XXIV


La grande voiture blanche se frayait précautionneusement un chemin dans les ornières de la route. Colin et Chloé, assis derrière, regardaient le paysage avec un certain malaise. Le ciel était bas, des oiseaux rouges volaient au ras des fils télégraphiques en montant et descendant comme eux, et leurs cris aigres se reflétaient sur l’eau plombée des flaques.

« Pourquoi est-on passés par là ? demanda Chloé à Colin.

– C’est un raccourci, dit Colin. C’est obligatoire. La route ordinaire est usée. Tout le monde a voulu y rouler parce qu’il y faisait beau tout le temps, et, maintenant, il ne reste plus que celle-ci. Ne t’inquiète pas. Nicolas sait conduire.

– C’est cette lumière », dit Chloé.

Son cœur battait vite, comme serré dans une coque trop dure. Colin passa son bras autour de Chloé, et prit le cou gracieux entre ses doigts, sous les cheveux, comme on prend un petit chat.

« Oui, dit Chloé en rentrant la tête dans les épaules, car Colin la chatouillait, touche-moi, j’ai peur toute seule…

– Veux-tu que je mette les glaces jaunes ? dit Colin.

– Mets quelques couleurs… »

Colin pressa des boutons verts, bleus, jaunes, rouges et les glaces correspondantes remplacèrent celles de la voiture. On se serait cru dans un arc-en-ciel, et, sur la fourrure blanche, des ombres bariolées dansaient au passage de chaque poteau télégraphique. Chloé se sentit mieux.

Il y avait, des deux côtés de la route, une mousse rase et maigre, d’un vert décoloré, et, de temps à autre, un arbre tordu et échevelé. Pas un souffle de vent ne ridait les nappes de boue qui giclaient sous les roues de la voiture. Nicolas peinait dur pour garder le contrôle de la direction et se maintenait avec effort au milieu de la chaussée effondrée.

Il se retourna un instant.

« Ne vous en faites pas, dit-il à Chloé, ça ne va pas durer. La route change bientôt. »

Chloé se retourna vers la glace à sa droite et frissonna. Une bête écailleuse les regardait, debout près d’un poteau télégraphique.

« Regarde, Colin… Qu’est-ce que c’est ?… »

Colin regarda.

« Je ne sais pas, dit-il. Ça… ça n’a pas l’air méchant…

– C’est un des hommes qui entretiennent les lignes, dit Nicolas, par-dessus son épaule. Ils sont habillés comme ça pour que la boue n’entre pas jusqu’à eux…

– C’était… c’était très laid… » murmura Chloé.

Colin l’embrassa.

« N’aie pas peur, ma Chloé, c’était juste un homme… »

Sous les roues, le sol paraissait plus ferme. Une vague lueur teintait l’horizon.

« Regarde, dit Colin. C’est le soleil… »

Nicolas secoua négativement la tête.

« Ce sont les mines de cuivre, dit-il. On va les traverser. »

La souris, à côté de Nicolas, dressa l’oreille.

« Oui, dit Nicolas. Il va faire chaud. »

La route tourna plusieurs fois. La boue, maintenant, commençait à fumer. La voiture était environnée de vapeurs blanches à forte odeur de cuivre. Puis, la boue durcit complètement et la chaussée émergea, craquelée et poussiéreuse. Loin devant, l’air vibrait comme au-dessus d’un grand four.

« Je n’aime pas ça, dit Chloé. On ne peut pas passer d’un autre côté ?

– Il n’y a que ce chemin, dit Colin. Veux-tu le livre de Gouffé ?… Je l’ai pris… »

Ils n’avaient pas emmené d’autres bagages, comptant tout acheter en route.

« On baisse les glaces de couleur ? dit encore Colin.

– Oui, dit Chloé. Maintenant, la lumière est moins mauvaise. »

Brusquement, la route tourna de nouveau et ils se trouvèrent au milieu des mines de cuivre. Elles s’étageaient des deux côtés, de quelques mètres en contrebas. D’immenses étendues de cuivre verdâtre, à l’infini, déroulaient leur aridité. Des centaines d’hommes, vêtus de combinaisons hermétiques, s’agitaient autour des feux. D’autres empilaient, en pyramides régulières, le combustible que l’on amenait sans cesse des wagonnets électriques. Le cuivre, sous l’effet de la chaleur, fondait et coulait en ruisseaux rouges frangés de scories spongieuses et dures comme de la pierre. De place en place, on le rassemblait dans de grands réservoirs où des machines le pompaient et le transvasaient dans des tuyaux ovales.

« Quel travail terrible !… dit Chloé.

– C’est assez bien payé », dit Nicolas.

Quelques hommes s’étaient arrêtés pour voir passer la voiture. On ne voyait, dans leurs yeux, qu’une pitié un peu narquoise. Ils étaient larges et forts, ils avaient l’air inaltérable.

« Ils ne nous aiment pas, dit Chloé. Allons-nous-en d’ici.

– Ils travaillent… dit Colin.

– Ce n’est pas une raison », dit Chloé.

Nicolas accéléra un peu. La voiture filait sur la route craquelée, dans la rumeur des machines et du cuivre en fusion.

« On va bientôt rejoindre l’ancienne route », dit Nicolas.

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