XXXII


Il courait de toutes ses forces, et les gens, devant ses yeux, s’inclinaient lentement, pour tomber, comme des quilles, allongés sur le pavé, avec un clapotement mou, comme un grand carton qu’on lâche à plat.

Et Colin courait, courait, l’angle aigu de l’horizon, serré entre les maisons, se précipitait vers lui. Sous ses pas, il faisait nuit. Une nuit d’ouate noire, amorphe et inorganique, et le ciel était sans teinte, un plafond, un angle aigu de plus, il courait vers le sommet de la pyramide, arrêté au cœur par des sections de nuit moins noire, mais il y avait encore trois rues avant la sienne.

Chloé reposait, très claire, sur le beau lit de leurs noces. Elle avait les yeux ouverts, mais respirait mal. Alise était avec elle. Isis aidait Nicolas qui préparait, d’après Gouffé, un reconstituant certain, et la souris broyait de ses dents aiguës des graines d’herbe à décoction pour le breuvage de chevet.

Mais Colin ne savait pas, il courait, il avait peur, pourquoi ça ne suffit pas de toujours rester ensemble, il faut encore qu’on ait peur, peut-être est-ce un accident, une auto l’a écrasée, elle serait sur son lit, je ne pourrais la voir, ils m’empêcheraient d’entrer, mais vous croyez donc peut-être que j’ai peur de ma Chloé, je la verrai malgré vous, mais non, Colin, n’entre pas. Elle est peut-être blessée, seulement, alors, il n’y aura rien du tout, demain, nous irons ensemble au Bois, pour revoir le banc, j’avais sa main dans la mienne et ses cheveux près des miens, son parfum sur l’oreiller. Je prends toujours son oreiller, nous nous battrons encore le soir, le mien, elle le trouve trop bourré, il reste tout rond sous sa tête, et moi, je le reprends après, il sent l’odeur de ses cheveux. Jamais plus je ne sentirai la douce odeur de ses cheveux.

Le trottoir se dressa devant lui. Il le franchit d’un bond de géant, il était au premier étage, il monta, il ouvrit la porte et tout était calme et tranquille, pas de gens en noir, pas de religieux, la paix des tapis aux dessins gris-bleu. Nicolas lui dit : « Ce n’est pas grand-chose », et Chloé sourit, elle était heureuse de le revoir.

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