V


Colin se hâtait par les rues lumineuses. Il soufflait un vent sec et vif et, sous ses pieds, de petites places de glace craquelée s’écrasaient en crépitant.

Les gens cachaient leur menton dans ce qu’ils pouvaient trouver : leur col de pardessus, leur foulard, leur manchon, il en vit même un qui employait à cet usage une cage à oiseau en fil de fer dont la porte à ressort lui appuyait sur le front.

« Je vais demain chez les Ponteauzanne », pensait Colin.

C’étaient les parents d’Isis.

« Je dîne ce soir avec Chick…

« Je vais rentrer chez moi me préparer pour demain… »

Il fit un grand pas pour éviter une raie du bord du trottoir qui paraissait dangereuse.

« Si je peux faire vingt pas sans marcher dessus, dit Colin, je n’aurai pas de bouton sur le nez demain…

« Ça ne fait rien, dit-il, en écrasant de tout son poids la neuvième raie, c’est idiot, ces trucs-là. Je n’aurai pas de bouton quand même. »

Il se baissa pour cueillir une orchidée bleue et rose que le gel avait fait sortir de terre.

Elle sentait le parfum des cheveux d’Alise.

« Je verrai Alise demain… »

C’était une pensée à éviter. Alise appartenait à Chick de plein droit.

« Je trouverai certainement une fille demain… »

Mais ses pensées s’attardaient sur Alise.

« Est-ce qu’ils parlent vraiment de Jean-Sol Partre lorsqu’ils sont tout seuls !… »

Il valait peut-être mieux aussi ne pas penser à ce qu’ils faisaient lorsqu’ils étaient tout seuls.

« Combien Jean-Sol Partre a-t-il écrit d’articles depuis un an ?… »

De toute façon, il ne lui restait pas le temps de les compter jusque chez lui.

« Qu’est-ce que Nicolas va faire pour ce soir ?… »

À bien y réfléchir, la ressemblance d’Alise et de Nicolas ne présentait rien d’extraordinaire, puisqu’ils étaient de la même famille. Mais ça ramenait en douce au sujet défendu.

« Qu’est, dis-je, ce que Nicolas va faire pour ce soir ?

– Je ne sais pas ce que Nicolas, qui ressemble à Alise, va faire pour ce soir… »

Nicolas a onze ans de plus qu’Alise. Ça lui fait vingt-neuf ans. Il est très doué pour la cuisine. Il va faire du fricandeau. »

Colin approchait de sa demeure.

« Les boutiques des fleuristes n’ont jamais de rideaux de fer. Personne ne cherche à voler des fleurs. »

Cela se comprenait assez. Il cueillit une orchidée orange et grise dont la corolle délicate fléchissait. Elle brillait de couleurs diaprées.

« Elle a la couleur de la souris à moustaches noires… Je suis arrivé chez moi. »

Colin monta l’escalier de pierre habillée de laine. Il introduisit dans la serrure de la porte de glace argentée une petite clef d’or.

« À moi, mes fidèles serviteurs !… Car me voici de retour !… »

Il lança son imperméable sur une chaise et s’en fut rejoindre Nicolas.

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