends-en avec nous, Nicolas.

– Je préfère quelque chose de plus remontant », dit Nicolas.

Il se confectionna un horrible breuvage sous les yeux de Colin et de Chloé. Il y avait du vin blanc, une cuillerée de vinaigre, cinq jaunes d’œufs, deux huîtres, et cent grammes de viande hachée avec de la crème fraîche et une pincée d’hyposulfite de soude. Le tout descendit dans son gosier, en faisant le bruit d’un cyclotron en pleine vitesse.

« Alors ? demanda Colin, qui s’étranglait presque de rire en voyant la grimace de Nicolas.

– Ça va… » répondit Nicolas avec effort.

Effectivement, les cernes disparurent subitement de ses yeux comme si l’on y avait passé de la benzine, et son teint s’éclaircit visiblement. Il s’ébroua, serra les poings et rugit. Chloé le regardait, un peu inquiète.

« Tu n’as pas mal au ventre, Nicolas ?

– Pas du tout !… brailla Nicolas. C’est fini. Je vous donne la suite et puis, on va s’en aller. »

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