XLI


Alise sonna deux coups et attendit. La porte d’entrée lui paraissait plus étroite que d’habitude. Le tapis semblait plus terne et aminci. Nicolas vint ouvrir.

« Bonjour !… dit-il. Tu viens les voir ?

– Oui, dit Alise. Ils sont là ?

– Oui, dit Nicolas. Viens. Chloé est là. »

Il referma la porte. Alise examinait le tapis.

« Il fait moins clair qu’avant, ici, dit-elle. À quoi cela tient-il ?

– Je ne sais pas, dit Nicolas.

– C’est drôle, dit Alise. Il n’y avait pas un tableau, ici ?

– Je ne me rappelle plus », dit Nicolas.

Il passa une main hésitante dans ses cheveux.

« De fait, dit-il, on a l’impression que l’atmosphère n’est plus la même.

– Oui, dit Alise. C’est ça. »

Elle avait un tailleur brun, bien coupé, et un gros bouquet de narcisses à la main.

« Toi, dit Nicolas, tu es en forme. Ça va ?

– Oui, dit Alise, ça va. Chick m’a offert un tailleur, tu vois…

– Il te va bien, dit Nicolas.

– J’ai de la chance, dit Alise, que la duchesse de Bovouard ait juste les mêmes mesures que moi. Il est d’occasion. Chick voulait un papier qu’il y avait dans une des poches, alors il l’a acheté. »

Elle regarda Nicolas et ajouta :

« Tu ne vas pas bien.

– Euh ! dit Nicolas… Je ne sais pas. J’ai l’impression que je vieillis.

– Montre ton passeport », dit Alise.

Il fouilla dans sa poche revolver.

« Voilà », dit-il.

Alise ouvrit le passeport et pâlit.

« Quel âge avais-tu ? demanda-t-elle à voix basse.

– Vingt-neuf ans… dit Nicolas.

– Regarde… »

Il compta. Cela faisait trente-cinq.

« Je ne comprends pas… dit-il.

– Ça doit être une erreur, dit Alise. Tu ne parais pas plus de vingt-neuf ans.

– J’avais l’air d’en avoir vingt et un, dit Nicolas.

– Ça s’arrangera sûrement, dit Alise.

– J’aime tes cheveux, dit Nicolas. Viens, viens voir Chloé.

– Qu’est-ce qu’il y a ici ? dit Alise pensive.

– Oh ! dit Nicolas. C’est cette maladie. Ça nous bouleverse tous. Ça s’arrangera et je rajeunirai. »

Chloé était allongée sur son lit, vêtue d’un pyjama de soie mauve et d’une longue robe de chambre de satin piqué, d’un léger beige orange. Autour d’elle, il y avait beaucoup de fleurs et, surtout, des orchidées et des roses. Il y avait aussi des hortensias, des œillets, des camélias, de longues branches de fleurs de pêcher et d’amandier et des brassées de jasmin. Sa poitrine était découverte et une grosse corolle bleue tranchait sur l’ambre de son sein droit. Ses pommettes étaient un peu roses et ses yeux brillants, mais secs, et ses cheveux légers et électrisés comme des fils de soie.

« Tu vas prendre froid ! dit Alise. Couvre-toi !

– Non, murmura Chloé. Il le faut. C’est le traitement.

– Quelles jolies fleurs ! dit Alise. Colin est en train de se ruiner, ajouta-t-elle gaiement pour faire rire Chloé.

– Oui », murmura Chloé. Elle eut un pauvre sourire.

« Il cherche du travail, dit-elle à voix basse. C’est pour cela qu’il n’est pas là.

– Pourquoi parles-tu comme ça ? demanda Alise.

– J’ai soif… dit Chloé dans un souffle.

– Tu ne prends réellement que deux cuillerées par jour ? dit Alise.

– Oui… » soupira Chloé.

Alise se pencha vers elle et l’embrassa.

« Tu vas bientôt être guérie.

– Oui, dit Chloé. Je pars demain avec Nicolas et la voiture.

– Et Colin ? demanda Alise.

– Il reste, dit Chloé. Il faut qu’il travaille. Mon pauvre Colin !… Il n’a plus de doublezons…

– Pourquoi ? demanda Alise.

– Les fleurs… dit Chloé.

– Est-ce qu’il grandit ? murmura Alise.

– Le nénuphar ? dit Chloé tout bas. Non, je crois qu’il va partir…

– Alors, tu es contente ?

– Oui, dit Chloé. Mais j’ai si soif.

– Pourquoi n’allumes-tu pas ? demanda Alise. Il fait très sombre ici.

– C’est depuis quelques temps, dit Chloé. C’est depuis quelques temps. Il n’y a rien à faire. Essaie. »

Alise manœuvra le commutateur et un léger halo se dessina autour de la lampe.

« Les lampes meurent, dit Chloé. Les murs se rétrécissent aussi. Et la fenêtre, ici, aussi.

– C’est vrai ? demanda Alise.

– Regarde… »

La grande baie vitrée qui courait sur toute la largeur du mur n’occupait plus que deux rectangles oblongs, arrondis aux extrémités. Une sorte de pédoncule s’était formé au milieu de la baie, reliant les deux bords, et barrant la route au soleil. Le plafond avait baissé notablement et la plate-forme où reposait le lit de Colin et Chloé n’était plus très loin du sol.

« Comment est-ce que cela peut se faire ? demanda Alise.

– Je ne sais pas… dit Chloé. Tiens, voilà un peu de lumière. »

La souris à moustaches noires venait d’entrer, portant un petit fragment d’un des carreaux du couloir de la cuisine qui répandait une vive lueur.

« Sitôt qu’il fait trop noir, expliqua Chloé, elle m’en apporte un peu. »

Elle caressa la petite bête qui déposa son butin sur la table de chevet.

« Tu es gentille d’être venue me voir, tout de même, dit Chloé.

– Oh ! dit Alise, tu sais, je t’aime bien.

– Je sais, dit Chloé. Et Chick ?

– Oh ! ça va, dit Alise. Il m’a acheté un tailleur.

– Il est joli, dit Chloé. Il te va bien. »

Elle s’arrêta de parler.

« Tu as mal ? dit Alise. Ma pauvre. »

Elle se pencha et caressa la joue de Chloé.

« Oui, gémit Chloé. J’ai si soif…

– Je comprends, dit Alise. Si je t’embrassais, tu aurais moins soif.

– Oui », dit Chloé.

Alise se pencha vers elle.

« Oh ! soupira Chloé. Comme tu as les lèvres fraîches… »

Alise sourit. Ses yeux étaient humides.

« Où pars-tu ? demanda-t-elle.

– Pas loin, dit Chloé. Dans la montagne. »

Elle se tourna sur le côté gauche.

« Tu l’aimes bien, Chick ?

– Oui, dit Alise. Mais lui aime mieux ses livres.

– Je ne sais pas, dit Chloé. C’est peut-être vrai. Si je n’avais pas épousé Colin, j’aimerais tellement que ce soit toi qui vives avec lui. »

Alise l’embrassa de nouveau.

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